[Claude Lelouch en tournage à Lyon]

droits Creative Commons - Paternité. Pas d'utilisation commerciale. Pas de modification.
localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0740 FIGRPTP2154 02
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 18 x 24 cm (épr.)
historique Et si on y installait des studios de cinéma ? Depuis un certain temps, on s'interroge beaucoup sur le devenir du palais de Justice de Lyon, en instance de vacance. Or le monument a l'air de beaucoup plaire aux gens de spectacle. Coup sur coup, l'austère maison vient de servir de décor à des procès pour rire. [En 1991], le Théâtre du Jodèle la prenait pour cadre d'une pièce traitant d'un procès terroriste... Au point que Jean-Olivier Viout, avocat général, devient expert dans la réception de équipes de tournages. Le dernier des cinéastes en date, Lelouch, lui a, paraît-il, beaucoup plu. Culture et décontraction diserte réunies, sans une ombre de mas-tu-vuisme... Alors pourquoi ne pas implanter derrière la colonnade du quai Romain-Rolland, les studios que d'aucuns rêvent de voir à Lyon, prolongement logique de l'action du Centre européen cinématographique ? Mais trêve de plaisanterie. Dans la salle de la cour d'assises, ce samedi après-midi, de vrais assesseurs et de faux flics, les anglaises de Marie-Sophie L., les tics de Vincent Lindon, l'oeil d'aigle de Gérard Darmon, le brushing de Francis Huster, le miroir de poche de Jacques Gamblin, j'en passe et d'aussi bons, étaient réunis autour d'un Lelouch en pleine forme. Très pédagogue, le réalisateur avait, avant de commencer, tout expliqué aux personnes présentes du pourquoi du comment il allait procéder, pour qu'ils ne figurent pas idiots. Après, vogue le tournage. "Tout ça... pour ça !" est un film sur ce qui demeure la distraction des hommes et des femmes du siècle finissant, à savoir "comment se rencontrer et se séparer sans faire trop de vagues". D'après le synopsis, les protagonistes lelouchiens n'en savent eux-mêmes pas grand-chose, puisque c'est parce que tout va mal dans leur couple qu'ils font connaissance un beau jour, tous trois rescapés qu'ils sont de leur suicide. Bien décidés à prendre une revanche sur la vie, ils font les quatre cents coups et se retrouvent finalement sur le banc des accusés à rendre compte à la société de leurs méfaits. Scène capitale du film, la scène tournée dans le palais de Justice de Lyon permettait de voir défiler à la barre des témoins tous les autres personnages de l'action. Evelyne Bouix en femme frivole, Charles Gérard en papy flic, et quelques autres... Un tournage, rien de plus ennuyeux, habituellement. Des scènes répétées à n'en plus finir, des prises qui se succèdent jusqu'à la bonne dans un silence religieux, une recherche de perfection humaine et technique qui n'en finit pas. L'ankylose vous prend très vite. Avec Lelouch, c'est autre chose. D'abord, au moment des prises, on s'étonne de l'entendre souvent souffler leurs répliques aux acteurs qui répètent alors comme un perroquet ou interprètent selon l'inspiration. Très présent, le cinéaste commente ou écoute. Il intervient, corrige. Ce qu'il filme là, c'est ce qu'il appelle "la présence à l'image". Lelouch tourne vite. Ne s'appesantit pas. D'évidence, pour lui, le film ne se fait pas au tournage mais au montage. Là, il engrange un matériau brut, le plus d'images possible, qu'il dégrossira et retravaillera plus tard, au calme, loin de l'urgence. C'est le genre de cinéaste à dire à ses acteurs : "Jouez la spontanéité, on n'a pas le temps de jouer les situations". La spontanéité, il y tient. Ainsi, le temps d'une déposition où il va filmer les témoins de face avec le public derrière, fait-il sortir de la salle les trois accusés, Vincent Lindon, Gérard Darmon et Jacques Gamblin. Pour qu'ils découvrent la scène au moment même où la deuxième caméra filmant sous un autre angle les aura dans son champ. Manière de cueillir leurs réactions spontanées. Car si les acteurs ont un canevas de l'histoire, et une idée de leur personnage, ils ne savent pas tout. Il convient de laisser une latitude à la surprise, à l'inattendu. Et Lelouch a raison. L'imprévu, il est partout dans la vie. La preuve. La découverte d'une vitre fendue et menaçant la sécurité interrompt soudain le tournage. Que faire ? Brisera ? Brisera pas. Les figurants se regardent... "C'est dans le film ou c'est vrai ?". Apparemment, c'est vrai. Grande échelle et couvertures sont requises, mais c'est finalement le scotch qui l'emporte. On rafistole. C'est la solution de rapidité. Impossible de perdre une heure, le temps qu'il faudrait pour casser et déblayer. Lelouch a décidé. Le tournage reprend après cette pause impromptue. Pour le reste, c'est la routine. Les nez qui brillent qu'on repoudre, les épis rebelles qu'on dompte à jets de laque, les boutons importuns qu'on masque sous le fard. Les plus narcissiques de la bande sont les trois accusés qui, dès que la caméra s'apprête à les filmer, s'enquièrent de l'état de leur image dans le miroir que Jacques Gamblin a glissé dans sa poche. Réclament une retouche par-ci, un coup de brosse par-là. Et c'est plaisir de noter que, contre toute attente, la gente féminine semble bien moins attentive à son minois que ces trois lascards-Ià... En milieu d'après-midi, Lelouch a terminé ses scènes de dépositions. Annonçant qu'il va passer à la dernière scène du film, il donne rendez-vous aux figurants deux heures plus tard, le temps qu'il faut pour le réglage technique de la scène. Un plan-séquence métaphorique de trois minutes qu'il va tourner dans la salle des pas perdus transformée pour l'occasion en salle de bal. Là, les couples vont se former et, un homme-une femme, chabadabada, chabadabada (on ne sait pas si la musique sera de Francis Lai) c'est parti pour le slow de la vie... Du Lelouch pur jus. Après Lyon, l'équipe doit se rendre du côté d'Evian, de Chamonix et du mont Blanc et le tournage continuer. On l'aura compris, "Tout ça... pour ça !", qui devrait sortir au printemps [1993], est une coproduction du CEC. C'est aussi et avant tout une comédie placée sous les mânes des Marx Brothers et de Lubitch réunis. Une histoire de couples, car Claude Lelouch croit au couple, en toute lucidité, convaincu qu'il est que "dans un couple, plus il y a d'amour, et plus c'est compliqué". C'est vrai, ça, comme aurait dit feu la mère Denis. Source : "Tournage au Palais" / Nelly Gabriel in Lyon Figaro, 16 septembre 1992, p.26.
note à l'exemplaire Négatif(s) sous la cote : FIGRP05529.
note bibliographique Tout ça... Pour ça / réal. & scénario de Claude Lelouch [BM Lyon, F LEL].

Retour