Jean Dieuzaide, photographe
Jean Dieuzaide, photographe français, créateur et animateur à Toulouse de la Galerie municipale du Château d'eau, première galerie permanente de photographie en France
Je dois reconnaître que la photographie m’a choisi alors que je souhaitais être pilote. Je ne regrette rien. Cependant, il m’a été dur d’assumer ma condition de photographe soumise d’une part à l’hégémonie parisienne, d’autre part aux railleries, à l'incompréhension et aux regards d’indifférence hautaine du milieu des arts, de la culture, de la politique et autres pontifiants. Ils me furent stimulation pour engager combat contre cet aveuglement suffisant et fossoyeur, incapable de sentir que la “pensée” s’incarne dans la photographie comme dans toute œuvre d’art digne de ce nom. Car enfin, il faut être aveugle, idiot ou ségrégationniste pour ne pas “reconnaître” que cette étrange invention, école du regard, qui redouble le monde sous nos yeux pour mieux le faire comprendre, est le fait d’une “empreinte lumineuse”, issue de la réalité des vibrations profondes de la “lumière”, au propre et au figuré, mystère que la science ne résoudra jamais, pas plus qu’elle ne résoudra celui de la “camera obscura”. La photographie a cet “essentiel” dans lequel circule la sensibilité et l'authentique, notions qui échappent aux gesticulateurs prétentieux et dérangent les tricheurs de tous bords. Elle “secoue“ l’art, en particulier la peinture, selon Cézanne et bien d’autres artistes conscients de ce que la lumière, synonyme de spirituel, est sa manière privilégiée et fondamentale. Par ce fait, elle est la seule des disciplines artistiques à révéler le pragmatisme de la “matière”, matière qualifiée par Teilhard de Chardin “Icône de Dieu”. Abstrait ? ... pas du tout... On peut dire, en forme de boutade, que même l’ombre est concrète sur une photographie ! Dans cette lucidité, mon “corps à corps” de cinquante ans a été source de profondes émotions m’incitant à penser que le travail librement consenti est source de toutes valeurs. Je serai mal venu de regretter d’être photographe. J’en suis fier, n’en déplaise aux raisonneurs abscons.
Préface du catalogue de l’exposition Jean Dieuzaide Atzera begirakoa - Retrospectiva - Rétrospective, San Telmo museoa, 2001
Un combat en faveur de la photographie
S'il est difficile de ne rien omettre parmi les innombrables sujets que Jean Dieuzaide traite, il est une difficulté bien plus grande qui est celle de rendre compte de ses nombreuses préoccupations. Jean Dieuzaide a inlassablement défendu le respect du photographe, il s'est insurgé contre les journaux qui souvent, à cette époque, méprisaient la photographie et son auteur. Réalisant le fait que la photographie ne bénéficie pas au sein des milieux artistiques et intellectuels européens du prestige dont elle jouit aux Etats-Unis, Jean Dieuzaide n'a cessé de sensibiliser les institutions, de faire bouger les photographes craintifs. C'est à ce titre déjà qu'il a créé "le Groupe Libre Expression" bousculant la rigidité "des photographes de salons". Il souhaitait aussi valoriser le statut de la photographie, en exigeant entre autre qu'elle figure dans le cursus universitaire. Certain que la création photographique doit trouver sa place, et mettant l'accent sur l'engagement insuffisant de l'Etat, il créa en 1970, avec ses amis : Clergue, Boubat, Brihat, Gautrand, Lemagny, Sudre et quelques autres les Rencontres Internationales de la photographie.
C'est en 1974, que Jean Dieuzaide, convaincu de la nécessité d'œuvrer pour cet art qui lui est si cher, fonde la Galerie du Château d'Eau. Quelle passion et quel zèle portent cet homme dans son engagement de chaque jour, si ce n'est de remplir la mission qu'il s'est donnée : défendre l'expression photographique. Cette première galerie française exclusivement dédiée à la photographie, montrera à une cadence régulière (une exposition par mois) les plus grands noms de la photographie internationale. Les rencontres, les conférences, les éditions se succéderont, oeuvrant à faire connaître et reconnaître ce haut lieu de la photographie. D'autre part en 1977, Jean Dieuzaide alerte les pouvoirs publics sur la probable disparition du papier photographique, après de multiples démarches et de débats passionnés son combat aura gain de cause : les industriels reviendront sur leurs décision d'arrêter la fabrication du papier baryté. Comme le montrent ses nombreuses actions cet homme humble qui se disait "un franc-tireur de la photographie", a été animé d'une volonté extraordinaire pour les combats qui lui paraissaient juste de mener. Témoin intrépide et "missionnaire visionnaire" de son époque, il a été au sens noble du terme un incontournable acteur de l'histoire de la photographie. Aujourd'hui plus d'un million de négatifs consciencieusement classés et sur lesquels veille avec attention Jacqueline Dieuzaide nous laisse à penser que l'œuvre de ce grand photographe reste encore à découvrir ; comme si nous devions à notre tour révéler ces images, pour certaines, d'une époque révolue.
Sylvie Aznavourian, chargée des collections photographiques à la Bibliothèque Municipale de Lyon. Elle organise régulièrement des expositions de photographies. Elle a été pendant 15 ans responsable des expositions itinérantes à la Fondation Nationale de la photographie.
Photographies utilisées avec l'aimable autorisation de l'auteur et de ses ayants droits. Découvrez toute l'œuvre de Jean Dieuzaide sur son site internet. http://www.jeandieuzaide.com