[Jean-Pierre Darroussin, comédien]

[Jean-Pierre Darroussin, comédien]
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localisationBibliothèque municipale de Lyon
technique1 photographie numérique : couleur
historiqueReportage réalisé au bar de la Tour Rose à l'occasion de la venue à Lyon de Jean-Pierre Darroussin pour la pièce "Le Génie de la forêt", d'Anton Tchekhov, mise en scène par Roger Planchon au Studio 24 de Villeurbanne du 21 janvier au 6 février 2005.
historiqueIl croyait qu'on était mardi, que sa matinée était libre. C'est mercredi. Nous avons rendez-vous au bar de la Tour Rose... Un rien confus, Jean-Pierre Darroussin arrive, pas trop la tête de celui qu'on a précipité sous la douche et hors de sa chambre. Si d'autres films ont dessiné l'image du timide, du naïf, un peu décalé, l'inoubliable rôle d'inadapté poétique au réel de "Mes meilleurs copains" l'a imposé au public. Un rôle de composition, pourtant, comme les autres. "L'effet de réel du cinéma, sans doute", dit le comédien qui ne se retrouve pas dans cette image. Réservé, plein de silences et de regards qui réfléchissent, avec une densité de présence, et un soupçon d'absence, il renvoie, en cette fin de matinée lyonnaise, une idée de profondeur habitée d'une certaine gravité. L'impression qu'il est là, tout en étant déjà sur le plateau ou encore dans sa chambre. Avant de se rendre à Villeurbanne pour y répéter, dans moins de deux heures, "Le Génie de la forêt" de Tchekhov, sous la direction de Roger Planchon, il y lisait "Apprentissages". Les mémoires que ce dernier vient de publier. Planchon s'y campe en Ardéchois, coeur fidèle, confiant à la destinataire du livre, sa petite-fille, les clés de sa construction personnelle, celles de sa vision du monde. "Sa grille de lecture n'est pas loin d'être la mienne", remarque Jean-Pierre Darroussin. Et d'évoquer le père berrichon qui monte à Paris, sabots aux pieds, ballot sur l'épaule. L'époque est différente. Les années cinquante, pour le petit Parisien, qui se souvient des vacances à la campagne dans le Puy de Dôme. Mais les valeurs familiales étaient les mêmes, celles de la France rurale. Le XIXe siècle en plein XXe. Planchon et lui, il y a longtemps qu'ils se connaissent. "Il y a vingt-cinq ans, j'ai mis en scène 'Dom Juan' au Conservatoire. Il est venu. C'est là qu'on s'est rencontré la première fois. Cela lui a plu, lui a, m'avait-il dit, donné l'envie de relire la pièce. Peu après, il la montait. Ces trente dernières années, j'ai suivi son parcours. Plusieurs fois, on a failli travailler ensemble. Ça ne s'est pas fait. Jusqu'à cette proposition de jouer Voïnitski dans 'Le Génie de la forêt'. J'ai lu la pièce. J'ai été emballé. Tout s'est décidé très vite." Avec Voïnistski, ce mieux que brouillon de Vania, Jean-Pierre Darroussin, volontiers cantonné par le cinéma dans le nonchalant sympathique et inoffensif, aborde le registre tragique pour la première fois. Il a bien joué, il y a vingt ans, le vieux Sorine dans la Mouette. "Un rôle de composition !, se souvient-il. J'étais tellement grimé que personne ne m'a reconnu. Pas même ma mère !" Voïnistski, c'est autre chose. "Un homme qui aborde à la forêt obscure. La vieillesse qui arrive, les repères qui se perdent. C'est un personnage dans l'émotion, comme tous ceux de la pièce. Un homme trop sérieux qui se suicide par colère, par dégoût de soi." "Par rapport aux personnages, poursuit-il, Planchon n'a pas de vues, il a simplement des réponses. Il veut qu'on aille chercher derrière la poésie du texte, derrière son lyrisme. Qu'on cherche sa signification concrète. Que les paroles de la chanson soient significatives et fassent images. Quand on arrive à faire que la parole résonne en nous, elle a plus de portée." Cette parole qui résonne en lui, Jean-Pierre Darroussin a besoin aussi qu'elle trouve en l'autre, le public, un écho. Qu'elle soit reçue. "Je n'arrive pas à être seulement dans mon plaisir d'acteur", analyse-t-il, expliquant ainsi son "blocage" par rapport au répertoire classique dont il est convaincu, à regret d'ailleurs, mais convaincu, qu'il ne parle plus aux gens. Aux jeunes en particulier. Jouer Molière ou Marivaux, quel sens, si les textes ne sont plus entendus ? Pour sa part. Il n'interdit rien aux autres. Mais, "le théâtre, c'est un truc vivant qui doit parler aux jeunes. Il faut qu'il soit contemporain". Il cherche des noms des dramaturges actuels, avance Reza ou Bacri-Jaoui (dont le propos est très près des gens). Dit qu'il y en a sûrement d'autres... "Au-delà de la fin du XIXe, cela commence à être trop vieux. Feydeau, Labiche, on peut encore s'amuser..." Et d'avancer que ce serait peut-être encore mieux si on les adaptait (!)... Passons. "Dans une pièce, poursuit-il, je recherche une langue qui a encore une certaine proximité. Chez Tchekhov, je la trouve. Il y a encore chez lui, des résonances possibles" D'où son retour au théâtre ? Quatre ans, en effet, que Jean-Pierre Darroussin n'avait fréquenté une scène. "Marre du théâtre". Il lui préférait les plateaux de cinéma "plus excitants". "La collaboration à la mise en scène y est passionnante. On se sent beaucoup plus libre, beaucoup plus responsable dans l'instant." En revanche, "on apprend moins. La performance exclut la recherche sur soi. Composer un personnage au cinéma, car là aussi on compose même si on y est plus proche de sa "nature", - moi, je n'ai jamais l'impression d'être moi-même au cinéma, cela se pense tout seul, dans sa chambre d'hôtel. Sans direction extérieure. À un moment, il y a nécessité de revenir au théâtre, de revenir à l'apprentissage." Nécessité aussi, à un certain moment dans une vie, de quitter ce statut d'éternel apprenti, de passer à l'acte... Non au théâtre, où la mise en scène (qu'il a déjà pratiquée, "il y a si longtemps...") l'intéresserait comme un exercice sur le langage et la communication dramatique, mais au cinéma. Un désir déjà ancien que l'adaptation qu'il vient de faire du roman d'Emmanuel Bove, "Le pressentiment", rend possible. La réalisation cinématographique passant nécessairement pour lui par la case "écriture". Jouera-t-il dans son film ? "Eh bien oui", répond-il sur le ton de la fatalité. "Je jouerai parce que ce que j'ai écrit passe par moi, et que cela aurait été une faute de mise en scène que de le faire jouer par un autre." Ceux qui ont lu son adaptation trouvent qu'il y a beaucoup de lui dedans. "Si c'est vrai, soupire-t-il, c'est atroce." Source : "Résonner avec le public" / Nelly Gabriel in Lyon Figaro, 18 janvier 2005, p.9.

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