[Procès Klaus Barbie : Victor Sullaper, témoin du...

[Procès Klaus Barbie : Victor Sullaper, témoin du ministère public]
droitsCreative Commons - Paternité. Pas d'utilisation commerciale. Pas de modification.
localisationBibliothèque municipale de Lyon / P0916 FIGRPTP0273 02
technique1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 15 x 20 cm (épr.)
historiqueLe procès de Nikolaus dit Klaus Barbie s'est déroulé du 11 mai au 4 juillet 1987 devant la Cour d'Assises du département du Rhône, au Palais de Justice de Lyon. C'était la première fois en France que l'on jugeait un homme accusé de crime contre l'humanité. Les charges retenues contre Barbie concernaient trois faits distincts : la rafle opérée à Lyon le 9 février 1943 à l'Union Générale des Israélites de France (UGIF), rue Sainte-Catherine ; la rafle d'Izieu du 6 avril 1944 ; la déportation de plus de 600 personnes dans le dernier convoi parti le 11 août 1944 de Lyon à destination des camps de la mort. Au terme de huit semaines d'audience, Klaus Barbie est condamné le 4 juillet 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité. Il décède le 25 septembre 1991 à la Prison Saint-Joseph à Lyon.
historiqueDur métier que celui du président Cerdini. Avant de faire prêter serment à un témoin, il doit lui poser cette question rituelle mais ô combien incongrue quand il s'agit d'une ancienne victime de Barbie : "Vous n'avez avec l'accusé aucun lien de parenté ou d'alliance ?". Victor Sullaper a manifestement du mal à réaliser ce que le magistrat vient de lui demander. Embarrassé, le président Cerdini lui répète la formule en lui précisant qu'elle appartient aux rites judiciaires incontournables. Victor Sullaper confirme qu'il n'a aucun lien de parenté ou d'alliance avec l'ancien chef de la Gestapo de Lyon et jure de dire toute la vérité, rien que la vérité. Bien droit à la barre, cet homme de soixante-six ans - crâne dégarni et moustache poivre et sel - commence le récit de celle rafle opérée par la Gestapo le 9 février 1943 à l'Union générale des Israélites de France, au 12 de la rue Sainte-Catherine. "Ça n'est pas facile, monsieur le président. Je dois revenir en arrière" : Victor Sullaper se contente en fait d'indiquer à la cour que son frère et lui travaillaient à l'époque au sein de ce comité qui s'efforçait de dispenser des secours aux familles juives démunies. Ce dont Victor Sullaper est venu parler, c'est ce 9 février 1943 qui endeuille sa vie et rien d'autre. "Subitement, j'ai vu entrer des gens en civil qui crièrent en allemand : 'Gestapo. Hände hoch !' C'était horrible, c'était la terreur. Toutes les personnes qui entraient étaient aussitôt happées. Ils obligèrent la standardiste à dire à tous ceux qui appelaient de venir au siège". Victor Sullaper explique alors comment il peut se trouver là quarante-quatre ans plus tard : "Mon frère était plus âgé que moi et il était venu en France plus tard. Il avait un petit accent et il avait donc gardé sa vraie identité. Moi, j'avais une fausse carte au nom de François-Victor Sordier". C'est ce qui va le sauver. Dès que les policiers nazis le libèrent, il se précipita dans un bureau de poste pour expédier un télégramme au consistoire de Nice où se trouvaient des responsables de la Fédération des sociétés juives de France : "Monsieur Schorban est arrivé à l'UGIF de Lyon, prévenez qui de droit". En hébreu, "schorban" signifie malheur. Il rentra ensuite au domicile familial à Villeurbanne : "J'ai dit à mes parents que nous ne reverrions plus Rachmil et nous avons dit la prière des morts". Victor Sullaper doit s'interrompre, étouffé par les sanglots. L'émotion est à son comble dans l'assistance. Le président Cerdini lui propose de s'asseoir. Mais le témoin s'est déjà ressaisi et va répondre avec une scrupuleuse honnêteté aux questions du magistrat et à celles de l'avocat de la défense. Etaient-ils en uniforme ? "Dans ma mémoire, c'étaient des gens en civil. Ils portaient des espèces de gabardines très longues". Un autre témoin, Mme Léa Weiss, avait parlé la veille de "manteau de cuir noir ", sans exclure elle non plus d'être trahie par sa mémoire. Mme Eva Gottlieb avait répondu pour sa part : "Si mes souvenirs sont exacts, deux ou trois étaient en civil et deux ou trois en uniforme". A quarante-quatre ans de distance, ce sont, en effet, des détails difficiles à retenir. Il y a, par contre, des bilans qui sont entrés dans l'histoire, tel celui des déportés du département du Rhône qui est présenté dans l'exposition sur la Résistance installée par l'ANACR à deux pas du Palais de Justice de Lyon : 686 hommes et 52 femmes déportés pour faits de résistance, 216 hommes et 9 femmes comme otages, 559 hommes et 106 femmes pour raisons raciales, 150 hommes et 9 femmes pour motifs politiques. Tous "ennemis du Reich", envoyés vers les camps de la mort par des hommes de la Gestapo de Lyon. La question de savoir combien de policiers nazis ont opéré lors de la rafle du 9 février 1943 et quelle tenue ils portaient ce jour-là apparait bien dérisoire au regard de ces assassinats en masse. Victor Sullaper va finir par le dire à sa manière : "La seule chose dont je suis certain, c'est que mon frère n'est pas revenu". Source : "La 9e audience du procès Barbie : la mémoire et les souvenirs" / Jean-Pierre Ravery in L'Humanité, 22 mai 1987.
note bibliographiqueVictor le rebelle : la résistance d'un juif en France / Victor Sullaper et Daniel Kluger, 1999 [non conservé]. - "Oral history interview with Victor Sullaper", United States Holocaust Memorial Museum, ca 2005. [En ligne) : http://collections.ushmm.org/search/catalog/irn49590 (consulté le 18-08-2016).

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