Le citron, un fruit doux et amer
C’est un fruit de couleur jaune, à la forme ovoïde, recouvert d’une peau épaisse et tendre… Le citronnier, d'abord appelé limon, produit des fruits parfumés dont la pulpe contient un suc plus ou moins sucré et acide. Il est cultivé en pleine terre sous des latitudes tempérées, avec un fort ensoleillement, caractérisées par la douceur des étés chauds et secs et des hivers généralement doux et pluvieux. En France, il prospère en Provence et sur le littoral de la Méditerranée. Concentré de bienfaits, le citron sert à la fabrication de nombreux produits. Son jus acide, le suc, est utilisé en médecine mais aussi dans les boissons rafraichissantes. L’essence qui vient du zeste entre dans la composition d’eau de parfum ou de liqueurs pour la table. Certaines variétés sont préférées pour la confection de bonbons ou de confitures. Devenu un produit du quotidien, le citron fait aussi partie des expressions courantes et familières telles que "presser quelqu’un comme un citron" pour en tirer le maximum. Le citron, un fruit doux et amer qui donne tout ?
Origine
Originaire de Médie - une des régions centrales de l'Empire perse au nord-ouest de l'Iran actuel, entre la mer Caspienne et le Golfe Persique - le citron ou citrus en latin est d’abord nommé limon, un terme dérivé du perse limûn. Le philosophe grec Théophraste (371- 288) parle dans ses textes de pomme médique ou persique. Son étymologie comme son origine restent aujourd’hui encore un sujet de recherche. Décrit par les auteurs antiques comme un arbre aux pommes dorées, le citronnier est introduit par les romains en Europe probablement entre le IVe et le IIIe siècle avant notre ère. En France, il s’implante sur les terres de Provence via le port de Marseille, carrefour commercial depuis sa fondation aux alentours de 600 av. notre ère. Son polymorphisme et sa diversité inter-variétale ont entretenu longtemps la confusion chez les auteurs qui ont utilisé le terme citrus dans son acception la plus large (cédratier, limettier, bergamotier, bigaradier…).
Différents citrons, T. 7, n° 23 issus du Traité des arbres et arbustes, que l'on cultive en pleine terre en France(1800-1819) par Duhamel du Monceau (Rés 27428 T. 07)
L’acidité et l’amertume sont des caractéristiques intrinsèques de ces fruits quelles que soient les variétés ou les latitudes où ils poussent. C’est pourquoi avant d’être consommé comme aliment, le citron a été utilisé au départ dans des préparations à vocation médicale comme le décrit le poète latin Virgile (70-19) dans son livre II des Géorgiques : La Médie produit une autre espèce d’arbre dont les fruits ont un suc désagréable, et une âcreté qui reste longtemps en bouche : ces fruits n’en sont pas moins précieux ; on y trouve un remède efficace, et un antidote sûr contre les breuvages empoisonnés, dans lesquels de cruelles marâtres ont mêlé des herbes venimeuses en prononçant des paroles magiques. L’arbre dont je parle, s’élève fort haut, et ressemble à un laurier ; si l’odeur qu’il répand au loin, n’était pas différente, on pourrait aisément le confondre avec le laurier : ses feuilles résistent au souffle des aquilons, et sa fleur est fort adhérente aux branches : les mèdes s’en servent pour corriger l’odeur d’une mauvaise haleine, et pour fortifier les vieillards asthmatiques
Pline, Histoire naturelle, livre 24 (Rés 131369) Homme faisant un remède dans une cuvette et un autre qui frotte un onguent sur la tête d’un troisième assis. 2 autres hommes portent des feuilles, description de la vignette de l’édition de 1525 de l’Histoire naturelle de Pline l’ancien, œuvre majeure de l’Antiquité, composées de 37 livres qui parcourent le champ des connaissances au 1er siècle de notre ère par le prince d’Essling
Ce goût acide décrit par Virgile pourrait bien être celui d’un cédrat, fruit du cédratier. Cet agrume à la physionomie bosselée et parfois difforme possède une écorce jaune, épaisse et relativement dure contenant peu de pulpe. Longtemps confondus par les auteurs, cédratiers et citronniers, regroupés sous l’appellation citrus medica, étaient consommés pour leurs vertus médicinales. Bien que l’identification à travers les textes reste incertaine, le cédrat semble avoir des origines plus anciennes. La différence entre les deux arbres est repérable à la forme du pétiole, ou petit pied qui est la base, le support de la queue des fruits ou des feuilles. Le Cédratier est généralement remarquable par la grosseur extraordinaire de son fruit, sa forme oblongue et son pétiole court.
Citronier Limonier, T. 7, n° 28 issu du Traité des arbres et arbustes, que l'on cultive en pleine terre en France (1800-1819) par Duhamel du Monceau (Rés 27428 T. 07)
Citronier de Médie, T. 7, n° 22 , issu du Traité des arbres et arbustes, que l'on cultive en pleine terre en France (1800-1819) par Duhamel du Monceau (Rés 27428 T. 07)
Botanique
Fruit du citronnier, les variétés de citron sont nombreuses, tantôt d'un jaune éclatant, tantôt offrant une acidité plus ou moins prononcée en bouche. Regroupés dans la famille des Rutacées, les arbres du type citrus (entendre agrumes) s’hybrident facilement. Des greffes sont à l’origine de la grande diversité de cette famille avec des appellations qui se ressemblent parfois, provenant souvent du nom des arbres "parents".
Pline, Histoire naturelle, livre 12 (Rés 131369) Homme transportant un sauvageon avec grand soin tandis que d'autres s'occupent des arbres et des boutures, description de la vignette de l’édition de 1525 de l’Histoire naturelle de Pline l’ancien, œuvre majeure de l’Antiquité, composées de 37 livres qui parcourent le champ des connaissances au 1er siècle de notre ère par le prince d’Essling
Les feuilles du citronnier sont persistantes d'une belle couleur verte, irrégulièrement nervurées et de forme ovale. Dentelées, elles présentent souvent des épines. Les fleurs blanches à l'intérieur et rouges violacées à l'extérieur dégagent un parfum agréable et possèdent cinq pétales. Elles donnent des fruits, quasiment toute l’année. Des pépins logent dans les quartiers de chair. On reconnait les citrons de bonne qualité à leur poids, leur odeur et leur couleur, qui peut prendre d’autres teintes que le jaune éclatant.
La multiplication des espèces au moyen de la greffe a aussi permis d’obtenir des fruits aux saveurs nouvelles dont les jardiniers et cultivateurs gardent le secret, à l’instar des fruits de la Bizzarrerie - citrus bigarradia bizarria. Pour cet exemple, la forme comme le nom interpellent. Un extrait issu du Traité du citrus de Giorgio Gallesio publié à Paris en 1811 est repris dans le Traité des arbres et arbustes, que l'on cultive en pleine terre en France, puisque l’auteur regrette de n’avoir pu obtenir des fruits semblables pour les décrire à ses lecteurs : La Bizarrerie, dit-il, est un Bigaradier qui porte tout à la fois des Bigarades, des Limons, des Cédrats de Florence et des fruits mélangés. L'arbre a le port du Bigaradier; ses feuilles, tantôt de la forme de celles du Citronnier et tantôt affectant celles de l'Oranger, réunissent souvent quelque chose de tous les deux. […] Le fruit suit les caprices du reste de l'arbre. On en voit qui présentent une Bigarade en forme de Limon ; d'autres, mêlés de Limon et d'Orange, sont, tantôt ronds, tantôt mamelonnés à leur sommet; d'autres ont l'écorce comme les Oranges et la pulpe comme les Cédrats.
Bigarradier à fuit bizarre, T. 7, n° 37 issu du Traité des arbres et arbustes, que l'on cultive en pleine terre en France (1800-1819) par Duhamel du Monceau (Rés 27428 T. 07)
Citronier bigaradier, T. 7, n° 36 , issu du Traité des arbres et arbustes, que l'on cultive en pleine terre en France (1800-1819) par Duhamel du Monceau (Rés 27428 T. 07)
Du placard à la table
Avec son amertume, le citron est souvent décrit comme non comestible par les auteurs antiques. Produit de luxe et d'agrément, il est d’abord utilisé dans des remèdes contre la mauvaise haleine ou consommé comme fortifiant. Très tôt, les huiles essentielles contenues dans la plante sont extraites et entrent dans la composition de décoctions. L’écorce, séchée et pulvérisée entre aussi dans la préparation de poudres de senteur pour parfumer le linge ou pour la toilette. Quelle que soit la variété d’agrumes, chaque partie de la plante trouve une application au quotidien comme le montre le tableau des Espèces et Variétés du Citronnier, dont les différentes parties sont en usage dans les Arts et dans l'Économie Domestique, publié dans le tome 7 du Traité des arbres et arbustes.
tableau des Espèces et Variétés du Citronnier issu du Traité des arbres et arbustes, que l'on cultive en pleine terre en France (1800-1819) par Duhamel du Monceau (Rés 27428 T. 07)
L’introduction des citrons comme aliment se fait lentement. Dans son Histoire naturelle (livre 13), Pline l’ancien est un des premiers auteurs à faire mention de ces fruits dont leur odeur et leur amertume rendent, pour certaines personnes, un objet d'exécration ; quelques autres le recherchent. L'arbre fait même l'ornement des maisons.
Si les usages ont évolué avec le temps, le goût des consommateurs également. L’amertume souvent critiquée est plutôt appréciée de nos jours et peut être édulcorée. Longtemps utilisé par les navigateurs pour lutter contre le scorbut grâce à sa forte teneur en vitamine C, les écorces des fruits agrémentent la composition de liqueurs, avant d’intégrer des recettes qui remplissent nos assiettes.
Citrons confits une recette issues du Dictionnaire de cuisine et d'économie ménagère (1836) par M. Burnet (398188)
Arbre ornemental, aux vertus médicinales, entrant dans la composition de cosmétiques mais aussi de boissons avant de conquérir nos tables, le citron s’est aussi imposé dans les arts, notamment en peinture.
L'art du citron
Souvent représenté avec une grande précision aux côtés d’autres espèces végétales ou animales, le citron entre dans la composition des natures mortes, œuvres allégoriques évoquant le caractère furtif de l’existence. Son écorce pelée et déployée en spirale exprime une métaphore de la vie où l’être se libère de son enveloppe matérielle (écorce) pour atteindre l’essence spirituelle (pulpe). D’autres représentations mettent en scène des insectes grattant la peau brillante mais fragile, épaisse et souple du citron. Ces œuvres appelées vanitas - en latin, "vide" - devaient attirer l’attention sur la fragilité et la fugacité des choses terrestres. En observateur patient, le peintre hollandais Jan Davidz de Heem (1606-1683) a su rendre une illusion complète dans le traitement des fruits et des fleurs.
Nature morte au citron pelé, musée du Louvre. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Christian Jean / Jean Schormans, accès libre sur le site l’Agence photo de la Réunion des Musées nationaux et du Grand Palais
Les citrons ont aussi inspirés l’artiste Henry de Waroquier (1881 – 1970). Pour le concours de lettres ornées organisé par la revue Art et décoration de janvier-juin 1899, il a su attirer l’œil du jury avec une composition simple qui encadre une lettre pleine avec traitement graphique qui occupe tout l’espace.
Lettre A comme agrume, lettrine créée pour le concours de lettres ornées, organisé par la revue Art et décoration de janvier-juin 1899 (950023 T. 03)
Enfin, les planches des agrumes présentes dans ce billet constituent également des œuvres d’art. Publiées au XIXe siècle, elles illustrent une édition généralement appelée le "Nouveau Duhamel". Il s’agit d’une nouvelle publication augmentée et corrigée du Traité des arbres et arbustes, que l'on cultive en pleine terre en France écrit par d’Henri-Louis Duhamel du Monceau (1700-1782) en 1755. Dans cette mise à jour, éditée entre 1800 et 1819, 498 gravures en couleurs illustrent 7 volumes. Les compositions sont de la main de Pierre-Joseph Redouté (1759-1840). Cet artiste-botaniste est apprécié pour son sens de l’observation et son rendu des détails et jouit d'une grande célébrité pour avoir illustré avec brio d’autres ouvrages de botanique n’hésitant pas à utiliser une large gamme de couleurs et à varier les techniques pour rester au plus près du modèle.
Citronier, T. 7, n° 31 issu du Traité des arbres et arbustes, que l'on cultive en pleine terre en France(1800-1819) par Duhamel du Monceau (Rés 27428 T. 07)
Références
- Michel Blonski, Pline, les perses, le parfum : analyse d’un fantasme, Revue de philologie, de littérature et d'histoire anciennes, 2007, p. 13-24
- Victor Loret, Le Cédratier dans l'Antiquité, 1891, p. 225-271
- À la mort, à la vie ! Vanités d'hier et d'aujourd'hui, Exposition au musée des Beaux-arts de Lyon, 2022
- L’Agence photo de la Réunion des Musées nationaux et du Grand Palais
Auteur du dossier : Virginie De Marco