Les habits du psautier
La Bibliothèque de Lyon a pu acquérir en 2006 grâce aux crédits du FRAB (Fonds régional d’acquisition pour les bibliothèques) et de la Ville de Lyon, la collection de M. Jean-Daniel Candaux qui comprend 1242 psautiers.
Fruit d’achats raisonnés chez les libraires et dans les salles des ventes ainsi que de dons d’amis ou collectionneurs (on y trouve un certain nombre de psautiers donnés par le regretté Pierre Pidoux) la collection, constituée pendant une vingtaine d’années, comprend un ensemble rarement réuni de psautiers, de recueils de psaumes et de bibles. La Bibliothèque de Lyon déjà riche en ouvrages religieux par son fonds ancien issu de la Bibliothèque du Collège des jésuites de la Trinité de Lyon et par le dépôt en 1999 de la Bibliothèque de la Compagnie de Jésus de Chantilly (450.000 volumes) a pu ainsi compléter ses ressources dans le domaine des psaumes [note].
La Bibliothèque Candaux conserve une proportion notable d’éditions de l’Ancien régime : 12 éditions du XVIe siècle, 230 éditions du XVIIe siècle, 500 éditions du XVIIIe siècle et autant du XIXe siècle.
Selon les voeux du collectionneur et aussi afin de garder la cohérence de la collection pour les générations futures, la Bibliothèque municipale a exceptionnellement et scrupuleusement respecté l’agencement de cette bibliothèque privée. C'est-à-dire que les psautiers sont restés classés par un système alphanumérique en fonction de leurs formats et de la typologie de leur « couvrure » ou de leur dos : les lettres de l’alphabet ont toutes été utilisées sauf le I et le Z, On aura une idée plus précise de cette organisation par le tableau ci-dessous.
A | 1 - 12 | Grands formats |
B | 1 - 59 | In-4° |
C | 1 - 86 | Grand in-8° |
D | 1 - 30 | Plein parchemin |
E | 1 - 77 | « Exposition » |
F | 1 - 62 | In-8°, dos muet |
G | 1 - 42 | In-8°, à fermoirs |
H | 1 - 135 | In-8°, dos orné ou titré |
J | 1 - 70 | Plein chagrin |
K | 1 - 28 | Plein chagrin à coins, plaques, fermoirs |
L | 1 - 15 | A la« Du Seuil » |
M | 1 - 52 | « A la huguenote », avec ou sans fermoirs |
N | 1 - 6 | Allongés |
O | 1 - 10 | Oblongs |
P | 1 - 88 | In-12, dos muet |
Q | 1 - 134 | In-12, dos orné ou titré |
R | 1 - 118 | Petit in-12 |
S | 1 - 45 | Petit in-12 avec fermoirs |
T | 1 - 35 | Velours |
U | 1 - 6 | Boîtes |
V | 1 - 95 | Petits formats avec ou sans fermoirs |
W | 1 - 8 | Nains |
X | 1 - 4 | Malades |
Y | 1 - 25 | Brochés |
Cette classification, ne s’attache pas à la chronologie, ni au contenu, mais à certaines caractéristiques physiques des ouvrages, c'est-à-dire à des éléments de rangement (comme les formats traditionnels et d’autres comme allongés, oblongs, nains), à des types de matériaux de couvrure (parchemin, chagrin, velours), et à des genres de décor (« à la Du Seuil », « à la huguenote », dos muet, dos orné) ou d’attaches (présence ou non de fermoirs). Enfin, on remarquera l’importance d’une catégorie précieuse : « Exposition ». Notons que cette disposition sur les rayonnages par séries homogènes permet de dégager des ensembles de reliures comme on en voit rarement dans les bibliothèques municipales où les livres sont simplement rassemblés par cotes successives correspondant à leur ordre d’entrée dans les collections.
On ne reviendra pas sur l’importance et la rareté des exemplaires au point de vue de l’édition, mais il est intéressant de s’attarder plus spécifiquement sur les reliures car on trouve dans la collection Candaux un échantillon tout à fait remarquable d’histoire de la reliure aussi bien dans le temps (XVIe-XXe siècle) que dans l’espace (France, Suisse, Anciens Pays-Bas, Angleterre, Allemagne). Evidemment, la reliure française mais aussi la reliure helvétique, notamment romande, sont omniprésentes.
Dès son origine comme le souligne Jean-Daniel Candaux [note] le psautier, a été recouvert pour le protéger, avec les matériaux usuels de son époque, c'est-à-dire en parchemin, en basane et en veau comme la plupart des ouvrages. Son originalité tient à ce que le psautier tout comme le missel d’ailleurs, est d’un usage fréquent, qu’on le laisse au temple ou qu’on le conserve sur soi et qu’il a fallu le couvrir d’une reliure solide. Par ailleurs la « décente modestie » des protestants réclamait une grande simplicité et même une certaine austérité. Longtemps, le matériau le plus courant a été le parchemin ou le chagrin qui ont l’avantage de la solidité (cf. les catégories de la collection : D, H, J, K).
Le parchemin bien relié au corps d’ouvrage dans une reliure « à la hollandaise », c'est-à-dire à couture de fines lanières de parchemin passant par la gorge, est extrêmement solide, mais il ne se prête pas l’ornementation. Beaucoup de bibliothèques et non des moindres au XVIIe siècle comportaient une majorité de livres couverts en parchemin. On peut penser à la « collection blanche » du duc de Brunswick, dont tous les ouvrages sont encore conservés à Wolfenbüttel.
Une catégorie aussi caractéristique et connue est celle des reliures dites «huguenotes ». En effet dès 1710, la mode se répand de faire relier les psaumes en plein chagrin noir, d’une manière austère mais particulièrement solide. D’après Jan Storm van Leeuwen [note], cette peau si particulière et jusqu’ici mal identifiée serait une peau de mammifère. On a parfois pensé à une peau d’animal marin étant donné la solidité de cette texture et donc de galuchat, cette peau de roussette ou de requin qui par son grain très serré était d’une extrême solidité. On pencherait actuellement plutôt pour du cheval ou du mulet, teinté à l’encre noire. Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, des peaux plus traditionnelles furent mises sous presse avec des dessins en forme de points imitant le chagrin. Un traitement particulier durcissait le cuir et cette solidité était accrue par une pièce de cuir de renforcement en tête et en queue du dos. Le chagrin irrégulier ne permet aucune dorure. Aussi, la décoration s’est réfugiée sur les ornements généralement en cuivre ou en argent : bouillons, cornières, tenons, fermoirs…On trouve parfois des clous en étoile sur les plats et sur le dos. Il existe aussi des reliures en veau avec les mêmes ornements. En Hollande, la tradition voulait que les femmes portent ces reliures attachées par une chaîne à la ceinture, mais il n’y a pas de point d’attache sur les reliures conservées dans le fonds Candaux.
Un air de richesse se retrouvait dans les papiers des pages de garde et dans les fermoirs en argent. Certains psautiers, notamment ceux de Suisse et reliés « à la huguenote » comprennent des gardes luxueuses avec des papiers multicolores (orangé, pourpre, jaune, vert), gaufrés et dorés. Ils sont particulièrement abondants dans la série G mais aussi occasionnellement à d’autres cotes. Ces papiers de garde sont souvent d’origine germanique, transitant par la Hollande (Dutch Floral ou Dutch Gilt), on les appelait Bronzefirnis sans relief ou Goldfirnis ou Brokatpapiere (dorés en relief). Certains sont simplement unis avec des reflets argentés ou dorés, à petits motifs réguliers, d’autres ont des motifs plus décorés, mais sans rien de religieux, ils sont souvent à l’imitation de tissus, ornés de rinceaux , fruits, animaux [note], oiseaux, ou même de chinoiseries.

© Bibliothèque municipale de Lyon

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Une tradition, que la collection met bien en valeur, voulait que le propriétaire fasse graver ses initiales ou son nom ainsi que la date sur la face inférieure du fermoir [note]. Cette tradition est particulièrement remarquable en Suisse, Suisse alémanique etc. On connaît quelques exemplaires où de telles initiales figurent sur la face extérieure du fermoir. La date mentionnée est souvent postérieure de plusieurs années à celle de l’impression du psautier. Certains fermoirs raffinés sont à motifs de dauphins, d’autres en forme de lyre ou de cordelière, d’autres enfin en forme de coquille.
Enfin, un ornement discret sur les reliures helvétiques est celui de la tranche peinte de deux couleurs.
Toutefois, le prix qu’y attachaient leurs possesseurs a amené progressivement à des reliures plus luxueuses.
Déjà au XVIe siècle, on trouve quelques reliures de luxe notamment en parchemin estampé à froid, ou des petites reliures « de poche » du XVIe siècle raffinées et décorées au petit fer, mais c’est le XVIIe siècle qui voit apparaître l’utilisation régulière du maroquin coûteux et de la dorure. La collection Candaux comprend une cinquantaine de reliures dites « de Charenton ». Ces reliures qui recouvrent souvent des impressions d’Antoine Cellier ou de libraires parisiens (Pierre Des Hayes, Etienne Lucas), avec la mention spécifique : « se vendent à Charenton », comportent souvent des décors « au pointillé » ou filigranés, typiques de la seconde moitié du XVIIe siècle. L’encadrement intérieur y est interrompu par des portions de cercles et d’importants remplissages de fleurons. Certaines de ces reliures remarquables sont peut-être dues aux ateliers de Macé Ruette ou de Florimond Badier, les grands relieurs parisiens de l’époque.
Reliure de Charenton : Les Pseaumes de David. - Charenton, 1675 [BML Candaux M 51] [85 x 155 mm] |
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Reliure de Charenton : Les Pseaumes de David. - Charenton, 1658 [BML Candaux M 50, plats inférieur] [87 x 148 mm] |
Reliure de Charenton : Les Pseaumes de David. - Charenton, 1658 [BML Candaux M 50, plats supérieur] [87 x 148 mm] |
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Preuve de raffinement supplémentaire, les traces de lacets de soie, les fermoirs ouvragés y sont fréquents, les tranches sont dorées et parfois « antiquées », c'est-à-dire qu’on a gravé en creux des motifs décoratifs au burin ou aux fers, les coupes sont décorées au fer. Néanmoins malgré le luxe des matériaux et des décors, une certaine retenue est visible par l’absence d’armoiries ou de chiffres que l’on trouve quasi obligatoirement sur les livres profanes. On trouve également dans la collection Candaux une superbe reliure « à l’éventail ».
C’est dans la série « Exposition », que l’on trouve évidemment une sélection des plus belles reliures et des plus raffinées (77 volumes en parfait état). On y distingue une majorité de reliures helvétiques de la seconde moitié du XVIII e siècle et du début du XIXe siècle, sobres et élégantes, généralement en veau glacé ou en maroquin de couleur avec un discret décor doré de guirlandes de fleurs, de roulettes, de dentelles et même d’oiseaux, accompagnées de fleurs en écoinçons.
Reliure suisse : Nouveau recueil de Psaumes. - Francfort, 1797 [BML Candaux E 14] [110 x 185 mm] |
Reliure suisse : Les Pseaumes de David. - Genève, 1780 [BML Candaux E 53] [90 x 165 mm] |
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Il faut y ajouter une série de reliures françaises de petits formats du XVIe siècle [note] sur des éditions huguenotes de Sedan, Saumur etc. avec un dos plat et un décor de roulettes très savant.
Petit format : Le nouveau Testament. - La Rochelle, 1623 [BML Candaux E 50] [60 x 115 x 35 mm] |
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Dès la seconde moitié du XVIIIe on voit apparaître poussés au fer à dorer les noms des propriétaire, souvent féminins, puis les blasons des villes suisses (Genève, Neuchâtel, Vevey), puis les livres de récompense et de prix, souvent de musique ou de religion.
Au XIXe, on rencontre des reliures en toutes sortes de supports, mais parallèlement on voit se multiplier d’élégantes reliures en plein veau glacé, en maroquin rouge ou vert à grain long avec des décors antiquisants ou romantiques, dont le ou les motifs sont « à plaque ». Certaines de ces reliures estampées à froid ont un décor romantique typique « à la cathédrale ».
Tous les coloris s’y retrouvent en des formats plus manipulables. On finira par rencontrer sur des psautiers genevois des reliures en plein velours violet ou bleu marine à bordure d’argent qui évoquent le style des missels dits de « Saint-Sulpice », tradition légèrement différente tout de même des missels souvent décorés de plaques d’ivoire (série T).
Reliure en velours et ornements d'argent Les Ps. de David. - Valence, 1851 [BML Candaux U 1] [110 x 68 mm] |
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Le fonds Candaux comprend aussi nombre de reliures helvétiques, anglaises, allemandes, hollandaises, suédoises et même canadiennes. La cote L est presque entièrement consacrée à ces reliures étrangères. Certaines reliures anglaises sont à décor, mais le plus souvent en veau à fermoirs d’argent. Il existe enfin dans cette collection quelques exemplaires atypiques et rarissimes : reliure de bible in-folio , reliure du XVIe siècle avec le profil de Clément Marot, reliure lyonnaise du XVIe siècle sur vélin etc..

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Reliure rare : La Bible qui est toute la sainte écriture. - [Genève], 1562 [BML Candaux A 8] [185 x 280 mm] |
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Reliure rare : Les Pseaumes de David. - Lyon, 1563 [BML Candaux E 60] [90 x 125 mm] |
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Quelques reliures sont signées de grands relieurs parisiens du XIXe siècle qui travaillaient pour une clientèle bibliophilique : Simier, relieur du roi, Thouvenin, Koehler, Ginain, A. Petit, Delaunay, Hardy, Lebrun, Belz-Niedrée, Herling, Lesort, Lafon etc..
Par contraste la série Y est consacrée aux livres brochés de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle conservés tels que sortis des presses.
En dehors d’un usage spécifiquement religieux, les psautiers ont été collectionnés pour leur rareté bibliophilique, leur intérêt textuel ou musical, ils peuvent donc avoir des provenances prestigieuses ou inattendues notées au fil des pages. On relève ainsi les noms de Charles d’Orléans dit l’abbé de Rothelin, du comte de Paris, du duc de Vallombrosa, de Conrad de Witt, gendre de François Guizot, du comte de Salm, de Victorien Sardou, de Robert de Billy, d’Abel Hermant, de Christine Arnothy, d’Alfred Cortot, des jésuites de Vals et de familles notables genevoises : Pictet, Rilliet-Necker, Gallatin, Turretini, Lullin-Pictet, Tronchin, Vernet, et enfin des villes de la Suisse : Vevey, Neuchâtel, Lausanne. Il y a aussi des provenances plus modestes qu’il serait intéressant d’analyser.
On dit que la reliure est fille de l’imprimerie, ici elle témoigne effectivement des différents modes et styles de protection du texte imprimé. Largement diffusé, le psautier, témoin privilégié de la méditation ou d’une participation collective, livre d’une vie, a presque toujours été soigneusement relié. La collection Candaux dans son abondance montre à l’évidence par la simplicité ou par la qualité des reliures tout le prix que les usagers du psautier ont attaché à le protéger et le conserver.
Pour aller plus loin...
Visitez l'exposition virtuelle " Le Chant de David. Les psaumes en vers français (XVIe-XVIIIe siècles)" de la bibliothèque municipale de Lyon