La danse macabre ou danse des morts
À la fin du Moyen-Âge – époque confrontée en permanence à la mort, due à la guerre de Cent Ans (1337-1453), à la famine et à la peste – la mort montre son visage, dans l’art et dans la littérature. C’est dans ce contexte tourmenté qu’apparaît la « danse macabre » ou « danse des morts », un thème qui réunit la peinture, la musique, la poésie et la chorégraphie.
« Mort n’espargne petit, ne grand » : les origines de la danse macabre
Nous sommes à Paris, en 1485. La première danse macabre imprimée sort des presses de Guy Marchand. Ce livre reprend un thème déjà en vogue...
La danse macabre s’inscrit dans un mouvement initié dès le XIIe siècle. En 1195, Hélinand de Froidmont est le premier à personnifier la Mort, dans son poème les Vers de la mort. Celle-ci prend la figure d’une chasseresse qui vient visiter les vivants.
Au XIIIe siècle, le Dit des trois morts et des trois vifs met en scène trois jeunes nobles qui rencontrent trois cadavres. Ce poème au ton satirique et moralisateur connaît un succès durable.
Le sentiment d’égalité devant la mort et la crainte de l’enfer sont au coeur de ces poèmes. Une nouvelle sensibilité s’affirme, nourrie par la vision chrétienne de la mort.
La plus ancienne danse macabre connue en Europe est la danse peinte sur les murs du charnier du cimetière des Saints-Innocents, à Paris en 1425. Le thème se répand en France, puis en Europe : les murs des cimetières et des couvents se couvrent de ces peintures.
La danse macabre de Guy Marchand s’inspire de la fresque des Innocents. L’ouvrage est orné de gravures sur bois qui véhiculent une représentation hiérarchisée de la société : la Mort invite à la danse des personnages laïques et ecclésiastiques, du pape à l’ermite et de l’empereur au sot. Le message est clair : la mort n’épargne aucune classe sociale.
Les images assument un rôle éminemment pédagogique. S’adressant au plus grand nombre, elles sont destinées à frapper les esprits. La danse macabre de Guy Marchand connaît un vif succès. Elle inaugure un genre iconographique et littéraire qui ne demande qu’à prospérer.
La Danse macabre de Guy Marchand, Paris, 1486, 38 gravures sur bois.
La danse macabre d’Holbein : une aventure éditoriale lyonnaise et ses prolongements
A la fin du XVe siècle, les éditions parisiennes de la Danse macabre de Guy Marchand se multiplient à Paris. La tradition se poursuit à Lyon, où le genre évolue progressivement.
Mathieu Husz est le premier imprimeur lyonnais à se lancer dans l’édition d’une danse macabre. En ce haut lieu de l’imprimerie, il était tentant d’inviter la Mort à visiter un atelier typographique... La grant danse macabre des hommes et des femmes (1499) nous donne la première représentation connue d’une imprimerie.
- Les Simulachres et historiées faces de la mort
- Des danses macabres du Nord de l’Europe inspirées d’Holbein
En 1538 paraissent à Lyon Les Simulachres et historiées faces de la mort. L’ouvrage sort des presses de Melchior et Gaspard Treschel, pour le compte de Jean et François Frellon.
Les Simulachres et historiées faces de la mort..., Lyon, 1538. (BmL, Rés 357233)
Les Simulachres et historiées faces de la mort..., Lyon, 1538. (BmL, Rés 357233, folio c2 v.)
Entre 1542 et 1562, sept autres éditions sont imprimées par les frères Frellon, installés à l’enseigne de l’Écu de Cologne, rue Mercière. La Bibliothèque municipale de Lyon conserve plusieurs exemplaires de cet ouvrage.
Les Simulachres et historiées faces de la mort..., Lyon, 1538. (BmL, Rés 357233, folio c2 v et c3 r.)
Illustrations d’Hans Holbein le Jeune (1497-1543), peintre et graveur allemand de renom. La première édition des Simulachres contient 41 bois gravés.
Les Simulachres et historiées faces de la mort..., Lyon, 1538. (BmL, Rés 357233, folio c3 v et c4 r.)
Chaque figure est précédée d’une sentence de la Bible en latin et suivie d’un quatrain en français.
L’iconographie d’Holbein redéfinit quelque peu le thème de la danse macabre :
« Les images de la mort [...] présentent isolément les hommes aux prises avec la mort. Elles renoncent à tout ce qu’il peut y avoir de dynamique dans les frises dramatiques de la Danse. » (Joël Saugnieux).
Holbein introduit cinq scènes de la Genèse : ce sont Adam et Ève qui ouvrent la danse. A côté des personnages traditionnels – le pape, l’empereur, le cardinal, etc. – l’artiste fait entrer dans la danse un avocat, un physicien, un marchand, un colporteur, un joueur... La Mort vient tour à tour saisir les personnages dans leur vie quotidienne.
La religieuse. Icones mortis..., Lyon, 1547. (BmL, Rés 813192 folio b6 v.)
L'avocat. Icones mortis..., Lyon, 1547. (BmL, Rés 813192 folio b4 r.)
La Bibliothèque municipale de Lyon possède deux danses macabres des XVIIe et XVIIIe siècles dont les illustrations sont inspirées d’Holbein. L’une est en allemand, l’autre en néerlandais.
Le Theatrum mortis fut imprimé à Laybach en 1682. L’ouvrage comprend 121 gravures à l’eau-forte inspirées d’Hans Holbein et de Johann Koch. Le frontispice représente le triomphe de la Mort, qui défile en cortège au milieu de ruines antiques. Les planches de la première partie ont été copiées sur les planches des Simulachres ; celles de la seconde partie montrent les différentes manières de mourir ; la dernière partie représente les supplices de damnés.
Theatrum mortis humanae tripartitum...
Theatrum mortis humanae tripartitum..., Laybach, 1682. (BmL, Rés 389072, page de titre)
Theatrum mortis humanae tripartitum..., Laybach, 1682. (BmL, Rés 389072)
Theatrum mortis humanae tripartitum..., Laybach, 1682. (BmL, Rés 389072, pp. 42-43.)
Danse macabre en allemand.
La figure du vieil homme
Dessin d'Holbein, Les simulachres, 1538. (BmL, Rés 357233, folio f4 v.)
Dessin de Janez Vajkard Valvassor d'après Holbein, Theatrum mortis humanae tripartitum, 1682. (BmL, Rés 389072, p. 89.)
Dessin de Salomon Van Rusting d'après Holbein, Het schouw-toneel des doods, 1707. (BmL, Rés 389403, p. 243.)
Le Het schouw-toneel des doods - en français Le théâtre de la mort - est paru à Amsterdam en 1707. L’ouvrage est orné de trente gravures sur cuivre. Son frontispice représente la Mort assise sur un trône, en position de régnante universelle, étendant son empire sur tous les états et tous les peuples. Comme dans les versions précédentes, la mort vient surprendre le cardinal, le soldat, l’abbé, l’astrologue, le vieil homme... L’ouvrage comprend également des compositions originales, qui renvoient à des particularismes locaux : la Mort poursuivant des patineurs et la Mort venant trouver le meunier à son moulin sont en effet typiques de cette région d’Europe.
Frontispice, Salomon Van Rusting, Het schouw-toneel des doods, 1707. (BmL, Rés 389403)
La survivance de la danse macabre (XVIIIe - XXe siècle)
Aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles, les danses macabres vont connaître de nombreuses rééditions. La Bibliothèque municipale de Lyon conserve une édition troyenne, datant de 1728. Il s’agit d’une réédition de la Danse macabre de Guy Marchand, remise au goût du jour par Jean-Antoine Garnier. La Grande danse macabre des hommes et des femmes, Historiées et renouvellée de vieux Gaulois, en langage plus poli de notre temps fut colportée jusqu’au XIXe siècle.
La Grande danse macabre des hommes et des femmes, Troyes, [après 1728]. (BmL, SJ AK 188/44, 11)
La danse macabre entre dans la Bibliothèque bleue de Troyes dès le XVIe siècle. Ci-dessus, une édition sortie des presses de Jean-Antoine Garnier.
La Grande dance macabre des hommes et des femmes, Historiée et renouvellée de vieux Gaulois, en langage le plus poli de notre temps..., Troyes, Chez Jean-Antoine Garnier, c.1728. (BmL, Rés 389074, contreplat supérieur)
La Grande danse macabre des hommes et des femmes historiée et renouvellée du vieux gaulois en langage le plus joli de notre temps..., Troyes, Chez Jean-Antoine Garnier, [après 1728] (BmL, SJ AK 188/44, 11)
Le thème de l’égalité de tous face à la mort connaît également un succès durable : on le retrouve, de manière plus ou moins diffuse, dans bon nombre d’ouvrages de piété des XVIIIe et XIXe siècles. Il se glisse par exemple dans les Emblèmes ou devises chrétiennes.
Emblèmes et devises chrétiennes, Lyon, 1701. (BmL, SJ AK 357/15, pp.388-389.)
Les Emblèmes sont imprimés à Lyon, en 1701 et en 1717. Sur les cent « principaux points de la religion et de la morale chrétienne » proposés, dix abordent le thème de la mort. Il est rappelé aux fidèles :
« Tout homme est sujet à la Mort,
Le Ciel n’en exempte personne :
Et la Houlette, et la Couronne,
Ont en cela le même sort. »
Auteur du dossier : Juliette Pinçon