Allons à l'Expo !
Les Lyonnais l'oublient trop souvent : par trois fois leur ville abrita des expositions internationales se voulant résolument universelles. Si celle de 1872, péniblement enfantée, se déroula dans la hâte et l'improvisation, au milieu des déboires de toutes sortes, celle de 1894, symbole d'un monde industriel en plein épanouissement, attira nombre de visiteurs au parc de la Tête d'Or. La Grande Coupole, triomphe de l'architecture métallique, fascina le public. La section coloniale lui offrit le confortable reflet de son empire d'outre-mer.
En 1914, sur le vaste espace des futurs abattoirs de la Mouche, dans une cité en pleine expansion, la troisième exposition se voulait aussi urbaine. Plus largement ouverte aux exposants étrangers, très fréquentée, elle regroupait pas moins de soixante pavillons, autour du grand hall métallique central, qui reste aujourd'hui la seule trace conservée : la Halle Tony Garnier.
L'idée de présenter au public un large panorama des produits typiques de chaque pays du monde et avant tout les merveilles techniques engendrées par la société industrielle triomphante, venait d'Angleterre. Londres avait organisé en 1851 la première exposition se voulant universelle. Au milieu d'une avalanche de cérémonies, banquets et manifestations diverses. La bourgeoisie célèbre sa plus grande fête persifflaient Marx et Engels...
Autre grande puissance économique du moment, Paris avait répliqué lors de l'Exposition universelle de 1855. Londres avait organisé celle de 1862. Paris celle de 1867... Constantinople en 1863, Porto en 1865 étaient entrés dans le jeu. Pourquoi pas Lyon, ville industrielle et commerçante par excellence?
1872 : L'exposition de tous les déboires
ArthurJame et l'architecte Jules Chatron, qui s'entremettent en 1869 auprès du préfet, afin d'obtenir les autorisations nécessaires (et le financement afférent), sans vraiment réussir à mobiliser les milieux industriels et commerciaux, plutôt réticents devant cette audacieuse idée. Une commission se crée, un comité de souscription suit, un entrepreneur général est nommé, la Ville de Lyon est sollicitée pour l'obtention, gratuite, d'une partie du (tout nouveau) parc de la Tête d'Or, mais les choses traînent. On bute sur des problèmes d'intendance, on ergote sur des problèmes de contrats, la Chambre de Commerce et la ville font assaut de civilités pour ne point avoir le bébé à charge.
C'est du moins l'idée de deux notables lyonnais: le financierEst-on arrivé à un accord?, le chantier est-il enfin ouvert? La guerre éclate, renvoyant sine die l'inauguration déjà fixée au 1er mai 1871. Le calme revenu, on reparle de l'exposition, ont arrache des subventions à l'Etat, à la Ville à l'Assemblée nationale, on reprend les travaux, autour d'un grand édifice central, vaguement mauresque, en bordure du quai du Rhône, qui, avec ses deux ascenseurs, doit être le pivot de l'ensemble.
Las! Ennuis et contretemps reprennent de plus belle: l'empressement de construire, engendre des bâtiments trop légers, hâtivement élevés, sévèrement critiqués. La ville, inquiète après la visite de son architecte en chef, Abraham Hirsh, revenu effrayé de ce qu'il a vu, somme le très contesté directeur général Tharel, de faire le nécessaire. Le responsable de la galerie des Tissus, dans laquelle il pleut d'abondance, exige la réparation de la toiture. On va devant les tribunaux. On se chamaille quant à la concession des bateaux, sur le lac. Bref, c'est une exposition inachevée qui est ouverte au public, le 2 juin 1872. Alors que l'inauguration officielle, le 7 juillet suivant, au milieu des querelles de préséance, se fait sans la droite du conseil municipal, qui ne veut pas figurer aux côtés du maire Barodet.
Après tous ces retards, l'exposition à bien du mal à s'installer avant la fermeture prévue pour octobre. Fin août, le chemin de fer aérien prévu pour atteindre le Parc, très attendu par le public, n'est toujours pas opérationnel. Le 28 juillet, un orage d'une rare violence inonde le terrain, brise les verrières, détériore de nombreuses pièces exposées. Une des parois de la galerie des soieries s'écroule. Le 19 août, un bateau qui relie le centre-ville à l'exposition, heurte un pilier du pont Saint-Clair et s'abime dans les flots, sans faire heureusement de victimes, parmi les passagers.
On comprend dans ces conditions que le résultat financier soit catastrophique. On met les scellé sur les recettes, on distribue sans faste les récompenses, on décide de prolonger l'exposition jusqu'en 1873, avec une nouvelle équipe (mais en conservant curieusement le même directeur), on abaisse le prix d'entrée... Rien n'y fait : le 13 août 1873, la faillite est consommée. Quant au parc de la Tête d'Or, il mettra des années à panser ses plaies.
1894 : Festivités et drame
Vingt ans plus tard, les choses ont changé: l'idée d'une exposition à Lyon est cette fois-çi chapeautée par la puissante chambre de Commerce. Du coup, le monde des affaires se mobilise et les Lyonnais se préparent à recevoir les visiteurs: on édite plans et guides, on met en avant l'infrastructure hôtelière, on mobilise les salles de spectacles, on va même jusqu'à investir dans une affiche illustrée... Bref, tout le monde met la main à la pâte et au portefeuille. Signe des temps : l'exposition sera internationale et coloniale.
Une fois la décision prise (après un premier projet avorté), les financements trouvés (en juin 1893, l'entreprise devient l'exposition officielle de la Ville de Lyon, avec le maire Gailleton comme président), un concessionnaire général nommé (Jean Claret, un entrepreneur de travaux publics), le chantier s'ouvre. Et réussit à tenir, à peu près, dans le temps imparti. Le site choisi est le même qu'en 1872 : le parc de la Tête d'Or, mais plus largement investi. Relié à la ville par trois lignes de tramways et deux lignes de voitures à traction électrique : les baladeuses.
Le 1er mai 1894, l'inauguration officielle à lieu, par le président du conseil Casimir Perrier. Sous une pluie battante. Alors que la section coloniale n'est inaugurée que le 27 mai, par Antoine Gailleton. C'est vite un beau succès de fréquentation. On se précipite pour admirer les jardins, où s'étalent les divers palais : celui de la Ville et du Département, celui des Beaux-arts, celui de la Viticulture, celui des Chemins de fer... Mais surtout la grande coupole, imposante construction de fer et de verre, ornée d'une superbe grande porte. Ses 220 mètres de diamètre, ses 55 mètres de hauteur, ses quatre ascenseurs, conduisant à un promenoir situé à vingt mètres du sol, tout suscite l'admiration des Lyonnais. Là trônent la photographie, la soierie, la carrosserie, les vélocipèdes, les marbres de Florence. Plus loin la section coloniale convie le visiteur à l'exotisme : le palais indochinois, dans le genre pagode, le palais de l'Algérie, avec son minaret, le village annamite et surtout les villages nègres, avec leurs cabanes de terre, leurs cases de bambous, leurs tisseuses et leurs piroguiers.
Le manifestations connexes, ne sont pas moins prisées : le concours de tir en juillet, le concours international de musique en août, qui mobilise près de quatre-cents sociétés musicales, les fêtes nautiques, les feux d'artifices, les concerts-promenades, jusqu'à la cérémonie de distribution des prix, fin octobre. Après quoi l'exposition peut fermer ses portes. Endeuillée par un drame qui remonte au 24 juin : lors de sa venue à Lyon et juste après sa visite à l'exposition, le président de la République Sadi Carnot fut assassiné rue de la République par l'anarchiste italien Caserio. Au Parc, les vitres du café italien volèrent en éclat. Puis l'exposition repris son bonhomme de chemin...
Autres illustrations
- Plan de l'Exposition (Le Progrès Illustré, 29/04/1894)
- M. Claret, concessionnaire général de l'Exposition (Le Progrès Illustré, 29/04/1894)
- Le théâtre et le village annamites (Le Progrès Illustré, 20/05/1894)
- Illumination de la Grande Coupole (Le Progrès Illustré, 04/11/1894)
- Pavillon de la soie (Le Progrès Illustré, 24/06/1894)
- Le pavillon Candiani (meubles et verreries artistiques) (Le Progrès Illustré, 14/10/1894)
- L'Exposition coloniale (Le Progrès Illustré, 13/05/1894)
- Porte monumentale de la Grande Coupole (Le Progrès Illustré, 29/04/1894)
- Palais (Bulletin officiel de l'Exposition, 31/05/1894)
- Le palais de gaz (Le Progrès Illustré, 02/09/1894)
- Concours de tir (Lyon-Exposition, 24/06/1893)
- Feux d'artifices (1894) (Le Progrès Illustré, 22/07/1894)
- Vue panoramique de l'Exposition (Le Progrès Illustré, 29/04/1894)
1914 : A la gloire de la cité moderne
Jules Courmont, commissaire général, en introduction du guide général de l'Exposition de 1914. Le conseil municipal en a décidé ainsi le 24 janvier 1913 : Lyon aura à nouveau son exposition, tout aussi internationale et coloniale que la précédente. Le lieu à changé : le confluent, au sud de la ville, en plein transformation, à été choisi. Là, dans le quartier de la Mouche, l'architecte favori du maire Herriot, Tony Garnier, vient d'élever un immense complexe associant marché aux bestiaux et abattoirs. Avant de l'abandonner à sa fonction alimentaire, on y installera l'exposition. Le grand hall (futur marché aux bovins), sera le clou de la manifestation, véritable prouesse technique avec ses 220 mètres de long, ses 22 mètres de haut et ses 17.600 m2. Soixante pavillons doivent entourer ce grand hall des machines. Pour exposer, il convient d'acquitter un droit d'inscription de 50 francs-or et de payer la location d'un stand. La vente des objets exposés est interdite, mais la dégustation des aliments liquides autorisée. Il est interdit de fumer, sauf dans les restaurants.
C'est bien la cité moderne, que Lyon a voulu symboliser dans son exposition, écritRetardée par des grèves et des inondations, l'inauguration à lieu le 22 mai 1914. Rapidement, tout Lyon se précipite à l'exposition, ouverte dès 7 heures du matin, qui bénéficie d'un tramway intérieur et d'un service de pousse-pousse japonais (une centaine), fort goûté du public. On admire les automobiles Peugeot comme les lampes Fotos, de fabrication exclusivement française, les corsets et sangles Bernard, comme le stand des Eaux de Vichy. On investit le pavillon des Hospices civils de Lyon, celui de la Manufacture des Gobelins. On musarde dans le jardin à l'anglaise de la section d'horticulture. On accourt au village alpin, où évoluent de fort gracieuses femmes de Savoie, de Bourg, de Briançon et de la Vallouise, coin charmant et d'un pittoresque achevé, note l'Illustration. Mais le gros succès va, là aussi, aux sections coloniales, aux souks tunisiens, au musée de la conquête de l'Algérie, où figure la (fameuse) casquette du père Bugeaud.
La guerre provoque la fermeture du pavillon allemand, mais n'entrave pas le déroulement de l'exposition. Ironie des dates : elle ferme ses portes le 11 novembre, à 5 heures de l'après-midi.