[B-Boys Breakers (ex-Crazy Band Breakers)]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0740 FIGRPT0674B 02
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 24 x 18 cm (épr.)
historique Un soir n'est pas coutume : la capitale des Gaules rassemble [le 10 mai 1990] au Transbordeur quelques-uns ses rappers, scratchers, taggers et smurfers. Une dizaine parmi ceux qui s'inscrivent dans ce mouvement né aux Etats-Unis, à New York puis Los Angeles, dans les quartiers noirs et le plus souvent défavorisés. Si l'Europe n'a pas échappé à cette déferlante américaine portée par sa nouveauté mais surtout par sa puissance qui tient tête au rock le plus carré, on agit et réagit différemment d'un pays à l'autre, voire d'une ville à l'autre. A la différence du schéma parisien qui divise les bandes en (banlieues) nord et sud, où les occasions de voir des concerts ou de rivaliser lors de soirées ne manquent pas, le courant hip hop fonctionne à Lyon sur un mode plus informel, moins obsédé par les poses à l'américaine que par l'idée de pouvoir produire une musique et une danse réellement à la hauteur. Pour Cool K. Hashan et Hass II (également peintre-graffiteur) et leur DJ Cherif, rassemblés sous l'intitulé de MCM 90, l'aventure commencée dans les années 1982 par la danse se poursuit par la musique. Messages et rythmes, paroles scandées en anglais ou en français tels sont les premiers aboutissements de ce qui représente à la fois un hobby, une passion et un mode de vie, fondu secrètement à la vie lyonnaise, en s'acharnant pendant des années sur des platines comme Cherif (nanti récemment du titre de champion de France des DJ) ou en bombant (sur commande ou illégalement) les murs d'espaces publics. Hormis le récent concert du fameux rapper producteur Ice T accompagné de Donald D, le rap et le hip hop ont connu à Lyon des moments d'éclipse ou d'essoufflement, contrebalancé par quelques initiatives à la fois individuelles mais sans rivalités brutales. Depuis le premier concert rap, fête organisée par Radio Bellevue au palais d'Hiver en 1982, orchestrée par Alain Maneval et qui réunissait le peintre-rapper Futura 2000, Mister Freeze, New York City Rap, les Infinity Rap, Phase II et Fab Five Freddy, plus de vague ou presque. Les breakers fous qui tournoyaient en 1983 sur la place de l'hôtel de Ville ont disparu, et la vague rap lyonnais semblait bien épuisée. Pourtant, quelques passionnés ont su garder la flamme et travailler dans leur coin en attendant leur heure. Dans une MJC de banlieue comme les B-Boys Breakers, en perfectionnant sa technique de DJ lors de soirées comme Cherif, ou en diffusant le meilleur du genre par ondes radiophoniques interposées comme Marco, animateur des "Rythmes Associés" sur Bellevue puis du "Zap à Marco" sur Zap FM, engloutie le 26 avril [1990]. Un personnage auquel la grande majorité des actuels activistes ou simples spectateurs-auditeurs doivent une partie de leurs connaissances en la matière. Selon lui, "tous ces gens ont toujours été très isolés, mais c'est comme une secte ils se connaissent. Si on les cherche, on ne les trouve pas, mais si on les croise dans la rue, on les reconnaît". Impossible de tromper l'oeil des vrais connaisseurs : en dépit de l'évolution des codes vestimentaires qui représentent un aspect important pour la plupart des tenants du mouvement hip hop, l'"usurpateur" muni d'une casquette d'équipe de football ou de Nike dernier cri a toutes les chances de se faire démasquer au premier regard. Pour tous, l'histoire commence en 1980-1982, avec la découverte de Sugarhill Gang qui s'accroche triomphalement à la trente-sixième place du Top 40 américain, tous styles confondus, avec Rapper's Delight. Après avoir délaissé la danse de rues et la réalisation de brûlures, les MCM 90 et Cherif entendent bien prouver "qu'il n'y a pas besoin de faire le Conservatoire ou les Beaux-Arts pour réaliser quelque chose". Avec des maquettes patafiolantes fraîchement réalisée dans les studios de l'association Tremplin, le groupe pourrait prochainement tomber dans la ligne de mire des labels soudain pris d'une frénésie à dénicher et signer des groupes de rap français. Parmi leurs morceaux dont le public lyonnais découvrira la solidité musicale, "Cold Cash" ou "I Wanna Be A MC", axés sur les thèmes de la vie quotidienne et prises de positions parfois opposées à celles de leur groupe culte, Public Enemy, leader musical incontestable qui alimente depuis des mois une polémique à partir de propos antisémites, racistes et bellicistes, davantage chez les media musicaux que dans les milieux de la "Zulu Nation" créée et définie par l'un des leaders, Afrika Bambaata. Bien qu'opposé au fait d'"être associés particulièrement au mouvement rap à Lyon", MCM 90 a largement contribué à relancer l'intérêt, particulièrement en ouvrant en novembre 1989 un local-point de rencontre, le Cool K. devenu l'un des points de surchauffe du hip hop visuel ou sonore à Lyon, attirant aussi les tribus hardcore ou rock croix-roussiennes avant sa fermeture voilà quelques semaines. En projet, l'ouverture d'un véritable lieu consacré au rap, ouvert aux assoiffés de breakdance comme aux "consommateurs" de rap plus statiques. Anti-statiques par excellence, les B-Boys Breakers (ex-Crazy Band Breakers) sont au nombre de sept. J Cool M. (Jean-Marc), Turbo (Hatem), Spike (Christian), Jessie D. (Henri), Cool rappin' (Yves), Funky Fresh (David) et Jazzy Cool (Hervé) s'entraînent régulièrement dans des conditions désormais luxueuses : un véritable studio de danse prêté par la MJC moyennant confiance et carte d'adhérent. Présents sur l'exhibition [du 10 mai 1990], ils présenteront le 26 mai au gymnase de Rillieux un spectacle intitulé "Art Tag", chorégraphié par Jean-Claude Carles, "intéressé par leur travail, (...) l'énergie, la qualité et le contenu de leur danse (...) par leur esprit : l'universalité de leur espoir de paix et de fraternité". Tous les smurfers et rappers ne sont pas des saints, la "dépouille" si courante entre bandes à Paris fait quelques émules, rejetés sans appel par le groupe qui adhère à la "Nation Zulu". En évidence dans le studio, près d'une affiche représentant "l'hélicoptère", le "spin" sur le dos et quelques autres figures des bases techniques de la breakdance, le texte intégral du manifeste publié par Africa Bambaata à New York au début des années quatre-vingt, roi de la scène fortement impliqué dans le mouvement "Stop The Violence". En quelque sorte les "vingt commandements" ou plutôt les vingt articles des "Lois et mode de fonctionnement de l'Universelle nation Zulu" qui commencent ainsi : "La Nation Zulu n'est pas un gang. C'est une organisation d'individus à la recherche du succès, de paix, de savoir, de sagesse, de compréhension et de bonne conduite dans la vie" mais aussi (article 13e) : "Les zulus n'ont pas le droit de clamer leur appartenance à la Nation zulu de manière irrespectueuse. Surtout en mêlant leur nom au crime et à la violence". Français d'origine africaine ou nord africaine, tous arborent les médaillons et bananes aux couleurs de l'ANC (African National Congress), jusqu'ici introuvables et importés à Lyon par la boutique de sports américains Sport Stadium. Pour les B-Boys Breakers, la "révélation" a eu lieu en 1982, avec l'émission "Hip Hop" animée par Sidney, et le film "Flashdance" qui montre la danse de rue et mêle modern'jazz et figures techniques purement hip hop. Comme pour tout le monde ou presque, la ligne soul-funk qui faisait l'ordinaire a abouti sur le rap et spécialement le smurf et ses dérivés, le pee wee (à base de poses façon fresques égyptiennes) et le lock (inspiré des mouvements de bras du full contact et du nunchaku) ou le harp rock (pratiqué par le groupe Breakin Jazz Band basé dans le quartier de Montchat). De 1986 à 1989, le groupe s'essaie à la pédagogie, tente de donner des cours face à l'impatience des copains-élèves et à la difficulté de transmettre à autrui des mouvements personnels exécutés au feeling. Un peu isolés, les membres du groupe se font connaître lors de défis chorégraphiques entre bandes, lors de soirées dans des discothèques de banlieue, mais aussi en se produisant ces deux dernières années lors du festival d'Avignon. Musicalement peu sectaires, les B-Boys Breakers guettent les nouveautés sur les grilles spécialisées de MTV, de chaînes britanniques, cassettes vidéos, et les clips jazz/hip hop du vendredi sur M6. Cordeliers, Bellecour, Saint-Jean, autant d'emplacements où le groupe pose régulièrement son carton destiné à limiter les risques de blessures pour les figures au sol, sur la tête ou sur les mains. A l'affût de la diffusion du "Lyonnais" en septembre, téléfilm qui fait intervenir BMW, autre groupe de rap qui prépare son coup musical dans le secret d'une cave de Vénissieux, ces danseurs aussi à l'aise sur des rythmiques "deep ou techno house dansables" évoquent leur homologues soviétiques, car ils existent : "Même en Russie, il y a des breakers, assez forts techniquement, mais ils en sont restés à l'hélicoptère et aux gants... depuis, le style a beaucoup évolué, les mélanges avec la danse africaine et le jazz s'accentuent. Actuellement, la danse évolue en hauteur, c'est l'influence africaine de Chaka Zulu". A cheval sur la discipline interne pour les répétitions, la bande danse comme elle respire, ou peut-être pour respirer tout simplement. On s'éclate en faisant quelque chose d'artistique mais accessible, on aurait aimé faire de la musique, seulement on ne pouvait pas s'offrir des cours de piano." Bien dans leur tête comme leur agilité le laisse deviner, les sept B-Boys regrettent que les choses "aient végété un peu" et voient comme condition essentielle que les groupes aient plus de contacts entre eux". Des groupes dispersés et différents, qui suivent leur propre évolution, comme la Compagnie Traction Avant, partie de la danse de rue vers d'autres directions, ce qui n'exclut pas leur prochaine participation [les 11 et 12 mai] au festival rap "Y'a d'la banlieue dans l'air", à Bondy, parallèlement à la préparation d'un nouveau spectacle. Pas de rafales de pistolets mitrailleurs Uzis chez les breakers lyonnais, on n'est pas sur les quais de Saône, les Minguettes n'incitent pas seulement à la violence et produisent des talents comme Laurent "rapper, ex-danseur de break, c'est un vrai Français bien blanc mais c'est un New-Yorkais dans l'âme"... Les uns et les autres s'accordent néanmoins à constater que "les choses bougent doucement parce qu'il y a trop de racisme". Et les ex-gamins de la banlieue professent et tentent d'appliquer un mot d'ordre "Peace, Love and Unity" qui, dans leur bouche, n'a vraiment rien de passif ou ridicule. Source : "Lyon hip... hop" / dossier par Pascaline Dussurget et Anne Masson in Lyon Figaro, 10 mai 1990, p.31-34.
note à l'exemplaire Négatif(s) sous la cote : FIGRP02102.
note bibliographique Génération hip hop ou le mouv' des ZUP / un film de Jean-Pierre Thorn, 2005 [BM Lyon, DVD 0528].

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