[Rencontre avec le chanteur Kent à la librairie Passages]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon
technique 1 photographie numérique : couleur
description Kent, auteur de bandes dessinées, auteur-compositeur-interprète et ex-chanteur de rock, membre du groupe de rock lyonnais Starshooter. Adresse de prise de vue : Librairie Passages, 11, rue de Brest, Lyon 2e.
historique Un jour, Kent était adolescent. Du fond d'une salle de cours au lycée Saint-Exupéry, à la Croix-Rousse, il pense au rock, aux quelques accords qu'il aimerait plaquer sur sa nouvelle guitare. Comme lui, des copains cultivent la même énergie buissonnière, une envie "de mettre un grand coup de pied là-dedans". Avec trois bouts de ficelles, quelques cordes de guitares, une basse, une batterie, la rage en tête, le verbe en rime, Kent (guitare-chant) et ses acolytes sautent du logis de l'un à "la cabane au fond du jardin" de l'autre. Ils répètent. S'essaient. Les Scooters, futurs Starshooter, sont nés. On est en 1977, Téléphone vient de signer son premier contrat chez Pathé-Marconi. De fil en aiguille, le quatuor se fait remarquer. Il joue fort et vite. Et puis il y a Philippe Manoevre, à l'époque journaliste à "Rock and Folk", aujourd'hui à la tête du magazine, qui les remarque. Le chroniqueur musical doit faire le point sur cette nouvelle vague débordante, déferlante, un peu inquiétante : les punks. Les Starshooter, sans album à vendre, eurent un papier de la taille "d'un timbre-poste". Et, dans la foulée, une étiquette à assumer. Cela leur a suffi pour gravir les marches de la reconnaissance. Tout s'enchaîne, tout le monde se déchaîne, Kent chante de plus en plus fort, les musiciens jouent de plus en plus vite, souvent de plus en plus faux. Les Starshooter triomphent littéralement, frôlent même l'éternité. Certains titres comme "Betsy Party", l'audacieux "Guette baque" (reprise du "Get Back" des Beatles) ou encore un "Poinçonneur de Lilas" revisité, les supportent. Mais, la vague s'échoue. L'écueil de la rupture est inévitable, le groupe se sépare dans l'obscurité, au début des années quatre-vingt. "J'en avais marre de ce système un peu simpliste du rock and roll. Les ficelles étaient trop faciles. J'étais vraiment las de tout ce grabuge", explique aujourd'hui Kent, né il y a quarante-quatre ans, à Lyon, dans une famille ouvrière. "Mais attention, ça reste de très bonnes années pour moi". Pour Kent, ce garçon au regard perçant, les pattes broussaillantes s'aventurant sur un visage marqué, la mèche encore révoltée, il y a eu une vie, des vies, après Starshooter. Et pas des moindres. La bande dessinée, dont il s'entiche dès ses premières amours du jeudi avec la parution hebdomadaire du Journal de Mickey, lui permettra de vivre un temps, tranquillement. Ses planches sont publiées dans Métal Hurlant, la célèbrissime revue, fondée par Philippe Druillet. Enfin, vient le jour où la chanson française, son plaisir des mots, son inexorable capacité à suggérer, plutôt que déblatérer vainement, à dire l'ineffable, conquis l'ex-punk. "Quand j'ai pris cette décision, on m'a ri au nez. J'étais seul contre tous", se souvient-il, sans la moindre amerture. L'ascension est difficile jusqu'en 1990 où triomphe sur les bandes FM son jovial "J'aime un pays", extrait du succulent album "A nos amours". Chantre d'un punk électrique et acéré, prêt à tout détruire, Kent fait le grand écart pour finalement s'épanouir dans une java acoustique innocente et affriolante. Son apogée, Kent la touche du bout des doigts avec Juste quelqu'un de bien, qu'il écrit pour Enzo Enzo. Ce morceau, qu'Yves Montand fredonnerait sans doute aujourd'hui, a notamment été primé d'une Victoire de la Musique en 1995. Il revient en chanson, ces jours-ci, quatre ans après son orientalisant "Nouba". "Cyclone", sa dernière livraison, lui permet d'atteindre des sommets de grâce et d'écriture. Alerte, sa plume s'est merveilleusement embellie, sa voix adoucie. Un album simple. Au "No future" des années de ravage, le chanteur préfère aujourd'hui le "Carpe diem" épicurien et le "don't look back", anti-passéiste. Jongleur des styles, il s'essaie aussi au roman. Le polar noir, celui "qui permet de passer un bon moment dans le train". De passage la semaine dernière à Lyon, dans l'enceinte de la jeune Librairie Passages, pour présenter son dernier recueil de poèmes érotiques Zones sensibles, l'écrivain-chanteur-dessinateur- poète retrouve avec délectation sa ville natale. "J'ai une grande tendresse pour Lyon. Oui, il y a, à chaque fois, un pincement au coeur". Un plaisir de renouer avec les méandres du passé, un plaisir inaltérable, vivifié depuis peu par des retrouvailles avec Erik Fitoussi, tenant de la librairie et ex-membre de Marie et les Garçons, groupe de rock lyonnais flamboyant dans les années soixante-dix. Une histoire simple. Source : "Juste quelqu'un de simple" / Fabrice Arfi in Lyon Figaro, 2 novembre 2000, p.22.

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