[Jacques Lafargue, directeur des Antiquités historiques de...

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0741 FIGRPTP1981 03
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 15 x 20 cm (épr.)
historique La découverte du site archéologique de Viviers en Ardèche fait des vagues. Le petit monde de l'archéologie régionale est en ébullition : les uns après les autres, tous les archéologues se sont précipités sur cette découverte majeure. Avec l'acharnement du pionnier découvrant une mine d'or. Et le secret espoir d'associer leur nom à l'histoire du site. Au point que cet engouement risquait rapidement de tourner à l'anarchie et de nuire aux recherches. Jacques Lafargue, directeur des Antiquités historiques de Rhône-Alpes, a décidé d'y mettre bon ordre : il vient de lancer un appel d'offre international pour sélectionner une équipe de chercheurs. Une première dans l'histoire de l'archéologie française. De quoi calmer les esprits et redonner la priorité aux recherches. A l'origine de cette polémique : un coup de pelle mécanique sur un chantier de la commune de Viviers en mai 1987, lors de l'aménagement d'un parking. Et l'ouverture brutale d'un sarcophage. Les travaux sont immédiatement interrompus. Les camions dégagent avec précaution leurs roues des vestiges, et les archéologues remplacent les terrassiers. Une équipe régionale, sous la direction de Joëlle Dupraz, commence les premiers relevés. Bien que situé dans l'enceinte d'un palais épiscopal du XVIIIe siècle, le site n'est pas connu pour recéler des trésors archéologiques. Jamais aucune découverte n'a été signalée à cet endroit de la commune. Et les archéologues n'en reviennent pas de leur surprise : sous leurs truelles et leurs pinceaux, apparaissent clairement des traces de maçonnerie et une demi-douzaine de sépultures sur plus de huit cents mètres carrés. La découverte est "exceptionnelle". Elle nécessite l'arrêt immédiat des travaux d'aménagement du parking. Ce qui, à priori, n'est pas une mince affaire, le site n'étant pas classé. "Nous avons eu beaucoup de chance lors de cette fouille, reconnaît Jacques Lafargue. Nous ne disposions d'aucune clause restrictive pour interrompre les travaux. Mais la municipalité a immédiatement accepté de protéger le site". Les fouilles menées durant l'été mettent à jour un ensemble exceptionnel: une basilique funéraire paléochrétienne de vingt-six mètres de long sur onze mètres de large, dans un état de conservation "remarquable", ainsi que des traces d'habitation. Une partie de l'édifice est recouverte par une route nationale passant à proximité. Les premiers sondages effectués permettent de dater l'ensemble : des céramiques noires, un denier d'argent de Valence, et un denier de Richard de Normandie prouvent que l'occupation la plus récente remonte au XIIe siècle. La plus ancienne à la fin de l'antiquité. Mais c'est une tombe qui retient tout l'intérêt des archéologues. Située au centre de l'abside, à la place d'honneur, elle prête à multiples interprétations et surtout, laisse courir l'imagination. Il pourrait s'agir de la sépulture de Saint-Venance, évêque de Viviers au VIe siècle, et fils de Sigismond de Burgonde. C'est du moins ce que laisse croire une épitaphe conservée dans une maison de la commune, et qui correspond exactement à une tombe découverte dans la basilique : celle d'un dénommé Pascasius, inhumé à la fin du VIe siècle, et qui se réjouit d'être enterré auprès de son maître Saint-Venance. Deux sépultures d'enfants trouvées à proximité confortent cette hypothèse : Saint-Venance et Pascasius étant légendaires pour leur dévouement auprès des orphelins. L'église pourrait être celle de "Notre-Dame du Rhône", bâtie par Saint-Venance, ainsi que le mentionnent des textes du XIVe siècle. Une découverte "majeure". La tentation de soulever la dalle de la tombe centrale pour vérifier les hypothèses était grande. Et surtout dangereuse selon Jacques Lafargue : "à quoi cela servirait-il ? A trouver un squelette, et alors ? Il faut voir plus loin que cela et préparer cette découverte. Le terrain est humide : peut-être trouverons-nous des tissus en parfait état de conservation. Avant de les exposer à l'air libre, il faut que tout le monde soit prêt : les anthropologues, les laboratoires, etc. Il faut que l'archéologie passe à un stade supérieur et planifie scientifiquement ses travaux". Un avis qui n'est pas du goût de tous ceux qui pensent que la planification nuit à la passion. Et qui accusent Jacques Lafargue de vouloir détruire le site. Pour calmer les esprits et attendre d'avoir les crédits suffisants pour entreprendre des fouilles définitives, Jacques Lafargue a fait recouvrir le site d'une couche de sable et de graviers. Une opération très risquée selon certains archéologues, qui craignent que le site soit abîmé par cette épreuve supplémentaire. Et il vient, pour la première fois en France, de lancer un appel d'offre international pour recruter une équipe pluridisciplinaire. Une mesure qui, selon lui, ne cherche pas à écarter les équipes régionales : "il faut choisir entre les différents spécialistes et passer au-dessus des rivalités. L'équipe choisie sera sans doute régionale, mais elle le sera en fonction de critères précis". Les candidats devront tout prévoir : l'étude des sources écrites, l'exploration du site dans toutes ses dimensions, la publication des ensembles mis à jour, et la participation au projet de mise en valeur des vestiges, ainsi qu'une estimation financière précise des travaux. Pas question de donner le premier coup de truelle avant de savoir comment sera présenté le site au public à la fin des fouilles : "c'est un problème majeur, affirme Jacques Lafargue. Plus question de laisser les vestiges la tripe à l'air pendant des années, comme cela s'est vu à Lyon. Il faudra protéger le site sans doute par une coupole de verre. Ce qui n'est pas évident, car il se trouve entre deux bâtiments classés eux-mêmes monuments historiques. Il convient d'y songer avant. C'est impératif". Une sélection qui ne sera sans doute pas effective avant [1988]. Pour l'instant, les vestiges attendent sous leur couche de gravier. Le parking, réduit des deux tiers, sera déplacé en fonction des fouilles, et la route nationale, modifiée, bénéficiera de structures légères qui permettront aux archéologues d'avoir accès aux vestiges situés en dessous. Source : "La bombe de Viviers" / Carole Chatelain in Lyon Figaro, 30 décembre 1987, p.4.

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