[Affaire Paul Touvier. Robert Nathan, témoin de la partie...

[Affaire Paul Touvier. Robert Nathan, témoin de la partie civile]
droitsCreative Commons - Paternité. Pas d'utilisation commerciale. Pas de modification.
localisationBibliothèque municipale de Lyon / P0758 FIGRP00416 004
technique1 photographie négative : noir et blanc ; 36 x 24 mm
descriptionRobert Nathan (à droite) accompagné de son avocat, Me Richard Zelmati (à gauche).
historiqueC'est Touvier qui a arrêté mon père accuse l'un des fusillés de Bron. Témoin direct de cette arrestation du 9 mai 1944, Robert Nathan avec l'aide de son avocat avocat maitre Richard Zelmati a déposé plainte avec constitution de partie civile pour crime contre l'humanité, plainte visant nommément contre l'ancien chef de la milice lyonnaise pour crime contre l'humanité. Cette plainte a été remise le 26 juillet 1989 entre les mains du doyen des juges d'instruction de Lyon, Jacques Hamy. Alors que le dossier Touvier fait l'objet d'un information à Paris pour quatre faits distinct de celui-là intervient ce nouveau développement. Un nouveau développement qui repose, bien sûr, le problème du lieu du futur procès. Lyon ou Paris ? Robert Nathan avait 12 ans et demi lorsqu'il assista à l'interpellation de son père, un paisible marchand forain âgé de 39 ans. Quelques jours plus tôt, son oncle Isaac Nathan avait disparu. Avait-il été embarqué par les nazis et leurs supplétifs, chasseurs de Juifs en pleine activité ? Cherchant sa trace, André Nathan, le frère d'Isaac, était entré en contact avec un milicien, nommé Voillard, par l'entremise d'un voisin travaillant dans la police. Le milicien lui proposa un marché : votre parent est à Montluc, je peux le faire libérer contre une somme de 50.000 francs. Rendez-vous fut pris dans un café de la rue des Tables claudiennes pour la remise de l'argent. Ce marché n'était qu'un traquenard. Pour s'emparer d'un homme et accessoirement de son argent. En fait, Isaac Nathan avait été déporté pratiquement dès son arrestation, soit deux ou trois jours avant la transaction passée avec son frère. Le neveu l'apprendra bien après la guerre. Ayant réuni donc toutes ses économies, M. Nathan se rendit a l'endroit convenu. Pour voir un piège mortel se refermer sur lui. Il fut proprement embarqué par un groupe d'individus, sous les yeux de son fils qui se trouvait à quelques mètres de là, de l'autre côté de la rue. En dépit des recommandations de son père, l'adolescent avait suivi ce dernier pour voir ce qui allait se passer. Sa mère, inquiète le lui avait demandé. Piégé, le marchand-forain fut conduit au fort Montluc, dans la baraque où les sbires de Klaus Barbie enfermaient leurs prisonniers de confession juive. Là, il vécut plusieurs semaines dans des conditions effroyables, moments de misère et d'angoisse que retrace André Frossard dans son livre "La maison des otages". Dans cet ouvrage, l'un des plus poignants témoignages écrits sur l'implacable entreprise d'anéantissement nazi, plusieurs pages évoquent ce que furent les derniers jours d'André Nathan. Bron, le 17 août 1944. Ce fut pour lui le bout du voyage. Allemands et miliciens conduisirent au camp d'aviation une centaine de prisonniers qu'ils transformèrent en démineurs - le camp venait d'être bombardé par l'aviation alliée - avant de les abattre et de jeter leurs corps dans les trous de bombes. Un massacre opéré avec une sauvagerie effroyable, une vraie boucherie. Certaines victimes furent fusillées, d'autre abattues d'une balle dans la tête, d'autres encore furent enterrées vivantes sous un amas de cadavres. Au-delà du sentiment d'horreur que l'on peut éprouver à l'évocation de cette tuerie, se pose le problème des liens entre la police allemande et la milice. Le sort tragique d'André Nathan est à cet égard - et sur un plan historique - intéressant à analyser. A Bron, là ou il fut assassiné avec tant d'autres, allemands et miliciens étaient présents, au coude à coude. Les ultimes semaines de son existence, il les vécut à la prison Montluc, sous la garde des hommes du Sipo-SD de Lyon, la police nazie dirigée par Klaus Barbie. Son arrestation, elle fut opérée par le deuxième service de la milice, c'est-à-dire le service de Touvier. Alors, quelle fut donc la connection entre forces de répression allemandes et miliciens ? On ne peut pas ne pas se poser la question. Faudra-t-il organiser une confrontation entre les deux vieillards embastillés pour éclaircir ce point, pour reconstituer les liens entre leurs deux services et redessiner cette trame criminelle telle qu'elle semble apparaître en filigrane du dossier Nathan ? Ce n'est pas impossible. Mais avant cela, encore convient-il de prouver la responsabilité de Paul Touvier dans l'arrestation d'André Nathan. Pour le fils de ce dernier, aucun doute. La scène de la rue des Tables claudiennes, les traits des auteurs de la rafle sont à jamais imprimés dans sa mémoire. Le visage, surtout, de l'individu dirigeant l'opération : "Ce groupe était commandé par un homme blond aux yeux bleus. Il n'était pas vilain garçon, d'ailleurs. Il ne passait pas inaperçu, on voyait que c'était le chef de l'expédition", se souvient aujourd'hui Robert Nathan. Très longtemps, il a ignoré le nom de cet homme qui conduisait le commando. Il connaissait, certes, celui de Touvier, il avait lu ici ou là des articles de presse retraçant le parcours de l'ex-chef de la milice lyonnaise, mais il n'avait pas été en mesure d'établir une relation entre les deux personnages. Jusqu'en 1975. "Un jour, raconte Robert Nathan, je feuilletais machinalement 'L'Express-Rhône-Alpes'. La photo de Touvier m'est tombée sous les veux. Avant même de lire le titre, de lire le texte, je me suis dit : c'est lui, c'est l'homme qui a arrêté mon père. J'avais conservé l'image de cet individu, blond dans ma tête, je l'avais pris d'ailleurs pour un Allemand". Robert Nathan, à l'époque, n'avait que 12 ans et demi. La défense de Touvier ne manquera certainement pas de s'interroger sur la fiabilité d'un tel témoignage, restitué quatre décennies après les faits incriminés. Certaines images, par leur charge émotive, restent imprimées dans la rétine à jamais, même si celui qui les reçoit est un adolescent de 12 ans, répondra probablement la partie civile. Toujours est-il qu'un débat devra être organisé. Sur la base des éléments recueillis par l'information judiciaire. Cette information, comment et par qui sera-t-elle faite ? On sait que l'instruction du procès Touvier a été confiée par le président du tribunal de Paris au juge Getti. Quatre faits figurent dans le dossier de ce magistrat instructeur : l'assassinat de Victor Basch et de sa femme, le grenadage de la synagogue du quai Tilsit et l'arrestation suivie de la déportation des gardiens ; la rafle des immigrés espagnols de Montmélian et la sélection des sept Juifs tués par les Allemands à Rillieux en représailles de l'exécution de Henriot. L'arrestation de M. Nathan est un cinquième fait, distinct des quatre instruits à Paris. Robert Nathan a déposé sa plainte entre les mains du doyen des juges d'instruction de Lyon, en réponse au principe de territorialité faits incriminés-lieux des poursuites. C'est une question de procédure, mais c'est aussi pour Robert Nathan une simple question de bon sens : "Le champ des activités de Touvier, c'était Lyon. Mon père a été arrêté à Lyon. Je ne vois pas pourquoi on ne jugerait pas ce procès à Lyon". Les choses sont peut-être un peu moins simples. Si une juridiction parisienne a été désignée, c'est parce que deux arrêts, l'un de la cour d'appel de Lyon, l'autre de la cour d'Appel de Chambéry ont été annulés par la cour de Cassation, il ne faut pas l'oublier. Maintenant quand maître Richard Zelmati dit : "Juger Touvier à Paris, c'est faire outrage à l'histoire", il n'a pas tort non plus. Certaines pages d'histoire sont inexportables, elles doivent connaître leur épilogue là où elles furent écrites. Dessaisir le juge Getti du dossier Touvier au profit de l'un de ses collègues lyonnais est juridiquement possible. Plus exactement, le dépôt de plainte effectué [le 26 juillet 1989], l'intervention d'autres parties civiles lyonnaises annoncées pour un futur assez proche devraient rendre possible une telle opération. La plainte de Robert Nathan a été enregistrée par le juge Hamy, elle devra faire l'objet, probablement dès septembre, d'une consignation, on parlait [le 26 juillet] de 2.000 francs. A partir de ce moment-là, le dossier sera officiellement transmis par le doyen au Parquet, lequel aura alors deux solutions : soit ouvrir une information soit présenter une requête à la chambre criminelle de la cour de Cassation. Dans un souci de bonne administration de la justice. La haute juridiction devra trancher : Paris ou Lyon. "J'espère que ce procès aura lieu, ici", répétait [le 26 juillet] avec conviction Robert Nathan. Il sera fixé dans quelques mois. Source : "Touvier, le cinquième crime" / Gérard Schmitt in Lyon Figaro, 27 juillet 1989, p.3.
note à l'exemplaireCe reportage photographique contient 16 négatifs.
note bibliographique"Affaire Touvier : un Lyonnais dépose plainte... à Lyon" / René Raffin in Le Progrès de Lyon, 27 juillet 1989. - "Le témoignage de Robert Nathan" / Gérard Chauvy in Le Progrès de Lyon, 27 juillet 1989. - "Albert Nathan (1905-1944)" / Bruno Permezel in Annales de l'association des rescapés de Montluc, no.3, avril 2024, p.44-46 [BM Lyon, 957283].

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