[Manifestation suite au non-lieu en faveur de Paul Touvier]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0741 FIGRPT0063 21
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 24 x 18 cm (épr.)
description Inscription(s) sur l'image : "Ici en 1943 et 1944, la Gestapo Nazie, aidée par des traîtres, a torturée des milliers de résistants et d'otages, avant leur mort ou leur déportation. Leur sacrifice permit la libération de la France" (plaque commémorative).
historique Environ trois cents personnes se sont réunies en fin d'après-midi, ce 14 avril 1992, devant l'un des trois anciens sièges de la Gestapo à Lyon, dans l'ex-école de santé militaire, avenue Berthelot, pour protester contre le non-lieu dont a bénéficié Paul Touvier. Cette manifestation, organisée à l'appel de quatre associations du monde combattant et du conseil représentatif des institutions juives de France, s'est déroulée sans incident. Jean-Jack Queyranne, porte-parole national du Parti socialiste, les représentants des maires de Lyon et Villeurbanne, ont tenu à témoigner leur sympathie envers les anciens déportés et Résistants, au premier rang desquels on retrouvait André Laroche et Jean de Filippis. Source : "Manifestation calme et silencieuse" in Lyon Figaro, 15 avril 1992, p.2.
historique Rarement décision de justice aura soulevé une telle tempête d'indignation dans tout le pays. Le non-lieu prononcé [le 13 avril 1992], en faveur de Paul Touvier par la Chambre d'accusation de Paris a suscité des commentaires d'une rare virulence, associant en un même propos scandalisé les parties civiles, des juristes, des historiens, des anciens résistants, membres de la communauté juive et personnalités du monde politique. A Lyon, [le 14 avril] à 18h30, environ trois cents manifestants réunis devant l'Ecole de Santé, ancien siège de la Gestapo de Lyon, à l'appel de plusieurs associations de résistants et organisations juives, ont exprimé leur "dégoût" au lendemain d'une décision de non-lieu reçue comme une gifle, comme une insulte infligée à "tous les morts pour la France" et à "toutes les victimes du nazisme". Leur seul espoir de voir un jour Paul Touvier traîné devant ses juges repose maintenant entre les mains des hauts magistrats de la Cour de cassation. Mais c'est un espoir bien mince, ne serait-ce qu'en raison des délais d'une telle procédure. Paul Touvier vient d'avoir 77 ans, il souffre d'un cancer de la prostate, il peut à tout moment échapper à ses accusateurs. Définitivement. Or l'on sait que le calendrier d'une telle procédure est extensible, il n'existe pas de butoirs imposés aux magistrats pour statuer. Première étape, les parties au procès devront déposer leur mémoire sur le bureau de la Cour de cassation. Laquelle juridiction devra alors fixer une date d'audience. Viendra ensuite son délibéré. On imagine mal sa décision intervenir avant la fin de l'année en cours. Si l'arrêt de non-lieu est cassé, une autre chambre d'accusation devra être désignée. A son tour, il lui faudra étudier le dossier, et il fait quelques milliers de cotes. Si elle conclut en renvoyant Touvier devant une Cour d'assises, tout donne lieu de penser que son arrêt sera frappé d'un pourvoi en cassation formé celte fois-ci par la défense. Une nouvelle fois, la haute juridiction devra trancher... Autrement dit, la procédure risque fort de durer des années. C'est dans un contexte difficile que les magistrats de la Cour de cassation vont devoir réfléchir et statuer. Le débat qui leur est proposé touche principalement au dernier des six faits criminels reprochés à Touvier, à savoir la fusillade des otages juifs de Rillieux, non constitutive du crime contre l'humanité imprescriptible selon tout au moins l'analyse qu'en a fait la Chambre d'accusation de Paris. Au-delà de la personnalité assez rabougrie de Touvier, c'est toute la politique du régime de Vichy qui, par cet arrêt sulfureux, se trouve innocentée de tout crime contre l'humanité tel que l'a défini cette même cour de cassation le 20 décembre 1985 : des actes commis "au nom d'un Etat pratiquant une politique d'hégémonie idéologique... de façon systématique, non seulement contre des personnes en raison de leur appartenance à une collectivité raciale ou religieuse, mais aussi contre les adversaires de cette politique, quelle que soit la forme de cette opposition". La Chambre d'accusation, présidée par Jean-Pierre Henne, a revisité l'histoire de Vichy. Résultat : elle conteste le fait que le régime de l'Etat français ait pu pratiquer une politique d'hégémonie idéologique. "On ne peut pas dire que règne à Vichy une idéologie précise. La politique de collaboration est, à l'origine, une politique pragmatique que, tout à la fois les Allemands et ceux qui leur sont dévoués, vont tenter de renforcer... A aucun moment, le régime de Vichy n'eut la vocation ni l'occasion d'asseoir une domination quelconque et d'imposer une idéologie conquérante. Les magistrats parisiens ajustent leur argumentation : "Le nazisme, comme le communisme d'ailleurs, a une idéologie. La volonté de résister au bolchévisme, leitmotiv de maints discours vichyssois, ne révèle en soi aucune idéologie de ce type". Cette lecture de l'histoire suscitera immédiatement la réaction des historiens spécialistes de la période de l'occupation qui dénonceront, à la suite de René Rémond, l'interprétation de magistrats parisiens. "Qui innocentent le Vichy de la fin au bénéfice de ce qu'il fut à son début". Pour le président de la commission chargée par monseigneur Decourtray d'étudier les relations entre Touvier et l'Eglise, le "Vichy de 1944 entre incontestablement dans le cadre de l'Etat totalitaire poursuivant une politique d'hégémonie idéologique". La définition du crime contre l'humanité rédigée en 1985 évoque une politique concertée et des actes inhumains commis contre des personnes en raison de leur appartenance à une race, à une religion. La Chambre d'accusation nie la réalité d'une politique antisémite vichyssoise organisée : "On n'arrivera jamais, sous la France de Vichy, à la proclamation officielle que le juif est l'ennemi de l'Etat comme ce fut le cas en Allemagne", note-t-elle dans un attendu qui fait litière des lois anti-juives prises dès le second semestre de 1940 par le régime de Pétain. Des mesures d'exclusion (suppression de la nationalité française, numérus clausus dans la fonction publique, l'armée ou la magistrature, statut des juifs...) qui dépassèrent au début les exigences formulées par un occupant nazi qui n'en demandait pas tant. Pas antisémite, Vichy ? Et les camps de regroupement, la confiscation des biens juifs, le commissariat aux affaires juives, les camps de Drancy, Compiègne, Beaune la Rolande... De la même manière qu'elle sépare le gouvernement du maréchal Pétain du régime nazi allemand, pratiquant lui une politique hégémonique, la Chambre d'accusation trace une frontière entre ce même régime de Vichy et le mouvement milicien favorable à un pouvoir totalitaire et qui eut, lui, "des visées hégémoniques". Et ce, pour conclure : "Dans la mesure où l'on rattache les agissements de Paul Touvier aux responsabilités qui étaient les siennes dans la milice, le crime contre l'humanité ne saurait être constitué par le fait que, si la milice avait des liens évidents avec l'Etat vichyssois, elle n'était qu'une des forces composantes de cet état"... René Rémond considère cette argumentation comme absurde. "Elle relève du sophisme", commentera-t-il en rappelant le serment de fidélité à Hitler prêté par Darnand, le chef de la milice, membre du gouvernement de Vichy en 1944. "Instrument de répression, la milice a développé une idéologie de combat, de haine et d'exclusion". Et Touvier en fut l'un des serviteurs. Source : "L'onde de choc d'un non-lieu" / Gérard Schmitt in Lyon Figaro, 15 avril 1992, p.2.
note à l'exemplaire Négatif(s) sous la cote : FIGRP05170.

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