Steinlen : un affichiste engagé
Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923), en plus de son travail d’affichiste fut également peintre, graveur et illustrateur. Bien loin de l’œuvre de Jules Chéret, si éclatante de grâce, de couleurs et de frivolité, la sienne adopte un ton plus grave et réaliste, non seulement par les thèmes abordés mais également par son style sobre, carré, voire austère.
Comme son contemporain le peintre et affichiste Eugène Grasset, Steinlen est d’origine suisse. C’est à Lausanne en 1859, qu’il voit le jour, dans une famille qui compte déjà plusieurs artistes (son grand-père paternel et son oncle sont des peintres et dessinateurs reconnus à Vevey où résident les Steinlen). Il développera très tôt des dons certains pour le dessin. Après avoir été formé au dessin industriel, le jeune Steinlen s’établit à Paris en 1881. Installé à Montmartre, il fréquente bientôt un important cercle d’intellectuels et d’artistes qui gravite autour du Chat noir, le fameux cabaret montmartrois pour lequel il réalisera une de ses plus célèbres affiches (la Tournée du Chat noir, 1896), encore largement diffusée de nos jours. Steinlen sera d’ailleurs un grand amoureux des chats et on les retrouvera dans bon nombre de ses œuvres.

Steinlen, Théophile Alexandre, Exposition de l'oeuvre dessiné et peint de T. A. Steinlen, 1894 (BmL, AffM0159)
C’est à partir de 1885 que sa carrière d’affichiste démarre. Une de ses premières œuvres sera Le Rêve, qui témoigne du goût de l’époque pour le Japon et plus généralement pour le monde asiatique, alors à la mode. Même si le ton et les couleurs restent sobres, l’œuvre, très réussie, montre toutefois que Steinlen n’a pas encore trouvé son véritable univers, qui évoque ici plutôt celui de Jules Chéret (notamment avec la danseuse au premier plan qui n’est pas sans rappeler la fameuse figure de la chérette).
Mais au fil des créations son style personnel se met en place. Steinlen recourt ainsi à un cadre réaliste mettant en scène de préférence le monde populaire, travailleur et urbain. Un moyen pour lui de faire passer ses idéaux et son engagement auprès des plus faibles. De fait, depuis son adolescence il a développé un attrait manifeste pour les questions sociales (notamment par la lecture de Zola pour lequel il réalisera les affiches publicitaires de certaines de ses œuvres). Cet engagement le poussera à adhérer au socialisme, voire même aux mouvements anarchistes pour lesquels il collaborera par la suite, via des journaux comme L’Assiette au beurre ou Les Temps nouveaux. Pendant la Première Guerre mondiale cet humaniste engagé exprimera son horreur du conflit en réalisant plusieurs affiches qui dénonceront les conditions de vie des soldats et des populations civiles, touchées par les affrontements.
Cette facette de son œuvre ne doit pas occulter pour autant d’autres aspects plus légers de son travail d’affichiste, avec comme exemple l’affiche ci-dessous, aux tons colorés, à l’atmosphère tendre et familiale dans un univers bourgeois.
Au total Steinlen réalisera près d’une quarantaine d’affiches, illustrant aussi bien des commandes pour des produits alimentaires que pour des spectacles comme des opérettes, des récitals ou des pièces de théâtre.
La production artistique de Steinlen, si variée par bien des aspects, est un précieux témoignage de son époque. Loin de se cantonner au monde du spectacle et de la publicité, ancrée dans la réalité, elle offre au public un reflet de la vie quotidienne des différentes classes sociales. Par l’engagement politique de l’artiste, elle est également porteuse d’un message humaniste en faveur des plus obscurs, des démunis qui ne peuvent faire entendre leur voix et qui seront toujours pour lui une source majeure d’inspiration.
A ce jour, la Bibliothèque municipale de Lyon conserve une dizaine d’affiches signées de la main de Steinlen, un grand nom de l’affiche à redécouvrir.