[Procès Klaus Barbie : Robert Pagès et Tony Lainé, témoins...

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0741 FIGRPTP0273 03
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 15 x 20 cm (épr.)
historique Le procès de Nikolaus dit Klaus Barbie s'est déroulé du 11 mai au 4 juillet 1987 devant la Cour d'Assises du département du Rhône, au Palais de Justice de Lyon. C'était la première fois en France que l'on jugeait un homme accusé de crime contre l'humanité. Les charges retenues contre Barbie concernaient trois faits distincts : la rafle opérée à Lyon le 9 février 1943 à l'Union Générale des Israélites de France (UGIF), rue Sainte-Catherine ; la rafle d'Izieu du 6 avril 1944 ; la déportation de plus de 600 personnes dans le dernier convoi parti le 11 août 1944 de Lyon à destination des camps de la mort. Au terme de huit semaines d'audience, Klaus Barbie est condamné le 4 juillet 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité. Il décède le 25 septembre 1991 à la Prison Saint-Joseph à Lyon.
historique Est-il permis par la mémoire de reconnaître une personne lorsque quarante ans ont passé ?" C'est, en substance la question posée par Me Libman à deux scientifiques éminents, entendus le 12 juin 1987 en fin d'audience en vertu du pouvoir discrétionnaire du président Cerdini. Une interrogation à laquelle le docteur Tony Lainé, psychiatre, médecin des hôpitaux de Paris a apporté une réponse nettement positive, de même que Robert Pagès, professeur de psychologie sociale, directeur honoraire au Centre National de la Recherche Scientifique. Néanmoins, si le docteur Lainé s'est contenté d'une approche purement clinique de la question, M. Pagès n'a pas craint de prolonger son analyse par des affirmations quant à la psychologie de Klaus Barbie. Des arguments qui ne furent pas du goût de Me Vergès. Les souvenirs sont-ils on non d'ordre traumatique ? C'est le préalable posé par le docteur Lainé avant d'affirmer que la mémoire ne fonctionne pas de la même. façon dans l'un ou l'autre de ces registres : "Si les faits remémorés n'ont rien de dramatique, ils peuvent subir certaines modifications liées au psychisme de l'individu qui pourra embellir ou occulter certains détails, par contre dans le cas d'un événement particulièrement grave et traumatisant, l'évocation mémorielle se fait à l'état brut, avec une précision très forte..." Il parait difficile de classer les souvenirs des victimes de Klaus Barbie dans une autre catégorie. Des victimes qui, toutes sans exception, ont insisté lors de leur confrontation avec l'ancien chef de la Gestapo de Lyon, sur son regard qui, plus de quarante ans après, n'avait rien perdu de sa dureté. Or, c'est précisément l'étage oculaire que privilégie la mémoire visuelle, selon M. Tony Lainé. Pour le praticien, il ne fait pas de doute que les souvenirs les plus chargés d'émotion persistent le plus longtemps : "A tel point, ajoute-t-il, que si j'ai parfois tenté d'aider certains patients à se débarrasser de souvenirs douloureux après des expériences traumatisantes, je n'ai enregistré que peu de résultats positifs..." Le docteur lainé devait également ajouter que l'idée même de comparaître lors d'un tel procès exigeait de la part des témoins, anciennes victimes de sévices graves, un énorme courage pour revivre de tels moments mais que cette opportunité était, en quelque sorte, une garantie de sincérité en ce qu'elle provoquait chez les individus l'élaboration d'un souvenir aussi douloureux que tenace. "S'il est impossible de prouver que la reconnaissance d'une personne après 40 ans est certaine, il est également impossible de démontrer le contraire", devait prévenir d'emblée le professeur Pagès avant d'ajouter cependant que certaines conditions étaient plus favorables que d'autres au bon fonctionnement de la mémoire. Selon lui, les souvenirs traumatiques se fixent effectivement de façon plus intense. Une opinion qui rejoint tout à fait celle du docteur Lainé, d'autant qu'à son tour M. Robert Pagès insistera sur l'importance du triangle des yeux et du nez pour la mémoire visuelle. S'il admet néanmoins que si, comme dans tout procès, peut se poser la question de la validité des témoignages, Robert Pagès estime par ailleurs "qu'il serait artificiel de couvrir ainsi le problème de savoir pourquoi tel ou tel prévenu refuse de se reconnaître pour ce qu'il est..." Et d'entamer un exposé quant à la psychologie de Klaus Barbie pour affirmer notamment : "si l'accusé dénie son identité par des arguties juridiques, il ne renie pas sa criminalité..." Par ailleurs, M. Pagès veut voir un symbole dans le pseudonyme que Barbie s'est choisi : "il ne veut pas dépouiller le vieil homme..." (Altman signifie "vieil homme", en allemand). Me Vergès réagira vivement à cette interprétation, estimant que le professeur Pagès ne pouvait ainsi affirmer que son client est un criminel, sur des considérations d'ordre psychologique. "Nous sommes entre juristes et n'avons pas de leçons à recevoir, s'écriera l'avocat de la défense avant de demander au professeur s'il estimait que M. Willy Brandt, ancien chancelier d'Allemagne Fédérale, avait lui aussi quelque chose à cacher... Une allusion directe au fait que M. Brandt avait également changé de patronyme, provoquant la dernière intervention de ta partie civile, en l'occurrence Me Bermann qui rappela qu'Hitler non plus ne s'appelait pas Hitler... On s'éloignait de plus en plus du sujet, ce que le président Cerdini ne manqua pas de rappeler avant de clore les débats. Source : "La mémoire en question" / Jean-Jacques Billon in Lyon Matin, 13 juin 1987.

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