[Tournage du film "Au Pays des Juliets", de Mehdi Charef]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0740 FIGRP05333A 002
technique 1 photographie négative : noir et blanc ; 24 x 36 mm
historique Depuis le 16 septembre qu'ils sont à Lyon, ils vivent avec leur histoire. Dans leur histoire. Celle d'un tournage. Aléas météorologiques, tempêtes psychologiques, doutes, et surtout silences... L'équipe fuit l'interview. Ne pas parler, ne pas se dévoiler, c'est le mot d'ordre. Moins pour faire des mystères que par incapacité à dire. Parler du sujet ? Il n'en est pas question. Ils attendent que le film soit achevé. Mais demande-t-on à un peintre de gloser sur une oeuvre en cours, à un dramaturge de décortiquer sa pièce en gestation. Et un film (un vrai), ce n'est pas qu'une histoire : c'est une écriture, un regard. Comment dire un regard ? "Quand on est dedans, on est fragilisé. Et on a du mal à en parler, parce que c'est en train de se fabriquer. De s'inventer. On a peur de casser les émotions, de les user. C'est comme quelqu'un qui se met à raconter un conte à un autre. C'est des énergies terribles à raconter, cette histoire, tant les personnages sont vivants, généreux. Ça n'arrête jamais." L'histoire, c'est celle de trois femmes incarcérées pour de longues peines et qui bénéficient d'une permission de vingt-quatre heures. Sous la forme d'une grève générale des transports, le hasard vient brouiller les cartes, bouleverser leur projet. En vingt-quatre heures, beaucoup de choses peuvent se passer, des destins se croiser... A défaut de Mehdi Charef qui s'est fait porter pâle, Laure Duthilleul est au rendez-vous. Fatiguée après une journée de tournage en centre-ville et à la Croix-Rousse, où se passe la plus grande partie de l'action. La découverte de la topographie lyonnaise par la comédienne se calque d'ailleurs sur le plan de tournage. Pour l'instant, pour elle, Lyon c'est le film et c'est tout. Pas le temps, ni l'envie de se disperser en explorations touristiques. Elle ne parlera pas à la place du metteur en scène dont elle est solidaire dans le mutisme, comme le sont Maria Schneider et Claire Nebout, les deux autres actrices du "Pays des Juliets". Si ce n'est pour dire que le film a été conçu à Lyon pour être tourné dans cette ville. Et ils sont rares les films coproduits par le Centre européen cinématographique Rhône-Alpes, qui en l'occurrence apporte 2 millions de francs dans l'escarcelle du financement, à avoir cette nécessité territoriale du tournage. Elle parlera autour, à propos de. Du film, on n'apprendra guère que "c'est un film assez violent sur le quotidien, sur les sentiments". De son personnage, qu'elle le voit se dessiner au fur et à mesure et qu'il ne sera fini qu'avec le film. Inscrire son image dans un film, pour elle, c'est un engagement, une manière de vivre. Etonnamment, il lui semble moins grave de faire du théâtre parce que "cela s'efface". "Se tromper au théâtre, c'est un passage douloureux, mais cela ne dure que trois mois. Au cinéma, c'est pour toujours. L'image reste." D'où ses choix d'auteurs. "De toute façon, les auteurs de produits cinématographiques ne font pas appel à moi... Parfois, cela m'arrangerait bien." Des auteurs, donc, comme Mehdi Charef. Elle était dans son premier film, "Le thé au harem d'Archimède", elle a lu ses livres, aime son écriture, son univers, ses couleurs. Elle n'hésite pas à citer René Char à son propos. "Un poète doit laisser des traces, non des preuves ; les films de Mehdi, c'est ça. De la sensibilité. C'est pourquoi c'est si dur d'en parler." Comme lui, elle a l'a certitude du doute. Celle qui fait qu'on sait très bien là où l'on veut en venir, même si l'on n'en a pas conscience. "Marcher avec son doute, c'est vital. Plus fatiguant, peut-être, mais ça fait des surprises merveilleuses." Ainsi dans la vie va-t-elle avec son doute. Le travail comme issue de secours, les mots pour nourriture, le jeu pour aiguillon. Laure Duthilleul, amoureuse des textes, a besoin de jouer. Et pas à Paris où pour le moment elle ne trouve pas sa liberté, mais à Uzeste, un petit village du Sud-Ouest où elle se rend très souvent. Elle y est même conseillère municipale. Bien sûr, elle a besoin de Paris pour travailler et rencontrer des gens. Mais c'est à Uzeste qu'elle s'est découvert un espace où faire des expériences impensables ailleurs. Comme de monter un texte d'Arthaud dans le tennis municipal. Avec des amis, des musiciens pour la plupart, ils ont fondé une compagnie qui, toute l'année, y travaille ses inspirations, à savoir le jazz et le théâtre de rue. L'improvisation, un art bien difficile... En outre, il y a douze ans maintenant, ils ont monté à Uzeste un festival qui fait le plein tous les étés. De la façon dont elle en parle, on sent qu'il ne s'agit pas d'une mondanité de "Parisiens". Musique et théâtre mêlés, quelque chose d'ouvert qui, sur neuf jours, tient plus de la performance que de la programmation structurée. Là, elle dit les textes qu'elle aime, seule ou avec d'autres copains venus en visite et séduits par l'atmosphère. Dans l'équilibre d'une vie partagée entre Paris et le Sud-Ouest, Laure Duthilleul a su trouver son île où tout peut s'inventer. Source : "Silence, ils tournent" / Nelly Gabriel in Lyon Figaro, 6 novembre 1991, p.37.
note à l'exemplaire Ce reportage photographique contient 29 négatifs.

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