[Hôtel des ventes de Vaise]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0740 FIGRPT0065A 01
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 15 x 20 cm (épr.)
description Adresse de prise de vue : Hôtel des ventes de Vaise - Etude Milliarède-Besch, 3, avenue Sidoine-Apollinaire, Lyon 9e.
historique Maître Besch est daltonien. Enfin, c'est ce qu'il dit et redit quand la couleur est trop criarde, et l'objet si hideux qu'il vaut mieux éviter la description. Ce 30 décembre 1987, Jean-Pierre Besch, commissaire-priseur, menait d'un esprit badin la dernière vente aux enchères de l'année. Du tout venant, bien venu et bien vendu. Une de ces ventes comme l'hôtel de Vaise en accueille tous les mercredis, depuis qu'en mai 1987 l'étude Milliarède-Besch s'est installés avenue Sidoine Apollinaire. Trois heures d'enchères ordinaires, sans star, sans record et dépourvues de tout prestige, mais symbolisant jusqu'à la caricature l'exercice et ses rites. Maître Besch en première ligne donc, son épouse et un assistant dans le fond du décor, deux hallebardiers-machinistes enfin, parfaitement indispensables à l'action, passés maîtres eux aussi mais dans le maniement de la commode et de la soupière. La salle semble avoir de même ses habitudes et ses habitués : côté jardin, la redoutable Mme Chevier, à qui n'échappe aucune porcelaine, et Jean-Pierre, dit Bric-à-brac. Côté cour, les Arnaud, tout au fond, qui font une fixation sur les crucifix, Mme Beyle, M. Perréon, mais aussi le jeune homme tout spécialement venu pour une bande dessinée longtemps convoitée, et cet autre exclusivement intéressé par un rasoir électrique Braun, ni franchement moderne ni vraiment antique. A quatorze heures quarante cinq, on commence, et pour ne pas tomber tout de suite dans l'électroménager, on fait dans l'art. Ou presque. Un magnifique angelot de plâtre, idéal pour dessus de piano ou de cheminée, grimpe par petits soubresauts jusqu'à 200 francs. Suit un cache-pot pour lequel est courageusement avancé le mot barbotine : d'un mouvement de cils, Mme Chevrier en fait son affaire, et sort illico des papiers de soie protecteurs. C'est parti pour le grand emballage, des douzaines d'assiettes s'envolent pour 20 francs, des Sarguemines décor Lourdes pour 100 francs, et tant qu'on y est, M. Maurice, le hallebardier préféré de maître Besch, prend un coup de marteau d'ivoire sur les doigts. Des assemblages contre nature se télescopent : un bougeoir électrifié en bois et un saladier, des couvercles de soupières sans soupières, des tasses dépareillées, un thermomètre en forme de moulin à café avec le mouton d'une crèche, et quand pour dix francs personne ne lève le doigt, on ajoute une paire de sandales d'été et un grille pain. "Arrêtez de bâiller, monsieur Arnaud", lance Jean-Pierre Besch, et M. Arnaud pouffe de rire. Son voisin de travée, lui, dort carrément. Il fait dix-neuf degrés dans la salle, comme on a pu le constater sur le thermomètre sus-décrit, et toujours pas de flambée des prix. Quoique. Il paraît que les 100 francs obtenus par une cafetière électrique seraient sans précédent. Tous les spécialistes d'hier en tombaient d'accord : on trouve la même chez Darty pour quatre-vingt dix francs. Par bonheur pour eux, les Milliarède et Besch ne sont pas tenus à rembourser la différence. Un appareil photo prend la relève. "Il marche ?", interroge-t-on dans l'assistance. "Il est arrivé ici", ose le maître de cérémonie. Re-rires et dernière précision : "ça marche sûrement, c'est de la succession, pas du volontaire". Après les armoires, les tapis, une petite Calor, un canapé record à 4.600 francs, un baromètre-thermomètre, en forme de guitare cette fois, et autres chaises cannées, on en avait fini avec le dernier inventaire 1987. Il était dix-huit heures et quinze minutes. A l'année prochaine. Source : "Le dernier inventaire" / Sophie Bloch in Lyon Figaro, 31 décembre 1987, p.34.

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