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    Quand la presse popularise l’innovation...

    La presse vectrice des savoirs et des découvertes au XIXème siècle.

    Lyon sens dessus dessous , par Girrane dans Le Progrès Illustré 1er janvier 1899.

    Le "mal" du siècle

    À l’heure des réseaux sociaux et de la surconsommation d’information que notre société expérimente, il est intéressant de remonter aux prémices de ce phénomène.

    La lecture du Progrès , Le Progrès Illustré, Dimanche 29 novembre 1891, fasc. numero 50

    La fièvre du progrès semble se développer dès le début du XIXème siècle, les découvertes techniques et les avancés scientifiques sont un terrain propice à l’apparition de ce « mal ». La presse l’identifie, le nomme et essaie de le dompter :

    Le mal du siècle, dont on parle tant dans les journaux et les livres actuels, et que d’aucuns, prenant sans doute l’effet pour la cause, font remonter à l’âme scandinave, à la misanthropie, au pessimisme qui s’infiltrent en nous de plus en plus, que d’autres, mieux avisés et plus positifs, attribuent à la tension exagérée et continuelle de nos nerfs, prématurément détraqués par le « struggle for life »; ce mal enfin dont les économistes cherchent les origines dans les habitudes de luxe et les appétits de jouissance qui se sont emparés aujourd’hui des plus humbles, a peut-être tout simplement sa source dans un sentiment inséparable de notre nature, mais poussé dans ces derniers temps à son paroxysme : la curiosité. Le Passe-temps, lundi 12 avril 1869, N15 .

    Cet extrait d’un article intitulé : La Curiosité, et paru dans Le Passe-Temps, décrit parfaitement ce que l’auteur Franz Foulon appelle le mal du siècle. Déjà il signale les premiers symptômes :La fièvre d’information qui sévit actuellement dans tous les journaux est une des expressions les plus caractéristiques de cette curiosité... Le Passe-temps, lundi 12 avril 1869, N15

    Nous sommes alors en 1869 et la France est marquée par des bouleversements politiques, les progrès techniques et la généralisation de l’instruction pour tous. Le paysage de Lyon, active protagoniste de ces révolutions, est aujourd’hui le fruit de ces nombreuses mutations industrielles, politiques et sociales.

    Au seizième siècle, on disait : c’est grand ; au dix-septième, on disait : c’est beau ; au dix huitième : c’est spirituel. Aujourd’hui nous disons : c’est curieux. Ces deux mots sont le reflet d’une époque. Le Passe-temps, lundi 12 avril 1869, N15

    Malgré les réformes, le savoir ne se diffuse pas facilement dans toutes les classes sociales, et il lui faut quelques années pour toucher la majorité. Les livres circulent mais dans un cercle relativement fermé et c’est grâce aux recueils hebdomadaires, aux encyclopédies, aux collections en plusieurs volumes ou encore aux dictionnaires que les connaissances entament leur diffusion. On trouve aussi dès le début du siècle des almanachs, ces calendriers traditionnellement distribués par les colporteurs, qui reprenaient les grandes dates, les fêtes religieuses, les éphémérides et aussi des renseignements divers comme des recettes de cuisine ou des astuces. Le journal commence par se faire l’écho de cette publication et propose une critique de l’Almanach des muses de Lyon de 1811, traitant de poésie.

    Variétés, Almanach des muses de Lyon pour 1811, Journal du département de la Loire du 13 avril 1811.

    Par la suite, elle se lance elle-même dans des publications populaires, tout est bon pour attirer le lecteur. Mais au départ la presse est soumise à une censure. Au cours du XIXème plusieurs lois sont édictées et en 1810, conformément à la loi du 3 aout 1810, le département du Rhône ne dispose plus que d’un seul journal : Le Journal de Lyon et du département du Rhône. Il est particulièrement contrôlé et il faut attendre la loi du 21 octobre 1814 pour voir une presse plus variée même si elle est toujours fortement contrôlée.

    Les quotidiens ont été relancés par la Restauration de Juillet et s’épanouissent sous la monarchie de Juillet, des collectifs de journalistes se réunissent autour d’un rédacteur en chef et représentent un courant politique. Les journaux apportent des renseignements consistants mais qui peuvent être altérés par les passions du moment.

    Les opinions peuvent s’exprimer plus librement et plusieurs titres de tendances politiques opposées aux régimes apparaissent. La presse d’opinion participe aux événements politiques et sous la monarchie de Juillet des journaux à tendances républicaines émergent.

    La Glaneuse est par exemple un organe d'expression du mouvement radical. Le Précurseur propage les idées républicaines de son rédacteur et les colporteurs contribuent à sa large distribution. La rédaction se revendique des principes révolutionnaires de 1789 et des théories libérales. Le 20 novembre 1834 paraît le premier numéro du Censeur suite à un arrangement conclu entre le propriétaire du Précurseur, arrêter plus tôt la même année pour que la publication de ce premier reprenne la suite de ce dernier. Il reprend la ligne éditoriale de son prédécesseur ainsi que sa ligne politique libéral tout en corrigeant le reproche fait à son prédécesseur de négliger les intérêts locaux. Il affiche clairement son patriotisme lyonnais et sera l’un des principales opposant du ministère de Guizot. Il faut noter que dans les campagnes comme à la ville, l’achat du journal témoigne souvent d’un geste politique et participe aux prémices de la consommation de masse. Mais informer c’est se situer dans une logique d’événementielle, c’est rassembler des faits qui vont demeurer extérieur au lecteur tandis que l’instruction repose sur un travail d’appropriation par le lecteur. Il ne va plus s’agir d’isolés des faits, des données mais de les inscrire dans un enseignement, une logique d’explication.

    La « popularisation », ancêtre de la vulgarisation

    Les sujets d’actualité locale se mélangent avec des faits scientifiques, mais dans les publications de la presse il s’agit de livrer des connaissances élémentaires à des autodidactes, en prenant soin d’être compréhensible par tout les publics : le vocabulaire et l’écriture doivent donc être adaptés. Bien que le terme ne soit apparu que véritablement à partir de 1830, il s’agit bien de vulgariser les savoirs et de les rendre accessible à tous.

    Aujourd'hui - Autrefois, L'Ancien Guignol, samedi 23 juin 1883.

    Noel de la République , Le Progrès Illustré 21 décembre 1890.

    On parle d’abord de popularisation des connaissances, on essaie de rendre accessible les connaissances plus largement sans négliger de distraire son lecteur par la même occasion.

    Notre journal n’est pas exclusivement consacré aux sciences ; mais on nous saura gré peut-être de chercher à populariser des idées précises et vraies sur les machines à feu dont le monde parle, et que cependant peu de personnes connaissent. Le Précurseur, N°60 Lyon, 9 mars 1827.

    Des savants se regroupent et tentent de rassembler et de répandre les lumières propres à procurer à la classe inférieure du peuple le genre d'éducation intellectuelle et morale le plus approprié à ses besoins. François Jacquet-Francillon, Citation de Naissances de l'école du peuple : 1815-1870.

    Enseignement mutuel - Écoles gratuites - Avis aux pères de famille, Le Précurseur, N°2036, Mardi 16 juillet 1833

    Cet article de 1833 qui s’adresse aux pères de famille correspond à l’ouverture des écoles publiques à Lyon. Sous l’égide de la Société philanthropique intellectuelle du Rhône, elle incite les parents à placer leurs enfants à l’école et donne aussi des détails précis sur les horaires et le fonctionnement gratuit de celle-ci.

    C’est ainsi que le savoir se propage de deux manières. D’un côté, les philanthropes créent des sociétés qui visent à promouvoir les sciences et les innovations, à travers diverses subventions ou concours. Ils s’appliquent ainsi à démocratiser le savoir dans les classes populaires. De l’autre côté, les spécialistes diffusent les progrès scientifiques dans un cercle fermé d’érudits.

    Il faut néanmoins attendre que la profession de journaliste se généralise pour voir apparaitre de véritables journalistes scientifiques qui font de la vulgarisation leur cheval de guerre. Au cours de la première moitié du siècle, c’est surtout dans les magazines illustrés qu’apparaissent les articles vulgarisant des informations scientifiques.

    Ne vous approchez pas des fils électriques : il n’y a certes pas assez d’électricité pour éclairer le Champ de Mars, mais il y en a assez pour vous foudroyez sur-le-champ. , par Henriot

    La création des premières rubriques spécialisées

    Au début, aucune rubrique à part entière n’existe : les explications sont ponctuelles, fortement liées à l’actualité. Un vocabulaire qui se veut plus abordable est pourtant emprunté à la science, il vulgarise les procédés scientifiques.

    Dès 1821 on trouve l’insertion ponctuelle d’une rubrique Sciences et Arts - Physique dans le Journal de Lyon et du midi, avec par exemple ici un article sur l’électricité et les fluides électriques de M. Ampère.

    Tandis que le vulgaire des observateurs est porté à supposer autant de substances que de propriétés diverses, les vrais interprètes de la nature cherchent à ramener à un très-petit nombre de causes les phénomènes de l’univers. Parmi ces derniers, est notre illustre M. Ampère, de l’institut de France, et professeur à l’école polytechnique. Il vient de prouver que le fluide magnétique et celui de l’électricité étaient identiques ; et cette vérité, il l’a établie sur une série d’expériences qui ont été faites à Paris, sous les yeux de plusieurs membres de l’académie des sciences, et répétées, le 27 octobre dernier à Lyon, au palais St-Pierre, en présence d’une nombreuse assemblée de savans et d’amateurs. Le Journal de Lyon et du Midi, Dimanche 04 novembre 1821 .

    André-Marie Ampère (1775-1836)

    André-Marie Ampère, par H.Dochy Le Progrès Illustré, Dimanche 24 mai 1891.

    Mathématicien, physicien, chimiste et philosophe français, c’est un savant complet, au sens des Lumières. Il se consacre d’abord aux équations aux différentielles partielles, il obtient après la publication de ses "Considérations sur la théorie mathématique du jeu", la chaire de mathématiques et d'astronomie du nouveau lycée de Lyon. Egalement formé en botanique et en chimie, il travaille notamment à la distinction des atomes et des molécules (Loi d’Avogadro-Ampère), quelques années avant de commencer ses recherches sur les rapports entre phénomènes magnétiques et électriques. Il est aujourd’hui considéré comme le précurseur de la mathématisation de la physique, comme le créateur du lexique électrique, on donna même son nom à l’unité internationale de l’intensité du courant électrique : l’ampère.

    Illumination et éclairage électrique de la Coupole, par Girrane.

    ...l’éclairage électrique, est enfin arrivée à un degré de perfection qui semble difficile à dépasser dans l’avenir. On sait que la Compagnie générale de Travaux d’Eclairage et de Force, que dirige aujourd’hui M. Clémançon, petit-fils du fondateur de la maison, et qui tient à Paris une place si considérable dans ce genre d’industrie, avait été chargée par le Concessionnaire général, M. Claret, de l’installation de tous les services électriques de l’Exposition et des annexes. Nous devons constater qu’elle à rempli sa mission à la satisfaction de tous, en exécutant, en moins de trois mois, ce gigantesque travail. Cette constatation est le plus grand éloge que nous puissions faire de la science de ses ingénieurs et de l’habileté de ses ouvriers. Le Progrès Illustré, Dimanche 4 novembre 1894.

    Les journaux sont aussi les colporteurs de rapports, qui ne font toujours pas l’objet de rubrique spéciale mais ponctuent la rubrique Variétés. Les explications techniques sont présentes, pour être à la page du progrès. On propose également des solutions aux problèmes quotidiens sous forme de correspondance qui finissent dans le journal. Des solutions à certains problèmes quotidiens, comme les incendies, sont également proposés aux différentes Académie, plus particulièrement celle des Sciences et sont ensuite diffusés dans la presse.

    Variétés : Rapport fait a l’Académie de Royale des Sciences, Art et Belles-Lettres de Lyon. Le Précurseur N°660 dimanche 15 février 1829.

    Un flou scientifique : le vrai du faux

    Rapidement, la presse quotidienne s’applique elle aussi à produire des contenus scientifiques à vocation grand public. Dès 1860, la plupart des journaux disposent d’une rubrique spécialisée ou au moins d’une rubrique du type variétés qui regroupent les faits divers et les explications scientifiques. Toutes ces démarches commencent à évoquer la presse moderne, les raisonnements rationnels et scientifiques émergent des lumières, mais le sérieux de ces articles est encore entaché par les encarts publicitaires de certains pharmaciens à la limite du charlatanisme. Les discours se calquent sur ceux des experts et le vocabulaire médical est utilisé bien au-delà d’une application scientifique réelle et plonge le lecteur dans un flou lexical.

    Véritables Pastilles de Vichy. Le Papillon : journal de l'entr'acte N°297 dimanche 23 août 1835.

    Un exemple flagrant du brouillard qui flotte sur la vulgarisation est le suivant : la juxtaposition sur la même page de deux articles de la Tribune Lyonnaise du 15 octobre 1850. L’un est parfaitement scientifique et rigoureux, l’autre prête à sourire puisque c’est une critique acerbe de l’utilisation du parapluie qui mettrait en péril la résistance et la santé des hommes.

    De l’électro magnétisme et De l’influence du parapluie sur l’organisme humain, Considération physiologique. Le Papillon : journal de l'entr'acte - littérature, arts, poésie, nouvelles, théâtres, modes annonces, N°297 dimanche 23 août 1835.

    Un rôle de médiateur

    La presse est également actrice d’une médiation sociale. La situation politique et sociale du XIXème siècle est ponctuée de crise, dont les plus caractéristiques, sont, à Lyon, les révoltes des Canuts de 1831 et 1834. Le commerce des soies italiennes qui traversaient Lyon depuis le XVème siècle a fait naître une véritable industrie du textile. Avec la révolution industrielle, elle devient la principale activité industrielle de la ville et elle fait vivre près de la moitié de la population.

    Un canut de la Croix-Rousse : choses lyonnaises, L'Echo de l'industrie, 07 février 1846.

    L’industrie textile est composée au sommet de grands négociants que l’on appelle fabricants ou soyeux qui dirigent la fabrique. Ils font travailler un peu moins d’un millier de maîtres artisans tisserands qu’on appelle les canuts, qui eux-mêmes emploient environ 30 000 compagnons, souvent logés avec eux. Les conditions de vie sont rudes et on établit la plupart des ateliers dans les maisons des Pentes de la Croix Rousse, le Vieux Lyon ou encore Vaise et la Guillotière.

    L’arrivé des métiers à tisser >Joseph Marie Jacquard finit vraisemblablement d’achever le moral et la volonté des canuts, persuadés que cette machine sera le « casse-bras » de leurs métiers.

    La crise que la fabrique lyonnaise a eu à subir, en rendant témoignage des garanties précieuses qu’elle offre, lui à révélé à elle-même le secret d’un avenir nouveau. Des combinaisons plus variées, des mélanges, des tissus tantôt plus brillants, tantôt plus solides, sont venus, comme autant de branches productives, raviver cette source qui répand l’abondance et la richesse sur tant de familles laborieuses. Le Censeur [1834], Jeudi 20 septembre 1838

    L’effervescence ambiante stimule aussi le besoin d’information. Les journaux essaient d’appréhender la population pour l’informer politiquement. Le rejet des métiers à tisser de Jacquard est notamment la conséquence d’un manque d’information, le symptôme d’une carence culturelle dont la presse se fait fort d’expliquer la véritable nature. Progressivement, l’image renvoyée par la presse sert à apaiser le public et quelques années après les derniers soulèvements, un petit article rend hommage à l’inventeur à l’occasion de l’érection de sa statue.

    Au commencement de notre siècle, il voyait sa découverte méconnue, ses intentions incomprises ; sa personne même était en butte aux injures et aux menaces des ouvriers tisseurs. Trois d’entre eux le poursuivent un jour sur le quai Saint-Claire et ne tentèrent rien moins que de le jeter dans le Rhône, lui reprochant d’avoir, par son invention, enlevé le travail à la classe ouvrière….Jacquard, plus heureux que tant d’autres génies créateurs, fut témoin des immenses résultats amenés par son immortelle invention. Non-seulement il enrichit son pays, mais il fit une révolution dans le bien-être et la santé de la population ouvrière. De rabougrie, de contrefaite et de maladive qu’elle était, cette classe de travailleurs devint, par la seule simplification des ressorts du métier, plus valide, plus aidée et plus intelligente. Le Censeur [1834], Vendredi 21 août 1840.

    La mode du savoir

    Mais la vulgarisation n’est pas née dans l’objectif d’apaiser les foules en colère mais pour répondre à la curiosité grandissante de la société. On veut tout savoir sur tout et s’ensuit un engouement pour les sciences et le progrès. La fabrique de textile influence largement les autres disciplines, avec par exemple la mise au point de nouveaux colorants textiles permettant l’essor de la chimie.

    Bulletin des annonces - Peinture dans La Glaneuse.

    En 1824, la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale propose un prix de 6000 Francs pour la fabrication d’un bleu outremer réunissant toutes les qualités de celui qu’on tire du Lapis-Lazuli. Faute de projet sérieux, le concours est reconduit les années suivantes jusqu'à l’obtention du prix par Guimet en 1828 avec l’invention du bleu Guimet.

    Cette publicité pour ce colorant constitue un bonne exemple, mis au point par le chimiste Jean Baptiste Guimet qui en 1837 vient installer son usine à Fleurieu-sur-Saône. Jusque là, les colorants étaient tous d’origine naturelle, le bleu ainsi obtenu par le scientifique vient remplacer le bleu dit « outremer » et qui était extrait du lapis-lazuli, une pierre semi-précieuse.

    Le Bleu GuimetLe Progrès Illustré.

    Son fils, Emile Guimet, continuera de faire prospérer l’entreprise et en 1878, on ne compte pas moins de 150 personnes pour une production de 1000 tonnes d’outremer. Le pigment, aux propriétés anti-jaunissement, sera principalement utilisé par l’industrie du papier et par les blanchisseurs. La chimie connaît ainsi un succès grandissant et se développer dans toute la région Rhône-Alpes, permettant l’essor de la science mais aussi du cinéma.

    Les risques du progrès…

    Les usines livrent souvent des produits semi-finis ou des sous produits qui deviennent la matière première d’autres usines, créant ainsi une chaîne de production dans la région. Au sommet de la chaîne, on trouve très peu de produits de base (pyrites, spath, sel marin, phosphates, chaux, charbon, pétrole, os et déchets animaux, cellulose). La circulation de ces produits définit en partie la géographie régionale, influencée d’autre part par les échanges administratifs et les aides financières et techniques.

    De nouveaux matériaux entrent en circulation et deviennent rapidement populaires. Pourtant, ils suscitent à la fois l’émerveillement et la méfiance. Tel est le cas du celluloïd, l’ancêtre du plastique, inventé en 1863 aux Etats-Unis. Il était obtenu en faisant tremper de la cellulose (un polymère naturel) dans de l’acide nitrique. La « pâte plastique » créée, instable, devenait un explosif très dangereux en séchant et donna naissance au fulmicoton ou poudre coton. Cette invention troubla beaucoup les scientifiques de par les dégâts que cette découverte pouvait provoquer.

    Il s’agit d’une nouvelle invention à joindre à celles de la vapeur, des chemins de fer, de la télégraphie électrique, qui continuant l’œuvre de la découverte de la poudre et de l’imprimerie, va bientôt bouleverser complètement les positions des gouvernements en présence des peuples et les relations de peuples à peuples. L'Avenir, journal du progrès social Vendredi 13 novembre 1846.

    Il fallait alors traiter la nitrocellulose avec de l’Ether permettant sa stabilisation sous forme de collodion. Ce dernier a longtemps servi de pansement et est encore autorisé en pharmacie en France et en Belgique, elle est aussi à l’origine des progrès fait par les frères Lumière pour la photographie. Un peu plus tard sous le nom de celluloïd, il sert à fabriquer des objets décoratifs et des accessoires comme des peignes. C’est d’ailleurs ainsi que la ville d’Oyonnax, qui fabriquait, traditionnellement, des peignes en buis, s’empare de l’invention et se lance avec succès dans les peignes en celluloïd. Malheureusement, le celluloïd est un matériel facilement inflammable. La presse tente alors de mettre en garde le public :

    Chronique Le Républicain du Rhône, journal politique, 27 juin 1882.

    Car le développement de ces usines n’est effectivement pas sans danger dans les conditions de l’époque. Nombre de produits comportent des risques d’explosion ou sont particulièrement inflammables, et de nombreux incendies sont reportés chaque semaine dans la presse.

    Le feu. – Un commencement d’incendie s’est déclaré hier, à midi et demi, rue d’Algérie, 7. dans le magasin de M. Roger, coiffeur.Le feu, qui avait pris, on ne sait comment, dans une vitrine, où se trouvaient exposés des peignes en celluloïd, a été rapidement éteint à l’aide de seaux d’eau. Les dégâts sont évalués à cent cinquante francs environ. Le Rappel républicain de Lyon, journal démocrate quotidien, Dimanche 15 mai 1904.

    Le développement des laboratoires, des études et de la recherche permet aussi l’essor de la médecine. Les progrès vont vite et la presse se fait le vecteur de ces savoirs : au-delà de la simple transmission d’information, elle explique.

    Charles-Gabriel Pravaz (1791-1853)

    Né en 1791 à Pont-de-Beauvoisin, il quitte l’Ecole polytechnique en 1815 pour se consacrer à la médecine. En 1829, il fonde un institut d’orthopédie à Passy avec J. Guerrin, ainsi qu’une succursale à Lyon près de Saint-Foy, dont il vient prendre la direction en 1835 et qui devient la première clinique orthopédique de France.Suite à son observation des déviations vertébrales chez les jeunes filles en institution et le moyen d’y remédier, il préconise des méthodes de correction orthopédique moins invasives, misant autant sur le fait de muscler par la gymnastique que sur le redressement des os proprement dit. Désirant injecter dans un anévrysme du perchlorure de fer coagulant, il conçut une seringue en argent de 3 cm de longueur et 5 mm de diamètre. Il la fit fabriquer en 1841 par un artisan coutelier, Frédéric Charrière, devenu le plus grand fabriquant d’instruments médicaux de son époque, (confrère de Lépine à Lyon). Le piston avançait en se vissant, permettant ainsi la gestion du dosage de la solution injectée.

    Les journaux de la capitale parlent beaucoup, depuis quelque temps, de la nouvelle méthode de Pravaz, Charles-Gabriel M. le docteur PRAVAZ, pour le bon traitement des difformités de la taille et des membres. C’est un objet assez important pour que nous y consacrions quelques lignes, et nous croyons être utiles à un grand nombres de familles en faisant connaître, d’après le rapport de l’académie royale de médecine, en quoi consiste la méthode orthopédique de M. Pravaz, et en quoi elle est supérieure à celles qu’on avait employées jusqu’ici
    Le Précurseur, N°2130, 5 novembre 1833

    Publicité : Institut orthopédique et gymnastique de Lyon, Le Censeur, N°315, Lundi 14 décembre 1835.

    C’est un siècle de grandes découvertes médicales, avec des chercheurs célèbres qui marquent leurs contemporains tout autant que l’histoire.

    Rendre accessible, créer une certaine proximité sont les objectifs des journalistes, comme avec cette visite à domicile chez M. Pasteur dans un numéro du ZIG-ZAG, Troisième Année - N°66 dimanche 23 mars 1884) .

    Les sciences sont à la mode et les savants sont populaires, on lit leurs biographies, on guette les inventions… une vrai « presse people » de l’époque. Le Progrès illustré se fait l’écho des prix Nobel avec son numéro du 27 décembre 1903 qui présente les vainqueurs (Les Curie, Henri Becquerel…).

    Les prix Nobel Le Progrès Illustré, 27 décembre 1903.

    Après la défaite contre la Prusse en 1870, il semble qu’une volonté d’effacer les clivages politiques et sociaux apparaisse, visible particulièrement dans la généralisation de l’école publique et par la modernisation de l’enseignement supérieur. Il est de bon ton d’être au courant des dernières inventions, des dernières découvertes, on entre dans une nouvelle ère et le journal est en pleine création d’un public.

    Et qui dit public, dit rire, l’humour est aussi un bon moyen pour soulager les tensions sociales. Les inventions farfelues ou les cuisantes déceptions de certains sont autant de prétextes.

    Non seulement le journal informe mais surtout il distrait, on essaie donc aussi d’expliquer les progrès plus quotidiens, presque familiaux déjà, comme la popularisation de l’appareil photo, arrivé quelques années plus tôt, et qui enfin arrive dans les foyers. Pendant plusieurs semaines, le Progrès illustré va produire une rubrique “Note sur la photographie” qui explique dans le détail et met à porter de tous l’utilisation de l’appareil :

    Chaque amateur doit avoir à sa disposition un petit cabinet qu’il organisera dans les conditions nécessaires pour y opérer les manipulations dont nous avons déjà parlé et que nous allons suivre. […]Nous voici donc outillés pour faire des clichés. Il nous reste à choisir notre sujet, à opérer et enfin à développer nos clichés. Le Progrès Illustré 1er janvier 1899.

    Progressivement, la photographie donne naissance au kinétoscope par Edison, puis au cinématographe qui s’émancipera progressivement pour devenir une discipline à part entière.

    On peut dire, sans crainte de trop s’avancer, que le Cinématographe inventé par MM. Lumière frères a dit le dernier mot dans la photographie animée et qu’il ne reste plus rien à trouver dans cette voie si intéressante. Par Ci ! Par là !, Le Passe-temps et le Parterre réunis en Février 1896.

    Victor Planchon (1863 – 1935)

    Le chimiste fonde la société de l’Union photographique de Boulogne (sur Mer) en 1887. Il est à l’origine de la pellicule à base de celluloïd qui permet l’abandon des plaques de verre et fonde la première usine européenne de pellicules photographiques. En 1895, Louis Lumière lui demande de mettre au point une pellicule longue de plusieurs mètres et plus souple que celle utilisée par Edison. Elle sera utilisée pour le Cinématographe Lumière qui naît trois mois plus tard, ouvrant la collaboration entre les deux entreprises. Planchon s’établit à Lyon et en 1896, il fonde la Société anonyme des Pellicules françaises (PLAVIC) à laquelle seront associés les Lumière. Jusqu’en 1914, il fournit des millions de mètres de bandes cinématographiques sensibilisées au gélatino-bromure d'argent puis l’usine devient insuffisante (et polluante) et Planchon fait alors construire à Feyzin trois groupes d’usines qui permettront la fabrication de 40.000 mètres de film par jour.

    L’émergence des nouveaux transports

    D’autres innovations se popularisent et entrent dans les foyers, à commencer par le vélocipède...

    L'Ancien Guignol, Deuxième Année - N°48.

    L’émergence de nouveaux moyens de transport est un sujet particulièrement apprécié de la presse. Saint-Etienne est alors une région industrielle avec une tradition métallurgique forte, qui voit émerger la production de cycles.

    Le savoir-faire des ouvriers leur permet d’évoluer rapidement vers la « forge » des vélocipèdes. Cette production est une aubaine pour les fabricants d’armes qui voient ainsi un moyen de faire fructifier leur période creuse en se lançant dans la fabrication de cycles. Au départ quelques petits ateliers puis la production s’organisent dans les années 1890 dès que le vélocipède se répand dans les classes populaires.

    Le progrès illustré - N° 32.

    Le Censeur : journal de Lyon, politique, industriel et littéraire, N°1218.

    Le Censeur : journal de Lyon, politique, industriel et littéraire, N° 3372.

    LYON-SPORT, Première Année - N°1.

    Le Progrès illustré - N° 34.

    LYON-SPORT, Troisième Année - N°115.

    Le vélocipède prend rapidement le nom de bicyclette et fait beaucoup parler de lui. L’article du Progrès illustré du ?? Août 1895 rend hommage avec humour à cet objet qui séduit la foule.

    C'est tout un peuple d'ingénieurs, de mécaniciens, de techniciens qui s'est voué à son progrès. Aussi, chaque jour, se révèle-t-elle sous quelque aspect nouveau, et c'était récemment l'invention, à Munich (son point de départ, mais. quel chemin depuis parcouru !) d'une bicyclette à pétrole, automobile. On nous prophétise, que dis-je, on nous décrit l'aérocycle (2) qui résoudrait le problème de la navigation aérienne. Nous avons l'aquacycle ; un journal de Chicago exhibe l'image d'un patin vélocipédique; le skacycle; un journal de Paris affirme qu'une bicyclette construite ad hoc, l'ice-cycle, fera partie de la prochaine expédition vers les mers glacées du Nord. Le cycle va tenter le ciel ; il a tenté l'onde; il a conquis la terre; le pôle l'attire. Ne disions-nous pas qu'il était parti pour accomplir le tour du monde ? Cette prodigieuse fortune a étonné, froissé, même scandalisé bien des gens. Elle est pourtant la chose la plus naturelle du monde si l'on y daigne réfléchir. Le triomphe de la bicyclette n'est point le fait du hasard. Elle est venue au jour qu'il a fallu. L'à-propos, n'est-ce pas les trois quarts du succès ? Il explique et justifie tout le sien. Son avènement correspond à un mouvement qu'on a très exactement qualifié « une Renaissance physique. Le Progrès illustré, Août 1895 .

    La première chronique sportive publiée par le supplément du Progrès fut ainsi une « chronique vélocipédique ».

    À partir de la semaine prochaine nous publierons hebdomadairement une chronique vélocipédique extrêmement soignée et complète. Cette rubrique est d’ailleurs confiée à un des hommes les plus compétents et les plus appréciés du monde cycliste lyonnais, M. Félix Déloger, vice-consul de l’Union vélocipédique de France, qui a joué le rôle important que l’on sait dans l’organisation des courses du Progrès.
    Le Progrès Illustré, 5 août 1894.

    L’organisation en 1894 d’une course de vélo à l’initiative du journal Le Progrès, témoigne de l’investissement des journaux dans l’innovation et la course au progrès.

    Le progrès illustré - N° 190.

    Il faudra attendre la sortie de Lyon Sports en 1898 pour voir la première revue lyonnaise spécialisée, aboutissement de la création d’un public sportif.

    Mais des mécaniques plus complexes que celle du vélocipède s’élaborent, tout d’abord avec les machines à vapeur puis avec l’automobile. La presse essaie de ne pas « perdre » son lecteur au milieu de ces ouvrages savants et tente d’expliquer les techniques.

    La mise au point de la machine à vapeur permet l’essor de la navigation fluviale. De 1828 à 1855, c’est l’âge d’or des bateaux à vapeur. Les entreprises de batellerie à vapeur se multiplient et passent de 5 en 1841 à une vingtaine dix ans plus tard. On voit apparaitre la publicité pour ces bateaux dans le Censeur par exemple avec la Compagnie générale de navigation, fondée en 1830 par Jacques Breittmayer.

    Symbole de la révolution industrielle du XIXème, le chemin de fer se développe de 1840 à 1900 et le réseau se densifie progressivement. En raison des guerres napoléoniennes, la France prend un important retard en matière de réseau ferré par rapport à ses voisins européens. Enfin, le 26 février 1823, c’est en région Rhône-Alpes qu’est autorisée par ordonnance du roi la première concession d’une ligne de chemin de fer : elle relie Saint-Etienne à Andrézieux.

    Nous apprenons que les principaux propriétaires de Bourg viennent de former une société pour l’entreprise du chemin de fer de Bourg à Lyon ; ils invitent les propriétaires de la Dombes et des autres parties du département à se joindre à eux, dans le but de faire étudier le projet de chemin de fer, d’évaluer les dépenses générales, tant pour l’acquisition des terrains nécessaires à l’établissement du chemin que pour les travaux à exécuter... Le Précurseur, N°1675, 19 mai 1832.

    Il faut attendre 1833 pour voir édifier la ligne Saint-Etienne/Lyon, construite au départ pour désenclaver le bassin stéphanois du transport de la houille. Elle est l’une des premières lignes à transporter des voyageurs : 170 000 passagers l’utilisent dès sa première année.

    Mais les accidents sont encore nombreux et terriblement meurtriers quand ils arrivent.

    D’autres modes de transport vont se répandre, et dans les années 1890 la production lyonnaise se développe jusqu’à connaitre son âge d’or entre 1900 et 1910.

    En 1869, Jean-François Rochet débute dans l’industrie du cycle en inventant le « Grand Bi », bicycle à grande roue avant, primé à l’Exposition Universelle de Lyon en 1872. L’entreprise connaitra un vif succès. En 1889, l’un des fils de Jean-François, Edouard s’associe à un certain Théodore Schneider et en 1895 ils montent l’un des premiers véhicules lyonnais mus à l’essence : un break à quatre places et moteur Benz. La réussite est immédiate et la société Rochet-Schneider lance un nouveau modèle de véhicule.

    Marius Berliet (1866-1949)

    Marius Berliet obtient son certificat d’études primaires au Lycée Ampère avant d’entrée en apprentissage dans l’usine familiale. Sans formation d’ingénieur ou de mécanicien, il conçoit sa première voiturette dès 1894. Quelques années plus tard, en 1897 il construit un second prototype plus performant qui cette fois peut atteindre les 40km/h. Au décès de son père il abandonne le textile pour se consacrer à sa passion et en 1905 son usine ouvre à Monplaisir, et se spécialise rapidement dans la production de cars et de camions. Il rencontre un véritable succès et passe rapidement au stade industriel avec la création entre 1915 et 1918 d’une immense usine automobile à Vénissieux. En 1911 il obtient même la légion d’honneur pour son organisation de transports publics. Sa villa construite à Monchat en 1910 abrite la fondation pour l’automobile Marius-Berliet dédiée à l’histoire du camion français.

    La construction lyonnaise

    Le progrès et l’évolution rapide de l’industrie à cette époque donnent naissance à une presse spécialisée à l’attention des professionnels “entreprises privés et public” depuis 1879.

    C’est le cas avec la revue : Construction Lyonnaise. Détaillant les moindres travaux et constructions de l’époque, il est une mine d’information précieuse sur les chantiers et les méthodes utilisées et décrit avec beaucoup de précision, souvent schéma à l’appui des dernières inventions.

    Il y a certes un public de professionnels mais aussi un public de curieux. Les rubriques regroupent ainsi de nombreux thèmes liés à l’innovation :

    Chronique Mensuelle : Fabrication du carbure de calcium. – Un nouveau four à arc voltaïque mobile. – Le cinématographe bouc émissaire.- La lampe oxyéthérique.- Précautions élémentaires. – Le pavage en brique vitrifiées. – Avis aux paveurs. La Construction lyonnaise N°1, Mars 1879.

    La Construction lyonnaise N°1, Mars 1879.

    La presse lyonnaise permet une immersion intéressante dans le monde du progrès du XIXème. La structure et le public du journal se constituent autour de même événements et le progrès est une boucle vertueuse au mouvement perpétuel. C’est aussi la création et la naissance d’une éthique journalistique.

    En définitive, la popularisation des connaissances et ce que nous pourrions appeler la vulgarisation scientifique connaissent au XIXème un essor particulièrement fort. En cause plusieurs conditions favorables, avant tout cette volonté de diffuser les savoirs hérités de la pensée des Lumières mais aussi l’apparition en parallèle de nouvelles classes de lecteurs et de nouveau lieux de savoirs avec le développement de la presse et de l’édition.

    Pour citer cet article

    Référence électronique

    Roupioz Perrine, Quand la presse popularise l’innovation..., numelyo [en ligne], mis en ligne le 2013-08-29T09:38:56.737Z, consulté le 2024-04-24 05:10:42. URL : https://numelyo.bm-lyon.fr/BML:BML_00GOO01001THM0001PresseInnovation01

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