Un empire dans la tourmente. Affiches russes de... - numelyo - bibliothèque numérique de Lyon
aller au menu | aller au moteur de recherche | aller au contenu

Bibliothèque municipale de Lyon | Ville de Lyon

Ajout à votre bibliothèque

Pour pouvoir ajouter ce document à votre bibliothèque numérique, vous devez avoir un compte numelyo.

Créez ou connectez-vous à votre compte

L'inscription est gratuite et vos données personnelles ne seront en aucun cas communiquées à des tiers ou utilisées à des fins commerciales.


Fermer

Téléchargement

Nous vous proposons de télécharger :

  • Télécharger le document
  • Fermer

    Partager


    Lien permanent vers cette page

    Partagez cette page sur les réseaux sociaux



    Fermer

    Contactez-nous



    Fermer

    aidez-nous à décrire ce document !

    Si vous pouvez nous apporter des précisions concernant une date, un lieu, les circonstances ou les personnes représentées, indiquez-les dans ce formulaire.

    N'hésitez pas à nous laisser votre nom et e-mail, ils ne seront pas rendus publics.

    Merci !



    Fermer

    Poser une question

    Si vous le souhaitez, vous pouvez poser une question relative à ce document aux bibliothécaires.

    Le service du "Guichet du Savoir" est chargé d'y répondre en moins de 72 heures.

    Rendez-vous sur www.guichetdusavoir.org pour poser votre question.

    Fermer

    Un empire dans la tourmente. Affiches russes de la Première Guerre mondiale.

    Le 30 juillet 1914, le tsar Nicolas II cède aux pressions de ses conseillers et se résout à décréter la mobilisation générale afin de venir en aide à la Serbie, à laquelle l’Autriche-Hongrie a déclaré la guerre deux jours plus tôt. L’engrenage fatal des systèmes d’alliance entre nations entraîne l’immense empire dans une guerre qui va se mondialiser et conduire à la chute du régime tsariste.

    La bibliothèque municipale de Lyon conserve plus d’une dizaine d’affiches imprimées en Russie au cours du premier conflit mondial appelant à la souscription d’un emprunt de guerre. Elles ont été acquises dans le cadre de la constitution du Fonds de la Guerre, commencé dès 1915 à l’initiative du maire de Lyon Edouard Herriot, avec pour vocation de réunir une documentation sur le conflit issue de tous les pays belligérants. Les documents en provenance des pays alliés de la France, telle la Russie, sont évidemment les plus nombreux, pour des raisons évidentes de facilité d’accès. Ces affiches de guerre russes permettent d’appréhender quelques aspects cruciaux de l’empire immergé dans un conflit mondialisé auquel il ne survivra pas.

    Lors de son commencement à l’été 1914, la guerre ne souffre pas d’une grande impopularité, et la mobilisation se fait sans opposition, rencontrant l’adhésion de la population qui y voit un devoir de solidarité envers la nation slave qu’est la Serbie. L’agitation socialiste se trouve pour le moment étouffée par les événements. Une Union sacrée se fait jour, gommant provisoirement les profondes dissensions de la société russe. Les traditions nationales et spirituelles sont convoquées, et les grands thèmes iconographiques leur servant de caisse de résonnance sont employés dans la production imprimée de guerre.

    Elément essentiel des armoiries de la Russie impériale, l’aigle bicéphale occupe une position centrale dans l’affiche AffM0282. Aucun des attributs impériaux ne manquent (sceptre symbolisant le pouvoir tsariste, orbe surmonté d’une croix représentant l’Eglise orthodoxe russe, écusson central reprenant les armoiries de la Moscovie, à savoir saint Georges terrassant le dragon). Cette représentation héraldique est associée aux symboles traditionnels de la guerre, sabre, drapeau, fusils et canon. Avec l’affiche AffP0290, on retrouve l’aigle bicéphale dans une situation cette fois beaucoup moins conventionnelle : l’animal fond toutes serres déployées sur un autre aigle impérial, allemand celui-ci, et dont le plumage semble être mis à mal.

    L’aigle emblématique est à nouveau utilisé dans l’affiche AffM0284. Un bel effet de lumière y met en valeur deux héros nationaux appartenant à l’iconographie russe. Sans autre légende que la phrase « La nation a besoin de votre aide. Souscrivez. », elle met au premier plan deux statues de bronze tellement connues des Russes que le nom des personnages représentés n’est même pas mentionné. Il s’agit du monument de Minin et Pozharsky, situé au centre de la Place rouge de Moscou. Leurs silhouettes suggestives ont été placées en contre-jour devant l’aigle bicéphale de Russie nimbé de lumière. Elevé en 1818, le monument commémore la résistance russe menée par les deux personnages à l’invasion polonaise de 1612, pendant le Temps des troubles. Le prince Dmitry Pozharsky est assis tandis que le marchand-boucher Kuzma Minin, debout, étend le bras vers le Kremlin, absent de l’affiche. La référence à deux icônes de la nation russe doit contribuer à mobiliser les ressources financières du pays dans la lutte contre l’ennemi.

    La grande-duchesse Elizabeth, veuve du grand-duc Serge assassiné en 1905 et pourtant elle-même allemande de naissance, n’hésite pas à faire de la guerre « une croisade menée avec l’aide de tous les saints de la Russie ». Cette idée se trouve clairement exprimée dans l’affiche En avant pour la Patrie (AffM0395), où l’on voit un cavalier russe à l’équipement médiéval brandir le drapeau de l’empire frappé de l’aigle bicéphale. Ce dernier comporte la représentation traditionnelle du saint protecteur de la Russie, saint Georges terrassant le dragon. Le saint tutélaire de la Russie est par ailleurs repris en figure centrale dans une affiche de Jan Rousks (AffP0180), avec un traitement iconographique évoquant l’art de l’icône.

    D’autres affiches abordent des problèmes plus concrets qui se posent rapidement à l’armée impériale. Au début de la guerre, l’armée russe compte plus de 1,4 millions d’hommes dans ses rangs. Avec les réservistes en cours de mobilisation et les conscrits, on atteint près de 6 millions de soldats. L’énorme réservoir démographique russe ne peut cependant pas masquer les insuffisances matérielles notoires. Cette armée, essentiellement composée de paysans mobilisés, ne compte que 4,6 millions de fusils, 7000 canons et une artillerie lourde quasi inexistante. Les cadres de l’armée ne sont également pas à la hauteur.

    Ces difficultés matérielles sont évoquées en filigrane dans certaines affiches imprimées pour promouvoir l’emprunt de guerre. L’affiche de Varjanski AffM0251 présente ainsi un convoi ferroviaire transportant un canon et des explosifs. Le texte légendant l’affiche « Plus on aura d'argent, plus on aura d'armes et de munitions, plus on se rapprochera de la victoire » trahit les faiblesses militaires russes. Les affiches AffP0181 et AffM0394 insistent également sur les besoins en artillerie de l’armée russe. Des soldats russes déplacent un canon dans la première. Dans la seconde, un convoi de matériel, vraisemblablement des munitions pour l’artillerie, porte sur le dos de chaque camion la mention placardée « N’économisez pas les obus ».

    Les affiches AffP0291, AffM0283 et AffM0285 mettent en scènes des fantassins russes en action. Sur la dernière d’entre elles figurent quatre soldats en position de tir abrités derrière une congère et accompagnés du texte suivant : « Tous ceux qui ont des proches dans les rangs de l'armée prouvent leur soutien en souscrivant ». L’affiche fait appel aux liens, familiaux ou relationnels, unissant combattants et civils afin de susciter l’empathie. La guerre affecte en effet une part immense de la population russe et se traduit par des pertes humaines effroyables. Sur 15 millions de mobilisés, à savoir la moitié des hommes en âge de travailler, plus de la moitié sont tués, blessés ou capturés. Si les opérations militaires de l’année 1914 ne sont pas trop mauvaises pour la Russie, si l’on excepte le désastre de la bataille de Tannenberg au mois de septembre, la situation se dégrade en 1915 et la Russie ne parvient pas à enrayer un délitement progressif dû à des faiblesses structurelles.

    L’affiche AffM0286 évoque le théâtre des opérations navales, en donnant à voir deux marins russes appartenant à la flotte de la Baltique, comme en font foi l’inscription sur le béret et le rappel de la croix de Saint-André bleue sur fond blanc servant de drapeau à la marine de guerre russe. Les deux hommes sont en train de charger un obus dans le canon d’un navire de guerre. Là encore, il est fait appel au patriotisme des souscripteurs : « Une forte participation à l'emprunt est un devoir pour tous ». En butte à une marine allemande disposant d’un nombre plus important de navires eux-mêmes techniquement supérieurs, la flotte impériale russe est essentiellement cantonnée à des missions défensives. Mais d’autres problèmes surgissent, en lien avec l’agitation politique grandissante à l’arrière du front. Cette affiche, imprimée en 1916, garde ainsi le silence sur les mutineries ayant cours la même année dans la flotte de la Baltique.

    La situation au front n’est cependant pas le seul sujet d’inquiétude pour le gouvernement du tsar. Les problèmes économiques s’accumulent également pour l’empire en guerre. De graves difficultés affectent l’industrie de guerre russe dès les débuts du conflit. Les usines ont été reconverties pour les besoins de l’effort de guerre mais la production militaire reste notoirement insuffisante : on fabrique huit à neuf fois moins de fusils et de cartouches qu’il ne faudrait, d’autant que la Russie recevait l’essentiel de ses importations par ses frontières occidentales désormais fermées. Une baisse de 30 % de rendement affecte la production des usines privées de leur main-d’œuvre traditionnelle partie au front. Elles emploient désormais un nombre important d’ouvriers non qualifiés et de femme dont une grande partie vient de la campagne. Cette situation inédite, commune à la majorité des pays belligérants, est rappelée par l’affiche Tous pour la Patrie (AffM0396) dans laquelle une femme manoeuvre une machine-outil, en l’occurrence un tour de grande dimension, symbole de l’implication de la nation entière dans une guerre totale.

    Après deux ans de conflit, la situation financière est catastrophique. Une série d’emprunts extérieurs d’un montant de sept à huit milliards de roubles gonfle démesurément la dette publique. « Notre entière dépendance vis-à-vis des Alliés est accablante » reconnaît le ministre des Finances. La Russie se vide de son or pour payer ses achats. Quant aux emprunts intérieurs - sujets principaux des affiches ici présentées - contractés auprès de la nation, ils font passer la dette publique totale de moins de vingt milliards à plus de soixante milliards de roubles entre 1914 et 1917.

    Ces écueils rendent particulièrement vulnérable une Russie impériale non préparée à un conflit de longue durée. Pénuries en matériel militaires, pertes humaines considérables, situation économique dégradée font peu à peu renaître un climat social et politique instable propice aux idées révolutionnaires. Elles finissent par trouver leur aboutissement dans les révolutions de février et octobre 1917. Les insurrections consacrent dans la tourmente la chute du régime impérial et l’édification d’une nouvelle Russie, basée sur les principes communistes du pouvoir rendu au peuple organisé en soviets (conseils). Une autre histoire commence, celle de l’URSS, qui ne manquera pas « d’ébranler le monde » selon l’expression du journaliste et militant communiste américain John Reed.

    Pour citer cet article

    Référence électronique

    Gérald Andres, Un empire dans la tourmente. Affiches russes de la Première Guerre mondiale., numelyo [en ligne], mis en ligne le 2014-02-07T08:35:18.739Z, consulté le 2024-04-16 17:01:06. URL : https://numelyo.bm-lyon.fr/BML:BML_00GOO01001THM0001russe

    Logo culture libre Logo Bibliothèque municipale de Lyon Logo Ville de Lyon