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    Augustin d’Hippone, hérétiques et schismatiques

    Manichéens, ariens, pélagiens, donatistes, priscillianistes... La liste des adversaires d’Augustin est des plus longues. Il a passé une grande partie de sa vie à combattre ces « hérétiques » par la plume, acceptant même l’usage de la force publique à l’égard de certains. Parmi la masse d’ouvrages rédigés contre eux par l’évêque d’Hippone, certains ont connu une large réception et engendré des courants de pensée parfois très éloignés de leur initiateur ; d’autres sont tombés dans l’oubli plusieurs siècles durant. Lesquels ? Pour quelles raisons ? Le fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Lyon offre un éclairage passionnant sur la question.

    Hérésie ou schisme ?

    A.-M. Cigheri, Sanctae matris nostrae catholicae ecclesiae dogmatum et morum, ex selectis veterum patrum operibus veritas demonstrata…, Florence, 1791, Giovanni Bouchard, (BmL, SJ D 131/3, tome 6, sommaire). Le tome 6 de cette anthologie de textes patristiques renferme certains traités augustiniens anti-hérétiques, rarement publiés en-dehors des œuvres complètes.

    « Au sein de l’Église du Christ, ceux qui ont des opinions malsaines et déréglées et qui, avertis d’avoir à revenir à des idées saines et justes, résistent obstinément, sans rétracter leur doctrine pernicieuse et mortelle, et persistent à la défendre, ceux-là deviennent hérétiques, sortent de l’Église et se rangent parmi les ennemis qui la mettent à l’épreuve. »

    Cette définition, tirée de la Cité de Dieu d’Augustin d’Hippone (XVIII, 51), met en lumière le mécanisme au cours duquel une « hérésie » prend forme. Le mot vient du grec αἱρέομαι (hairéomai), qui signifie « choisir ». Une « hérésie » naît à l’intérieur de la foi chrétienne, par soustraction par rapport à la foi confessée par la majorité des fidèles. Un choix est opéré à l’intérieur du corps de doctrines. La persistance est un facteur-clé : les affirmations d’un croyant deviennent hérésie à partir du moment où elles sont reconnues comme erronées par l’Église et qu’il y persiste alors même qu’il sait que sa doctrine ne correspond pas à celle qui est professée par la communauté dans son ensemble.

    Les hérésies correspondent donc à une rupture au niveau de la foi. Elles ne sont cependant pas cantonnées au domaine intellectuel : elles ont souvent conduit à des affrontements, parfois violents, entre chrétiens.

    « Ecclésiastiques et hérésiarques », Le Mirouer historial de Vincent de Beauvais, traduction de Jean du Vignay. (BnF, Français 50, fol. 2r, copié en 1463).

    Un Pélagien et un Arien (leurs noms sont inscrits en lettres dorées en haut à gauche), sont chassés par des hommes armés, sous les regards de six ecclésiastiques : Jérôme, reconnaissable à son lion et à sa barrette de cardinal, Ambroise, Anastase, Augustin, Basile le Grand et Hilaire.

    D. Aurelii Augustini,... Omnium Operum sextus tomus, summa vigilantia repurgatorum a mendis innumeris per Des. Erasmum,... addito indice copiosissimo, Bâle, 1528, Johann Froben (BmL, Rés 21470, tome 6, p. 7).

    D’après l’image, l’inspiration augustinienne provient de l’Esprit Saint, représenté sous la forme d’une colombe qui darde sur lui trois rayons.

    Pélage, Donat, Mani et Faustus (tous deux manichéens), foudroyés par l’ange, gisent au milieu des serpents.

    Le schisme, quant à lui, est une rupture qui brise la charité entre des personnes confessant la même doctrine ; il implique une séparation d’avec la communauté ecclésiale, qui rompt la communion. Un schisme qui dure peut devenir une hérésie ; cette définition de l'hérésie comme "schisme invétéré" pose question par son originalité. (cf. Augustin, Contre les hérésies 69).

    Augustin écrivit contre les trois principaux groupes qui exerçaient une forte influence en Afrique du Nord : les hérétiques manichéens et pélagiens, et les schismatiques donatistes. Il connaissait pourtant un grand nombre d’autres hérésies : à la demande de Quodvultdeus, un diacre de Carthage (Lettre 221), il en dressa la liste en 427-428 afin d’aider les prêtres d’Afrique à repérer les croyances erronées de leurs peuples.

    Augustin constitue une bibliothèque par ses écrits contre les hérétiques, Vie de saint Augustin, Frères Klauber, XVIIIe siècle (BmL, Boîte iconographie jésuite « Augustin », 23.14)

    Contrairement aux représentations habituelles, Augustin n’est pas en prise directe avec l’un ou l’autre hérétique, mais il réfléchit dans le silence de la bibliothèque ; celle-ci est la copie conforme des bibliothèques rococo des abbayes allemandes du XVIIIe siècle. Attelé à la rédaction de son dernier ouvrage, Le don de la persévérance, il déclare : « Je foudroie les hérétiques. » Les œuvres, conservées dans des volumes de différents formats, ne sont pas classées par ordre alphabétique ou chronologique ; le désordre évoque l’activité foisonnante d’Augustin.

    Augustin et les Manichéens

    La Bible ne répondait pas au désir de Sagesse que la lecture de l’Hortensius de Cicéron avait éveillé dans le cœur du jeune Augustin, étudiant à Carthage ; il se tourna alors vers les manichéens.

    Ceux-ci se réclamaient de Mani qui, né en 216 de notre ère en Mésopotamie, s’était présenté comme le véritable prophète chargé de révéler aux hommes le sens ultime de l’univers. Sa « Religion de la Lumière » reposait sur une cosmogonie (une explication de l'origine du monde) extrêmement complexe, entièrement matérialiste, qui envisageait le monde de manière dualiste. Celui-ci aurait été créé à la suite d’une lutte entre la Lumière et les Ténèbres ; des parcelles de Lumière demeureraient prisonnières des Ténèbres. La tâche de les libérer incombait aux manichéens.

    Augustin apprécia d’abord dans cette doctrine l’explication matérialiste du mal et la primauté qu’elle accordait à la raison, au point de s’en faire le prosélyte et de convertir ses amis au manichéisme. Mais il s’en distancia peu à peu, butant sur deux pierres d’achoppement : l’irrationalité de la cosmogonie manichéenne que démentaient les connaissances scientifiques les plus élémentaires, et l’absurdité, à ses yeux, de la conception d’un dieu qui ne soit pas omnipotent. Il s’en sépara définitivement lors de sa conversion en 386 et ne cessa par la suite de réfuter les doctrines des manichéens, rédigeant une douzaine d’œuvres contre eux.

    « Saint Augustin et hérétiques », Jacques de Voragine, La Légende dorée traduite par Jean de Vignay (BnF, Français 245, fol. 65v (détail), copié à Paris vers 1480-1490). L’enluminure est l’œuvre de Jacques de Besançon.

    Cette enluminure synthétise en une seule représentation le contraste entre les deux étapes de la vie d’Augustin. À l’arrière-plan, dans l’embrasure de la fenêtre, deux phylactères rapportent le dialogue entre un homme et Monique, la mère d’Augustin : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » « Je pleure mon fils Augustin », parce qu’il s’est détourné de la foi catholique pour embrasser le manichéisme. Au premier plan, Augustin et Valère (l’évêque d’Hippone auquel il a succédé), défendent la doctrine de la « grange Église » contre un groupe de trois hérétiques. La conversion d’Augustin, dans le jardin de Milan, en août 386, se situe implicitement dans l’intervalle entre ces deux scènes.

    Isaac de Beausobre, Histoire critique de Manichée et du manicheisme, Amsterdam, 1734-1739, Frederic Bernard (BmL,SJ D 196/21, page de titre). Selon Isaac de Beausobre, Augustin aurait mal connu le manichéisme et ne constituerait donc pas une source fiable pour son étude. Son jugement, en partie erroné, domina jusqu’au début du XXe siècle.

    Nous sommes redevables à Augustin d’une grande partie de nos connaissances sur le manichéisme, ses adeptes et ses coutumes : il cite fréquemment dans ses ouvrages des écrits manichéens perdus ; nous avons aussi conservé les actes d’une discussion publique tenue avec l’un d’entre eux, Fortunat.

    Georges Maigret, Iconographia magni Patris Aurelii Augustini..., Paris, 1624 (BmL, Rés est 319808, pl. 12)

    Sur cette estampe gravée au burin, Augustin dialogue avec le manichéen Fortunat, lors d’un débat public organisé les 28 et 29 août 392 à Hippone. Les deux hommes s’étaient rencontrés à Carthage pour se retrouver par la suite tous deux habitants d’Hippone. Pendant le second jour de discussion, Fortunat déclara qu’il n’avait plus rien à répondre ; il quitta Hippone, sans pour autant devenir catholique.

    Quelle valeur accorder à l’Ancien Testament ? Aucune, répondaient les manichéens, pour qui le Dieu de l’Ancien Testament n’était pas le même que celui du Nouveau. L’Ancien Testament annonce le Nouveau, et le Nouveau accomplit l’Ancien, leur objecta Augustin, en particulier dans les trente-trois « discussions » dirigées contre le manichéen Faustus (mort vers 400).

    « Saint Augustin terrassant Faustus », Contra Faustum, Fécamp, XIe siècle, (BnF, Latin 2079, fol. 1v). Image à retrouver sur la base Mandragore de la BnF.

    « Saint Augustin et les manichéens », Contra Faustum Manichaeum, Naples, vers 1480-1485, (BnF, Latin 2082, fol. 1r). L’enluminure est l’œuvre de Cristoforo Majorana.

    Un manuscrit du Contra Faustum, copié à Saint-Amand à la fin du VIIIe ou au début du IXe siècle (avant 814), se trouve à la BmL. Donné par l’évêque Leidrade (798-814) aux chanoines de Lyon, il a été utilisé par le diacre Florus (859/60) pour l’élaboration de son Liber contra Iudaeos faussement attribué à Amolon.

    Saint Augustin, Contra Faustum. Fin du VIIIe ou du début du IXe siècle (avant 814), Lyon (BmL, Ms 610, Delandine 526, fol. 43v, détail). Les annotations de Florus sont en noir.

    Saint Augustin, Contra Faustum. Fin du VIIIe ou du début du IXe siècle (avant 814), Lyon, (BmL, Ms 610, Delandine 526, fol. 1v).

    Rares sont cependant les œuvres anti-manichéennes éditées séparément, en-dehors des œuvres complètes, durant la période moderne : les problématiques qu’elles abordaient n’intéressaient pas directement les XVIe-XVIIIe siècles. Fait caractéristique : le diptyque Sur les mœurs de l’Église catholique et sur les mœurs des manichéens (387-389) n’est pas édité en entier ; seule la première partie connaît une large diffusion.

    Traduction du livre de S. Augustin, des moeurs de l'eglise catholique, Paris, 1647, Antoine Vitré (BmL, 328756).

    Une fois, au début du XVIIIe siècle, une traduction du traité sur La nature du bien a été associée à la réfutation de doctrines contemporaines (« les sentiments de Montaigne et de Charron, et ceux de Monsieur Bayle »). Cet ouvrage dépasse le cadre strict de la controverse manichéenne. Augustin y reprend des thèmes qu’il développe ailleurs : tout ce qui a été créé par Dieu est bon par nature ; le mal provient du diable et du péché de l’homme ; toutes les créatures sont ordonnées à Dieu, le souverain bien.

    Alexis Gaudin, La Distinction et la nature du bien et du mal, traité où l'on combat l'erreur des Manichéens, les sentiments de Montagne et de Charron et ceux de M. Bayle ; et le livre de saint Augustin de la Nature du bien, contre les Manichéens…, Paris, 1704, Claude Cellier (BmL, 338996 ; le volume a appartenu aux Oratoriens de Lyon).

    Les traités qui, tout en visant les manichéens, touchent certains aspects de la morale chrétienne, sont quant à eux légèrement plus diffusés : c’est le cas, par exemple, du Combat chrétien, de La continence ou de L’utilité de la foi.

    Le combat du chrétien, par St. Augustin, traduit en françois avec des notes par Monseigneur l'évêque de Marseille, adressé au clergé seculier et regulier et aux fidéles de son diocése pour leur instruction, 1738, chez la veuve de Jean Pierre Brebion (BmL, Rés 357133, page de titre).

    Le volume a appartenu à Jeanne Anne Charlotte Saulnier de La Moiziere, épouse de Jean François Roland de Challerange, puis au Collège jésuite de Poitiers, à la Maison Saint Louis de Jersey et à la bibliothèque de Chantilly. (BmL, SJ D 269/59, détail du contreplat supérieur).

    Les livres de S. Augustin de la manière d'enseigner les principes de la religion chrestienne à ceux qui n'en sont pas encore instruits. De la vertu de continence et de temperance de la patience, et contre le mensonge, Paris, 1678, André Pralard (BmL, SJ D 269/59, page de titre).

    La vraie religion, dernière œuvre rédigée par Augustin avant son ordination sacerdotale en 391, a cependant été largement diffusée, en français qui plus est. Sa portée déborde en effet la controverse anti-manichéenne. Son titre clairement apologétique recouvre deux sections didactiques très différentes : la première tisse des liens entre la philosophie de Platon et le christianisme ; la seconde réfute directement les manichéens.

    Le livre de la véritable religion, Ex-libris de Étienne-Claude Mestre (1813-1877) au contreplat supérieur : « Non omnis moriar », « Je ne mourrai pas tout entier ».

    Le livre de la véritable religion, Bruxelles, 1675, Eugène Henry Fricx (BmL, Rés 389767, page de titre).

    Augustin et les Donatistes

    D. Aurelii Augustini,... Omnium Operum sextus tomus, summa vigilantia repurgatorum a mendis innumeris per Des. Erasmum,... addito indice copiosissimo, Bâle, 1528, Johann Froben, (BmL, Rés 21470, tome 7, p. 3). Le premier ouvrage anti-donatiste d'Augustin, composé vers 393, est unique en son genre : le Psaume contre le Parti de Donat est destiné à être chanté dans l'église par les fidèles, pour en faciliter la mémorisation. Ce poème populaire, rythmé par des refrains, résume l'histoire du schisme donatiste et les principales objections à opposer aux donatistes. L’éditeur, Froben, a choisi d’utiliser un ange musicien pour la lettrine gravée sur bois qui ouvre ce texte.

    L’une des premières préoccupations d’Augustin devenu évêque (vers 395) fut de lutter contre les donatistes, tenants d’un schisme qui déchirait l’Église d’Afrique depuis près d’un siècle. À Hippone même, comme dans de nombreuses cités, on dénombrait deux évêques, deux cathédrales ; l’hostilité entre les deux communautés était telle que l’évêque donatiste d’Hippone avait interdit aux boulangers de vendre leur pain aux catholiques.

    D’où provenait ce schisme ? En 303, l’Église subissait l’une des persécutions les plus violentes de son histoire, celle de l’empereur Dioclétien ; sommés de remettre aux autorités les livres sacrés, certains évêques obtempérèrent. La persécution prit fin vers 305 et, sans doute vers 308 ou 309, l’évêque de Carthage mourut. Un diacre, Cécilien, fut ordonné à sa place ; des Numides (habitants de la province romaine de Numidie) contestèrent ce choix. Leur argument ? Parmi les évêques consécrateurs se trouvait un certain Félix qui aurait selon eux livré des objets de culte aux autorités romaines pendant la dernière persécution. Ils consacrèrent alors un autre évêque, Majorin, bientôt remplacé par Donat : le « donatisme » était né.

    Les donatistes recoururent immédiatement à l’empereur Constantin pour faire reconnaître la légitimité de leur évêque. Mais l’empereur trancha en faveur des catholiques : l’accusation portée contre Félix s’était révélée absolument fausse. Le donatisme se définit alors comme une Église de purs, opposée à toute intervention du pouvoir impérial dans les affaires ecclésiales. Il fut plusieurs fois réprimé au cours du IVe siècle, mais le nombre de ses adeptes ne cessa de grandir. S’adjoignirent au « parti de Donat » les « Circoncellions », des bandes de paysans qui dévastaient les campagnes au cri de « Louange à Dieu ! ». Les donatistes n’étaient donc pas seulement responsables d’un schisme qui, historiquement, n’avait aucune raison d’être. Ils étaient aussi coupables de crimes qui relevaient de l’ordre pénal devant les autorités juridiques de l’Empire.

    Lorsqu’Augustin commença à lutter contre les donatistes, il tenta de les ramener par le dialogue et la raison au sein de la « Grande Église », en vain. Il se rangea alors à l’opinion de ses collègues dans l’épiscopat et demanda à l’empereur Honorius une intervention.

    Délégation catholique auprès de l’empereur Honorius en 404. Georges Maigret, Iconographia magni Patris Aurelii Augustini..., Paris, 1624 (BmL, Rés est 319808, pl. 14)

    Après un dernier débat public à Carthage en 411, les donatistes furent définitivement vaincus, sommés de se convertir et de remettre leurs lieux de culte aux catholiques.

    La conférence de Carthage en 411. Georges Maigret, Iconographia magni Patris Aurelii Augustini..., Paris, 1624 (BmL, Rés est 319808, pl. 15)

    Augustin résume ainsi l’évolution de sa position :

    J’ai dû me rendre devant les faits que mes collègues me mirent sous les yeux. D’abord, j’estimai que personne ne devait être amené de force dans l’unité du Christ, mais qu’il fallait agir seulement par la parole, combattre dans des discussions, convaincre par la force de la raison, pour éviter d’avoir parmi nous comme prétendus catholiques des gens que nous avions connus comme des hérétiques déclarés. Telle était mon opinion. Je dus y renoncer, contredit non seulement par des mots, mais par des faits prouvés. On me présentait avant tout l’exemple de ma cité natale qui, ayant appartenu d’abord tout entière au parti donatiste, s’était convertie par la suite à l’Église catholique par peur des sanctions impériales. À présent, nous voyons qu’elle déteste tant la haine homicide de votre secte qu’elle semble ne lui avoir jamais appartenu. Et la même chose s’est produite dans bien d’autres cités dont on me citait les noms.

    (Lettre 93, 17, à Vincent, évêque donatiste de Cartenne)

    « Saint Augustin dénonçant le crime », Augustin, La Cité de Dieu, traduction de Raoul de Presles, Bruges, vers 1470-1480 (BnF, Français 17, fol. 111). L’enluminure est l’œuvre du « maître de Marguerite d'York » et de ses collaborateurs.

    Que penser de cette attitude, qui fit jurisprudence pendant des siècles, au point que certains ont pensé qu'Augustin devrait avoir sur la conscience les bûchers de l'Inquisition ? Il est absolument nécessaire de tenir compte du contexte dans lequel il s’est résigné à recourir aux autorités civiles et à la force publique. D’abord, le schisme visé n’avait historiquement aucun fondement valable et le désordre était tout autant social que religieux. Jamais il ne proposa une solution similaire à l'encontre des autres adversaires contre lesquels il lutta. Surtout, l’évêque d’Hippone plaça des limites à l’intervention de l’État : la peur de la sanction devait avoir une visée pédagogique, mais la torture et surtout les exécutions capitales devaient être évitées. Son but premier était le salut des hérétiques qui, s’ils ne se convertissaient pas, seraient condamnés à l’enfer. Dans ces conditions, quoi de plus contradictoire que de mettre à mort quelqu’un avant sa conversion ? Pour lui, c'était s'assurer de sa damnation éternelle au lieu de lui ouvrir la voie du salut.

    Deux manuscrits carolingiens renferment des traités anti-donatistes. Le ms 603 contient le traité Sur le baptême, ainsi que plusieurs sermons prêchés durant la controverse donatiste, le ms 605, le Contre Cresconius.

    Augustin, De baptismo, début du livre VI (BmL, Ms 603, f. 68v). Ce manuscrit a été copié au IXe siècle, entre 826 et 850. Les rubriques sont en capitale, parfois mêlée d’onciale, le texte, en minuscule caroline, de plusieurs mains.

    Augustin, Contra Cresconium grammaticum, incipit du livre II (BmL, Ms 605, fol. 5v). Ce manuscrit, actuellement amputé de ses premiers feuillets, a été copié à Lyon entre 851 et 875 dans une belle minuscule caroline ; il a été annoté par Florus.

    Entre le XVe siècle et les éditions critiques de la fin du XIXe siècle, les traités anti-donatistes ont seulement été imprimés à l’intérieur des œuvres complètes d’Augustin. : À l'occasion de cette controverse, Augustin avait précisé la théologie catholique des sacrements et affirmé que leur validité était indépendante de la sainteté personnelle du prêtre qui les conférait. Le fait était acquis de longue date et la lecture directe des œuvres augustiniennes ne semblait donc pas nécessaire aux yeux des lecteurs de l'époque moderne. Les publications séparées sont très rares ; la BmL les conserve presque toutes.

    Seul le traité Sur l’unité de l’Église contre Pétilien, évêque Donatiste a bénéficié d’une traduction en français. Il a fait l’objet de plusieurs publications (Reims 1567, Jean de Foigny ; Paris 1601, Jean du Carroy) et a été imprimé à plusieurs reprises à la suite de la Cité de Dieu (1579, 1585, 1610). La BmL conserve les deux éditions les plus tardives (Rés 31231 ; SJ D 262/2 ; 20639) ; celle de 1610 est partagée entre Jean de Heuqueuille et George Lombart.

    La tentative publicitaire des éditeurs de ce volume n’a guère porté de fruits : en dépit de l’affirmation élogieuse sur l’actualité du Livre de saint Augustin sur l’unité de l’Église, les traductions de ce traité sont demeurées rares. (BmL, 20639, p.1)

    Sainct Augustin De la Cite de Dieu... Quatriesme edition. Reveuë et corrigee de nouveau, et augmentée du Traité de l'Unité de l'Église contre Petilian Evesque Donatiste, et des Epitres XLVIII. et L. du mesme Autheur,... Le tout mis en François par Jacques Tigeou, Paris, 1610, Jean de Heuqueuille (édition partagée avec George Lombart) (BmL, 20639, p.1).

    A.-M. Cigheri a sélectionné un certain nombre de traités anti-donatistes augustiniens pour son anthologie sur l’Église publiée en 1791 : Sur le baptême, De unitate Ecclesiae, Psalmus contra partem Donati, Epistula ad Honoratum et ad Generosum.

    A.-M. Cigheri, Sanctae matris nostrae catholicae ecclesiae dogmatum et morum, ex selectis veterum patrum operibus veritas demonstrata..., Florence, 1791, Giovanni Bouchard (BmL, SJ D 131/2, tome 4, sommaire).

    Augustin et les Pélagiens

    « Donne ce que tu commandes, et commande ce que tu veux ! » Cette prière formulée en 397 dans les Confessions (X, 29, 40), est tout entière fondée sur l'expérience qu'Augustin fit au moment de sa conversion. Il vécut en effet celle-ci comme une intervention directe et gratuite de la grâce sans laquelle il n’aurait pu réaliser le bien qu’il savait devoir accomplir. Les rapports entre grâce et liberté occupèrent sa réflexion dès les années 390 ; il fut illuminé par un verset de la Première Épître de Paul aux Corinthiens : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (1 Co 4, 7)

    Quelques années plus tard, un évêque rapporta à Pélage, un moine breton – entendons : anglais, dans la géographie actuelle – cette prière des Confessions. Sa colère éclata devant ce qu’il considérait comme une négation du libre-arbitre de l’homme et de la force de sa volonté. Pressentant les risques de la doctrine de ce moine, Augustin répondit longuement aux objections des « pélagiens », puis d’un groupe de moines appelés maladroitement « semi-pélagiens ». Ses œuvres lui valurent le titre de Docteur de la grâce, mais les thèmes qu’il y développa furent parmi les plus critiqués de sa pensée.

    D’après une peinture de B. de Champaigne, imprimée chez Pillot. L’éloge versifié d’Augustin conclut le Carmen de ingratis, de Prosper d'Aquitaine (PL 45, c. 1686), (BmL, Boîte iconographie jésuite « Augustin », 7).

    La grâce est gratuite, car l’homme n’a rien fait et ne peut rien faire pour la mériter ; elle englobe toute la destinée humaine, du début de la foi (initium fidei) à la persévérance finale. Bien plus : sans elle, les hommes peuvent certes poser des actes objectivement bons, mais ceux-ci n'étant pas animés par la charité (qui est, pour Augustin, un don de Dieu), ces actes n'ont pas de valeur par rapport au salut éternel. Pour lui, les Romains furent vertueux, mais par amour de la gloire et de la patrie terrestre : Dieu les a donc récompensés en leur donnant un empire terrestre, mais leur a refusé le royaume des cieux.

    La nature humaine a en effet été irrémédiablement blessée par le péché des origines, commis par Adam dans le Jardin de la Genèse : le « péché originel » n’est rien d’autre que les conséquences de cet acte, mystérieusement transmises à ses descendants ; il se manifeste dans la tendance au mal qui habite le cœur de tout homme. Blessée par la Chute, la nature humaine a donc absolument besoin d’un Médecin, qu’elle trouve en la personne du Christ. Mais qui sera sauvé ? Le Salut, fruit de la grâce, est un don de la Miséricorde de Dieu à l’homme pour qui la condamnation n’est que justice, du fait du péché originel. Dieu seul connaît ceux que, dans la miséricorde, il a choisis, « prédestinés », pour qu’ils soient sauvés. Et Augustin de s’arrêter au seuil de ce mystère, l’un des plus terrifiants qui soient…

    Florus de Lyon, Œuvres, Traité contre Scot Erigéne. Manuscrit autographe avec additions. Lyon, vers 855-860 (BnF, Manuscrits, Latin 2859, fol. 144r).

    De perfectione iustitiae hominis - De natura et gratia - Epistulae 214 et 215 - De gratia et liber arbitrio - De correptione et gratia - Epistulae 225 et 226 - De praedestinatione sanctorum et de dono perseuerantiae. (BmL, Ms 608, fol. 84r). Annotations de Florus en marge.

    Les positions augustiniennes sur la grâce ont été, dans les siècles suivants, citées, approfondies, développées et réemployées à l’occasion d’autres controverses.

    Vers 840, un jeune moine saxon, Godescalc, commença à prêcher en Italie du Nord une « prédestination jumelle », à la fois prédestination des élus au salut et des autres à la damnation. Sa condamnation par Raban Maur n’éteignit pas le feu qu’il avait rallumé à partir des braises du pélagianisme : des théologiens de renom participèrent activement à la controverse, parmi lesquels Florus de Lyon. Celui-ci écrivit à cette occasion quatre traités ; pour ce faire, il travailla sur le manuscrit BmL Ms 608, qu’il annota abondamment.

    Diverses œuvres de saint Augustin sur la grâce (De perfectione iustitiae hominis - De natura et gratia - Epistulae 214 et 215 - De gratia et liber arbitrio - De correptione et gratia - Epistulae 225 et 226 - De praedestinatione sanctorum et de dono perseuerantiae, fin du VIIIe siècle ou du début du IXe siècle (au plus tard 814), (BmL, Ms 608, (524), f. 2r.). Le haut des feuillets a été endommagé par l’humidité.

    Ex-libris de Malebranche, (BmL, Rés306103, garde supérieure, détail).

    Grâce de Dieu, libre-arbitre de l’homme et prédestination : ces mêmes points opposèrent catholiques et protestants, puis jésuites et jansénistes aux XVIe et XVIIe siècles. Rien d’étonnant donc à ce que les œuvres anti-pélagiennes aient connu la plus large diffusion à l’époque moderne. Par le biais d’un ex-libris, nous découvrons l’intérêt que ces questions ont suscité chez les intellectuels de l’époque : le Rés 306103 n’a-t-il pas appartenu à Malebranche ?

    Sancti Augustini Hipponensis episcopi aliqua opera insigniora adversus Pelagianos et eorum reliquias, Rome, 1652, Ignazio Lazzari, (BmL, Rés 306103, page de titre).

    La diffusion de ces textes n’a pas toujours suivi les règles de la légalité. Ces deux traités anti-pélagiens (Sur la grâce du Christ et Sur la grâce et le libre-arbitre), ont été imprimés en 1699 à Cologne, chez Pierre Marteau… fausse adresse : cet imprimeur-libraire n’a jamais existé !

    Lettre d'un théologien à monseigneur l'évêque de Meaux, où l'on réfute la fausse apologie du véritable Amour de Dieu. Avec deux livres de saint Augustin, et un dialogue de saint Anselme, traduits nouvellement en François par le sieur de Longbois, Cologne, 1699, Pierre Marteau, (BmL, 345033 (1), page de titre).

    Parfois, l’histoire de la transmission des textes ne manque pas d’humour. On a pendant des siècles attribué à Augustin le traité Sur la vie chrétienne, rédigé dans les milieux pélagiens et dont Pélage lui-même pourrait être l’auteur !

    De Vita christiana, Genève, 1480, Louis Cruse. L’exemplaire a appartenu au couvent des Augustins déchaussés de la Croix-Rousse, à Lyon, (BmL, Rés Inc 342(2), incipit).

    Pietro de’ Natali, Catalogus sanctorum [...], (BmL, SJ V 017/12, fol. 39r).

    Autre bizarrerie, tout aussi savoureuse : dans son Catalogue des saints, un légendier compilé dans la région de Venise vers 1370, Pietro de’ Natali a canonisé un certain « Julien d’Éclane » pour avoir combattu un hérésiarque nommé « Augustin » (III, 38). Ce Julien dont Pietro de’ Natali a fait un saint confesseur, savant et charitable, n’est autre que l’adversaire virulent des dix dernières années de la vie d’Augustin, le défenseur le plus acharné et le plus brillant de la doctrine pélagienne.

    Catalogus sanctorum et gestorum eorum ex diversis voluminibus collectus : editus a... Petro de Natalibus de Venetijs Dei gratia episcopo Equilino, [Impressum Lugduni per Jacobum Saccon, 31 Jan. 1519], (BmL, SJ V 017/12, fol. 39r, détail).

    Augustin d’Hippone dans les collections de la Bibliothèque municipale de Lyon

    À partir de de documents des collections de la Bibliothèque, nous vous invitons à voyager dans le temps, du IVe siècle à nos jours, à la découverte d'Augustin, de son œuvre, et de ses lecteurs...

    Bibliographie sélective

    • Collection des Fontaines, estampes tirées de la boîte portrait « Augustin d’Hippone »
    • Augustin, Traités antidonatistes, Bibliothèque augustinienne, 4e série, volumes 28-32.
    • P. Brown, Le renoncement à la chair, « chapitre XIX : Augustin. Sexualité et société », Paris, 1988, p. 464-512.
    • J. Courcelle – P. Courcelle, Iconographie de Saint Augustin, vol. 4 : Les cycles du XVIIIe siècle. 1 : L'Allemagne, Paris, 1980, p. 82-101.
    • F. Décret, Le Christianisme en Afrique du Nord ancienne, Paris, 1996, Chap. VII : « Schisme donatiste et rupture de la chrétienté africaine ».
    • A. Mandouze, Saint Augustin. L’aventure de la raison et de la grâce, Paris, 1968.
    • H.-I. Marrou, « La canonisation de Julien d'Eclane », Mélanges B. Altaner (Historisches Jahrbuch, 77, 1957), p. 434-437.
    • J. Ries, « La Bible chez saint Augustin et chez les manichéens. (I: Historique de la question (XVIe-XIXe siècles), II: Les premières recherches du XXe siècle, III: Orientations actuelles de la recherche) », Revue des études augustiniennes7 (1961), p. 231-243 ; Revue des études augustiniennes 9 (1963), p. 201-215 ; Revue des études augustiniennes 10 (1964), p. 309-329.
    • F. Reisinger, « Das Leben des Hl. Augustinus in 17 Cupfern. Die Serie der Klauber-Stiche von 1758 », Augustinus – der Prediger, revue In unum congregati 37 3/4, Klosterneuburg, 1990, p. 35-77.
    • M. Tardieu, « Principes de l´exégèse manichéenne du nouveau testament », dans M. Tardieu (éd.), Les règles de l´interprétation, Paris, 1987, p. 123-146.
    • T. Van Bavel (éd.), Saint Augustin, Bruxelles, 2007.
    • Augustinus Lexikon. Articles : « Donatistae », S. Lancel et J.S. Alexander, vol. 2, Basel/Stuttgart 1996 sqq., p. 606-638 ; « Manichaei », V.H. Drecoll, vol. 3, Basel/Stuttgart 2004 sqq., p. 1132-1159.
    • Encyclopédie Saint Augustin. La Méditerranée et l’Europe. IVe-XXIe siècle, A.D. Fitzgerald (éd.), Paris 2005. Articles : « Hérésie, schisme », G.R. Evans (trad. J-M. Prieur), p. 688-691 ; « Œuvres antidonatistes », M.A. Tilley (trad. J.-M. Vercruysse) p. 1017-1025 ; « Œuvres antimanichéennes », J.K. Coyle (trad. C. Broc), p. 1025-1028 ; « Œuvres antipélagiennes », G. Bonner (trad. E. Paoli-Lafaye), p. 1028-1038.

    Pour citer cet article

    Référence électronique

    Marie Pauliat, Augustin d’Hippone, hérétiques et schismatiques, numelyo [en ligne], mis en ligne le 2016-02-11T13:04:17.924Z, consulté le 2024-04-19 06:05:58. URL : https://numelyo.bm-lyon.fr/BML:BML_00GOO01001THM0001augustin_heresies

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