Coste-Labaume une postérité mouvementée
Aujourd’hui le souvenir de Jules Coste-Labaume a déserté nos mémoires. Homme de lettres et politicien sous la 3e République, il a occupé la scène lyonnaise en s’illustrant dans différents domaines professionnels. Le journalisme d’abord. Rédacteur et patron de presse, il préside aussi l’Association des journalistes de la presse quotidienne lyonnaise. Assidu défenseur de la liberté d’expression, il se bat pour la pluralité, sans distinction d’opinion et la protection des journalistes. Il s’engage ensuite en politique et gagne le respect des différents partis. Engagé, professionnel et prévoyant, il est décoré de la médaille de chevalier de la Légion d’honneur, puis de celle d’officier. Pour toutes ces actions et bien d’autres encore, les raisons ne manquent pas, à sa mort, pour lever une souscription et lui ériger une statue. Inauguré le 5 novembre 1911, son buste sculpté par Jean Chorel témoigne de ce tribut de l’amitié. Disparue, puis remplacée, la sculpture a connu, à l’instar de son modèle vivant, gloires et déboires, ici rapportés, dans la mesure des éléments récoltés.
L'inauguration du monument
À la mort de Jules Coste-Labaume, le 9 septembre 1910, ses proches et amis fondent un comité pour ouvrir une souscription et élever un monument à sa mémoire. La municipalité met également la main à la poche, en accordant une subvention de 1000 francs au comité du monument de Coste-Labaume par délibération du conseil le 31 juillet 1911. Homme de lettres et homme politique ses actes autant que ces idées ont contribué au rayonnement de la ville de Lyon comme le rapporte cet extrait d’un article paru le 16 septembre 1910 dans Lyon universitaire, n° 408 :
Il y avait en lui une originalité prenante, parce qu’il fut avant tout un Lyonnais. Ils sont trop rares maintenant ceux qui ont, comme il l’avait, le souci de conserver nos traditions locales, de veiller pieusement à garder intact et à transmettre ce qui caractérise l’âme populaire d’autrefois, la naïveté caustique, le courage, l’amour du travail, la patience simple, la hardiesse et l’idéal.
À peine plus d’un an après son décès, une cérémonie officielle, en présence du maire de Lyon, Edouard Herriot, inaugure l’œuvre du sculpteur Jean Chorel, au centre d’un monument signé Louis Rogniat. Placé dans le 1er arrondissement, dont Coste-Labaume était l'élu, il fait face à la rue Eugénie Brazier (anciennement rue Marceau).
Louis Rogniat et Jean Chorel à la réalisation
L’architecte Louis Rogniat, qui succède à Coste-Labaume à la direction du conseil d’administration de l’école des Beaux-Arts, dessine les plans du monument destiné à recevoir le buste. De style classique, des lignes fortes, marquées, inscrivent dans la pierre un portique toscan. Des pilastres, encadrés par 2 murs de consoles, renforcent la verticalité et rythment la structure.
Projet d'un monument pour Coste-Labaume à Lyon réalisé à la mine de plomb et crayons de couleur par l'architecte Louis Rogniat, signé et daté du 4 avril 1911. Collections Académie d'Architecture, Paris
La main du sculpteur Jean Chorel burine dans un marbre de Carrare les traits de Jules Coste-Labaume. Un discours est prononcé par le maire de Lyon, Edouard Herriot lors de l’inauguration de la statue et rapporté dans le journal Lyon universitaire, n° 466, du 10 novembre 1911 dont voici un extrait :
Il va demeurer ici, souriant comme il était. Il verra passer devant lui les ouvriers de cette Croix-Rousse qu’il a célébrée ; il verra jouer devant lui les enfants de l’école voisine. Nul endroit mieux que ce bocage familier, n’était fait pour recevoir et conserver cette ombre qui a mérité d’être heureuse.
Monument Coste-Labaume, journaliste et homme politique, carte postale conservée aux Archives municipales de Lyon
Après 50 ans à observer les passants et l’effervescence de la ville, le marbre a besoin d’un nettoyage. Raymond Ergé, le petit fils de Jules Coste-Labaume, formule une demande auprès de l’administration pour la restauration du buste. La décision est acceptée en décembre 1960 et la somme de 1750 NF est allouée à la remise en état de la sculpture. Le travail est effectué en 1961. Pendant 28 années encore la figure en marbre de Jules Coste-Labaume accompagne les lyonnais, place Croix-Paquet. Mais en 1989, le monument commémoratif est vandalisé. Le buste du conseiller municipal du 1er arrondissement disparaît, ne laissant qu’une colonne vide.
Jardin Croix-Paquet de Gille Lagrion, série photographique "Inscriptions et plaques mémorielles", 2018
Du marbre au bronze
Dans les années 2000, la ville de Lyon organise un concours auprès de plusieurs sculpteurs pour remplacer le buste disparu. L’artiste lyonnais Robert Thouret est retenu. Deux études sont proposées : une en marbre comme dans le projet initial, l’autre en bronze. Toutes deux reprennent les contours et la posture du buste de Jean Chorel. Pour reproduire les dimensions et les traits de Coste-Labaume, Robert Thouret dispose de rares sources iconographiques fournies par l’administration :
- Une photo
- Des photocopies du buste vu de face ou de ¾ dans la structure du monument
Les proportions et les mesures reprennent au plus près celles du modèle initial. Elles sont de 3:1, soit un rapport multiplié par 3 entre les dimensions sculptées et les dimensions réelles. Point de réalité anatomique, les artistes ne sont pas des médecins mais des esthètes de l’harmonie. Le volume doit s’adapter au lieu et à la profondeur du champ pour donner l’illusion de la conformité. N’oublions pas que les sculptures se regardent souvent de loin. L’élaboration débute par le façonnage d’une statue en terre. Cette étape terminée, une empreinte est réalisée, le plus souvent à partir de matériau de synthèse comme l’élastomère. L’empreinte sert à produire la seconde étape, une pièce en plâtre pour :
- Validation du travail auprès du commanditaire (ici la ville de Lyon)
- Création de la pièce en bronze (ici dans la fonderie Barthélémy)
Le plâtre est terminé à l’été 2000 dans l’atelier de Robert Thouret, avant d’être coulé en bronze dans la fonderie Barthélémy le 28 novembre de la même année. Le nouveau buste est scellé sur la colonne placée au centre du monument de L. Rogniat. Chaque étape de la création a été pensé pour préserver la mémoire du monument dans sa globalité. Imperturbable, dans ce nouveau corps de bronze, Jules Coste-Labaume retrouve sa place, square Croix-Paquet. Quelques années s’écoulent, lorsqu’en 2006 un ami du sculpteur réalise que la tête en bronze de Jules Coste-Labaume ressemble étrangement à celle en marbre qu’il a vu dans une cave d’un immeuble de la rue Leynaud. C’est donc à quelques mètres du square que la tête vandalisée gît dans l’humidité d’une cave. Les deux amis la mettent en sécurité et proposent sa restitution. A ce jour la ville de Lyon ne l’a pas récupérée.
ci-contre : Tête en marbre de Jules Coste-Labaume vandalisée, retrouvée en 2006 au fond d’une cave d'un immeuble de la rue Leynaud, dans le 1er arrondissement de Lyon. Prise de vue en 2020 dans l'atelier de R. Thouret.
ci-dessus : Buste en plâtre de Jules Coste-Labaume, modelé en 2000 afin de faire une empreinte à partir de laquelle sera réalisé le bronze selon la technique de la cire perdue. Prise de vue en 2020 dans l'atelier de R. Thouret.
Des époques, des techniques, des matériaux au service de la création
Pour le remplacement du buste, la commission de la ville de Lyon a validé le projet de statue en bronze. Les motivations sont probablement d’ordre économique, le marbre étant plus cher. Mais cette décision permet d’aborder les 2 techniques.
Le bronze
Plusieurs étapes sont indispensables à la préparation d’une statue en bronze. Le sculpteur ne réalise pas une statue en bronze. En pratique, il opère l’ensemble des étapes – modelage, empreinte, tirage – à partir de différents matériaux – terre, élastomère, plâtre – avant d’amener la pièce à la fonderie. Là, il collabore avec le fondeur pour un nombre important d’opérations concernant les phases préliminaires et terminales de la pièce. La fonte à la cire perdue, technique utilisée pour le buste de Coste-Labaume, est largement répandue chez les artistes. Ce procédé a le double avantage de :
- Protéger l’original en plâtre en réalisant un nouveau moule à partir de celui-ci
- Faire plusieurs tirages de la pièce (ce qui est plutôt rare pour les statues mais pratiqué pour les fontaines)
Le sculpteur prend possession de sa pièce en bronze lorsqu’elle est retirée de son moule après la fonte. Il a la possibilité de laisser au fondeur le soin de la terminer jusqu’au polissage final, soit de la retoucher et d’y mettre la patine de son choix. Entre temps toutes les étapes sont assurées par le fondeur selon un système utilisé encore de nos jours et que Benvenutto Cellini décrit dans ses Mémoires sans pour autant en dévoiler les étapes. Les secrets de fabrications sont bien gardés !
Le sculpteur de Jost Amman, gravure sur bois de la série "Les arts et métiers", 1568.
Le marbre
Autre matériau, autre technique, le travail du marbre requiert une méthode différente. Le travail du sculpteur sur le marbre est illustré, ici, par la réalisation du buste de Charles Hernu, autre figure locale. Avant de commencer à sculpter dans le marbre, l’artiste élabore un modèle en terre (ou cire) à partir duquel il réalise une pièce en plâtre. Puis à l’aide d’une aiguille de mise au point ou pantographe du sculpteur, il reproduit précisément les angles, creux, et reliefs du modèle en plâtre sur le bloc de marbre. Cet appareil, dont l’invention est attribuée à Nicolas-Marie Gatteaux et John Bacon à la fin du 17e siècle, se présente sous la forme d’un T inversé en bois. Chaque bras du T se fixe sur le modèle en plâtre afin d’ajuster l’instrument puis sur le marbre pour guider le travail du sculpteur. Si le modèle doit être réduit ou agrandi, il faut utiliser un instrument comportant des pieds à coulisse ou un pantographe en trois dimensions. Cette invention a facilité les techniques de mise à l’échelle. Notamment celles décrites dans le traité de Léon Battista Alberti De la statue et de la peinture qui utilisent règle, équerre et fil de plomb pour ancrer dans l’espace la position du personnage.
ci-dessus et ci-contre :
De la statue et de la peinture, module équerre et fil de plomb tels qu’ils sont expliqués par Leon Battista Alberti (1404 - 1472) pour rendre les proportions en sculpture. Figure importante de la Renaissance, il exerce ses compétences dans différents domaines artistiques notamment l'architecture, la peinture et la sculpture. Théoricien, il écrit plusieurs ouvrages où il expose des techniques pour transcrire la perspective. L'invention du pantographe, au 17e siècle, permet de gagner temps et justesse dans la définition des proportions en sculpture.
En haut à gauche : modèle en plâtre de Charles Hernu avec pantographe pour la prise des mesures et bloc de marbre brut à côté.
En bas à gauche : bloc de marbre dégrossi (traces de gradine visibles sur le buste).
En haut à droite : le pantographe permet d’ajuster au fur et à mesure le travail.
En bas à droite : le modèle en plâtre et le marbre en cours de séance.
Réalisation du buste en marbre de Charles Hernu.
L'aiguille de mise au point ou pantographe du sculpteur est un outil qui se fixe sur le modèle en plâtre (à gauche sur la photo avec points des attaches visibles) avant d'être accroché sur le bloc de marbre pour guider le travail de l'artiste dans la pierre. Atelier de Robert Thouret.
Les principaux Les outils du sculpteur de gauche à droite : Pointe à une dent pour retirer la matière en exerçant un point d’impact unique et puissant / Bédane à deux dents pour enlever de la matière avec un point de choc plus mesuré / Gradine à quatre dents pour tendre la forme (plus il y a de dents sur un outil, plus le point d’impact est démultiplié) / Gravelet pour tendre le modelé / Machette sert à faire un point de choc sur l’outil pour travailler la matière.
Ressources en ligne à retrouver dans numelyo : Jules Coste-Labaume, une personnalité lyonnaise engagée au 19e siècle
Pour aller plus loin
Quelques ouvrages en ligne dans numelyo :
- Cousin, Jean, La vraye science de la portraiture, Paris, 1647 (BmL, Rés B 498250)
- Alberti, Leon Battista, De la statue et de la peinture, Paris, 1868 (BmL, 403999)
- Diderot, Denis et Alembert d', Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Lausanne, 1778-1781 - article (BmL, 103022, tome 5, p. 543 à 549)
- Audran, Gérard, Les proportions du corps humain mesurées sur les plus belles figures de l'Antiquité, Paris, 1683 (BmL, 164015))
Et de nombreuses sources d’information à consulter sur la Presse Lyonnaise
À voir aussi dans le catalogue de la Bibliothèque : Patrice Béghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup et Bruno Thévenon, Dictionnaire historique de Lyon, Lyon 2009
Auteur du dossier : Virginie De Marco