Lyon. - Hôpital Debrousse, vu de l'avenue Valioud

droits Licence Ouverte-Open Licence
localisation Bibliothèque municipale de Lyon / B02CP6900 001292
technique 1 impression photomécanique (carte postale) : noir et blanc ; 9 x 14 cm
description Inscription(s) sur l'image : "4111". Au verso : "X. Goutagny, édit. 36, r. Victor-Hugo, Lyon".
historique Hospice Debrousse. Georges Blachier, architecte ; 1904-1905, puis 1907-1911. Inauguration : 6 juillet 1911.
historique Lorsque le promeneur, ayant franchi les voûtes du pont du Midi, arrive au quai Rambaud, son regard se libère du promontoire prolongeant le coteau de Fourvière et embrasse l'admirable panorama des hauteurs de Sainte-Foy. Presque au sommet, non loin du fort Saint-Irénée et au-dessous du fort de Sainte-Foy, à peu près dans le prolongement de l'Arsenal, s'érige fièrement une vaste et superbe construction, aux lignes imposantes, sorte de château de plaisance, surmonté de deux campaniles ; une large terrasse le précède, au-dessous de laquelle s'étale un parc immense dont les allées fraîchement dessinées serpentent à travers des pelouses qui commencent à verdoyer. Château de millionnaire, qui a choisi pour s'installer le site le plus admirable, le plus merveilleux de la banlieue lyonnaise. Et c'est bien une millionnaire, en effet, qui éleva cet édifice superbe. Mais que le passant ne sente point germer en lui l'envie : que le pauvre n'ait point d'amertume à contempler ces magnificences. Car ce palais dans un décor somptueux est né d'un geste rare, un de ces gestes de riches qui se font pardonner l'énormité de leur fortune par la généreuse largesse qu'ils font à la misère. Une femme de coeur, Mme Debrousse, a laissé à l'Assistance publique de Paris la somme énorme de sept millions pour que les pauvres vieux, qui pendant toute leur vie ont trainé peine et misère et se trouvent, au déclin de leur existence, sans pain, sans abri, voient se réaliser pour eux ce rêve merveilleux de trouver enfin le repos dans une maison confortable et de se croire châtelains. Sept millions ! Plusieurs fortunes... Quel noble exemple pour bien des riches ! Il y a cinq ans [en 1904] que les premiers terrassements furent entrepris dans ce vaste emplacement qui s'étend depuis le chemin de Saint-Irénée à Sainte-Foy jusqu'à l'avenue Valioud. A plusieurs reprises, nous avons brièvement entretenu nos lecteurs de l'état des travaux. Aujourd'hui [en 1909], l'oeuvre est achevée. C'est dire l'activité régulière avec laquelle les travaux ont été poussés. Ils ont subi, en effet, une interruption de 18 mois : à part cela, pas un jour le travail n'a été interrompu, et, pendant 4 mois par an on a pu compter, depuis trois ans, sur le chantier, 280 ouvriers de toute catégorie : terrassiers, maçons, charpentiers, manoeuvres... M. Blachier, l'architecte qui avait assumé la lourde entreprise, sous la haute direction de M. Dumontier, mandataire de Mme Debrousse, peut être fier de son oeuvre. Aujourd'hui, tout est fini : les peintres donnent les derniers coups de pinceau le matériel des dortoirs et des réfectoires s'installe ; lumière, chaleur, tout est prêt à fonctionner et il n'est pas jusqu'au vestiaire qui n'ait déjà reçu dans ses rayons les vêtements de toutes sortes destinés aux futurs hospitalisés. Encore quelques semaines, quelques jours, à peine, et les vastes bâtiments, qu'envahit le silence depuis que le marteau des ouvriers s'apaise, s'animeront de la vie discrète de leurs pensionnaires. C'est le moment pour nous, lecteur, de parcourir salles et escaliers et de nous rendre compte si "nos vieux" seront bien. La grille monumentale, surmontée des armes de la Ville de Paris, qui s'élève sur l'avenue Valioud, à l'entrée du Parc, laisse apercevoir entre ses barreaux les harmonieuses proportions des bâtiments. Mais l'ascension nous effraie et nous entrerons par la grille du chemin de Sainte-Foy. Laissant à gauche la conciergerie, nous nous dirigerons tout droit vers la porte qui s'ouvre au flanc du corps de bâtiment central. L'ensemble des constructions affecte très nettement la forme d'un T, mais d'un T dont la barre transversale, qui est la façade, serait très longue, et le jambage raccourci. C'est dans ce "jambage" arcbouté à la colline, que se trouvent installés les services d'administration. En entrant, nous trouvons de part et d'autre les bureaux du directeur et des secrétaires puis nous arrivons à une sorte de hall ; à droite s'amorce un escalier monumental ; à gauche, une vaste salle vitrée servant de vestiaire. Deux larges couloirs symétriques parcourent d'avant en arrière ce corps de bâtiment depuis la façade donnant sur la Saône, jusqu'au hall où nous nous trouvons. Ces couloirs enferment entre eux d'abord le vestiaire et ensuite la chapelle. Celle-ci occupant à peu près la profondeur du bâtiment principal et toute sa hauteur, se trouve donc flanquée, comme de deux ailes, d'une symétrie rigoureuse non seulement d'allures, mais même de dispositions. Sur chaque couloir, s'ouvrent les dortoirs. Toute la partie nord est réservée aux hommes ; la partie sud, aux femmes. En nous dirigeant du côté nord, nous trouvons, précédant le dortoir, les cabinets et lavabos, admirablement installés et chauffés. La salle principale du dortoir comporte 16 lits, très largement espacés : à la suite se trouvent, de part et d'autre du couloir, deux petites chambres d'isolement ayant chacune deux lits pour les "agités", c'est-à-dire pour ceux dont l'état de santé ou simplement l'état nerveux peut être une cause de trouble pour le repos des autres. Enfin, à la suite, une chambre de surveillant et une petite salle, pouvant servir de cuisine auxiliaire pour les potions, tisanes, etc. Un large vestibule et un hall au-delà duquel se trouve un dortoir exactement semblable, occupe en cet endroit la profondeur du bâtiment. Du côté ouest, une vaste salle de repos, à laquelle fait vis-à-vis une salle de jeux. Celle-ci, dont la partie est de forme semi-circulaire est munie de baies vitrées immenses d'où l'on aperçoit le plus splendide panorama qu'on puisse rêver. Enfin, entre ce hall et la partie centrale, circule devant le premier dortoir, une galerie ouverte, large d'environ trois mètres, un large escalier en pierres de taille donne accès à la terrasse, qui s'étend devant la façade. Les galeries du rez-de-chaussée comportent des colonnades de maçonnerie, remplacées aux étages supérieurs par des colonnes de fonte d'un très bel effet artistique. Telle est, très sommairement, la description d'un étage ; la même disposition se retrouve à l'aile sud comme à l'aile nord, sauf quelques légères modifications. C'est ainsi qu'au deuxième étage, les salles de repos situées à l'ouest, sont remplacées par des salles d'opérations. En outre, le rez-de-chaussée de l'aile sud est destinée à l'infirmerie, qui est disposée pour dix hommes et dix femmes, et possède un réfectoire spécial. Il y a somme toute, au total, dix dortoirs de vingt places. Les services annexes sont installés dans le corps de bâtiment, par lequel nous sommes entrés. Au rez-de-chaussée, en sous-sols, se trouvent les caves, la boucherie, les entrepôts. Le premier étage, par suite de la disposition du terrain, se trouve au même niveau, à l'extrémité du bâtiment, que l'allée longeant le chemin de Sainte-Foy. Un quai d'embarquement a été disposé : à droite, il donne accès sur les cuisines, la sommellerie ; à gauche, sur le vestiaire. A la suite des cuisines et de part et d'autre du bâtiment, se trouvent deux grands réfectoires de cent places. Au centre, adossée à la chapelle, une vaste salle de réunion, exquisement décorée, avec une petite estrade et une tribune pouvant contenir 300 personnes. A l'étage supérieur, se trouvent la pharmacie avec son laboratoire et la tisanerie ; l'appartement et le dortoir des soeurs. Ajoutons que dans les combles du bâtiment principal ont été aménagées dix-huit chambres pour le personnel et une lingerie. L'hospice comporte deux annexes : un bâtiment pour le personnel, comportant 4 logements de 4 pièces et un de 6 pièces, et un dépôt mortuaire. A côté de celui-ci, qui est relégué, tout à fait en haut du clos, sur le chemin de Sainte-Foy, se trouve le réservoir d'eau et le transformateur d'énergie pour l'éclairage. Comme toutes les descriptions, celle-ci est forcément sèche et incolore, et ne saurait rendre l'impression de gaieté pimpante, de coquetterie qui se dégage de ces bâtiments. De loin, ils n'offrent point cet aspect "caserne" morose et triste, qu'affectent trop souvent les hospices. Avec leurs murs revêtus de briques de couleur, leurs tuiles vernissées et leurs larges avant-toits, ils ressemblent plutôt à quelque vaste château de plaisance. L'intérieur est gai, riant à l'oeil. Tous les murs ont été passés au ripolin, en teinte jaune clair ou bleu pâle les couloirs sont cimentés ou en mosaïques toutes les salles ou chambres sont parquetées. Il y a de l'air, de la lumière à flots. Et quel souci de l'hygiène ! Point de recoins où la poussière se niche : tous les angles ont été arrondis ; le chauffage central a été établi partout, ainsi que l'électricité. On a calculé les prises d'air pour établir une ventilation constante sans courant d'air. Les murs des réfectoires sont garnis jusqu'à 1 m.50 de faïences très artistiques. On a même fait du luxe : la décoration de la salle de réunion avec son immense verrière, est exquise, et la chapelle, très sobre, très harmonieuse de lignes et de ton, est une vraie merveille. Que dire de la boucherie avec sa glacière, des cuisines qu'on a installées au dernier cri. Le parc réserve encore à "nos vieux" des distractions exquises : sous la jolie allée de tilleuls qui passe devant la maison du personnel, on leur aménage un jeu de boules, et plus bas, à mi-côteau, un petit bois duquel jaillit une source, leur offrira l'été son ombrage, à moins que de la terrasse, bordée de rosiers, ils ne se lassent point de contempler le panorama éblouissant : Fourvière à gauche, le confluent de la Mulatière à droite, en bas la presqu'île et devant soi l'immense, infinie, plaine du Dauphiné, et tout là-bas, se confondant avec les nuages et les brumes, les Alpes neigeuses... Si l'heureux événement de l'ouverture de cet hospice modèle où tout est merveilleusement compris pour faire oublier aux vieillards qu'ils sont des épaves, des déshérités, pouvait faire naitre un regret, ce serait le regret égoïste que toutes les places n'en fussent pas réservées à nos "vieux" lyonnais. Mais c'est l'Assistance publique qui est propriétaire, et comme telle, dispose de cent lits. M. Mesureur a néanmoins fait savoir qu'il en mettrait, sur sa part, un certain nombre gracieusement à la disposition de la ville de Lyon. La part de celle-ci est donc encore belle. Ainsi que nous avons eu l'occasion de l'annoncer, l'A. P. a chargé les hospices civils de Lyon de l'administration de l'hôpital Debrousse. Celui-ci sera donc régi, comme les autres hospices de notre ville. L'économe est déjà nommé c'est M. Rivat, sous-économe à l'hôpital de la Croix-Rousse. Le service sera assuré par les soeurs de nos hôpitaux mais ce n'a pas été sans peine. M. Mesureur aurait bien désiré, en effet, y caser ses religieuses Augustines, dont les services n'ont trouvé qu'ingratitude à Paris. Mais nos hospices ont tenu bon en faveur de leurs soeurs et ils ont eu gain de cause. Au-dessus de la grille d'entrée, comme au fronton surmontant le perron de la chapelle, où la croix se masque des Armes de la Ville de Lyon, des inscriptions rappellent la généreuse fondation de Mme Debrousse. Les initiales de la bienfaitrice "M. D." alternent dans les motifs de décoration de la chapelle et de la salle de réunion comme aux faïences des réfectoires, avec les initiales de l'Assistance Publique. J'aime à croire que les "vieux" n'auront pas besoin de lire sur les murs pour éprouver une reconnaissance émue à l'égard de cette femme de bien, grâce à laquelle Lyon est doté d'un hospice, peut-être unique en France. Source : "Sept millions pour le déshérités" / Jean Pagès in Le Salut Public de Lyon, 13 février 1909.

Retour