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    Canards sanglants

    Aujourd'hui les médias nous bombardent de nouvelles à sensation. Que ce soit dans les journaux, à la télévision, ou sur Internet, un constat s'impose : la violence fait vendre. Mais ce procédé n'est pas nouveau : déjà un siècle plus tôt nos ancêtres l'utilisaient. Ces canards sanglants, pour reprendre l'expression de Maurice Lever dans son ouvrage du même nom, se jettent en cette fin de siècle à corps perdu dans la chasse aux nouvelles de sang.

     (L'Express de Lyon illustré, 05/08/1900)Sanglante tragédie un 14 juillet: un homme tue quatre personnes avant de se donner la mort (L'Express de Lyon illustré, 05/08/1900) (L'Express de Lyon illustré, 12/08/1900)Assassinat du roi d'Italie (L'Express de Lyon illustré, 12/08/1900)Si les pulsions criminelles ont toujours fait partie de la nature humaine, le développement de la presse écrite au XIXe siècle donne une nouvelle médiation à ces crimes sulfureux qui passionnent le grand public. Cela est d'autant plus marquant à la fin de ce siècle où la presse illustrée se développe de plus en plus sous la forme de suppléments de grands titres de journaux comme pour Le Petit Journal créé en 1889 ou, à une échelle plus locale, Le Progrès Illustré une année plus tard.

    Les lecteurs souhaitent suivre les affaires comme ces romans feuilletons très en vogue alors dans les journaux (une histoire racontée sur plusieurs numéros) mêlant violence et sentiments, amour et haine et pauvres victimes face aux méchants criminels. Le public se délecte des commentaires plus ou moins longs, avec des détails croustillants, cherche toujours à se faire frissonner. L'image est le juste complément même si elle n'est pas aussi fidèle que peut l'être, quelques années plus tard, la photographie. Mais ces illustrations sont souvent inspirées de dessins crayonnés sur le vif. On cherche à montrer le visage des acteurs (les victimes et les assassins) et surtout l'exécution du meurtrier, immanquablement représentée, sorte de communion expiatoire devant les crimes atroces commis. C'est peut être d'ailleurs là un moyen pour le public de décharger leur propres pulsions en assistant (au moins indirectement) à l'exécution.

    L'étude de ces faits divers via le prisme de la presse permet de faire ressortir les grandes affaires criminelles lyonnaises de cette fin de siècle en distinguant les différents traitements de ce type d'information par les nombreux titres de journaux de l'époque : ainsi un journal assez généraliste comme Le Progrès Illustré ne relaye pas l'information de la même manière (ni le même type d'information) qu'un journal plus culturel comme Le Passe-temps. Mais cela permet également de voir son impact sur la profession de journaliste, engageant une réflexion sur les missions d'un journal et le bien fondé d'une telle exploitation de ces nouvelles de sang.

    Meurtres à la Une

     (Le Progrès Illustré, 16/08/1896)Un mari tue sa femme (Le Progrès Illustré, 16/08/1896)La presse relate les faits divers : plus ils sont sanglants, mieux c'est ! Cela fait vendre, d'autant plus grâce aux illustrations dans les suppléments illustrés. Cela n'a même parfois que pour rôle d'attirer l'oeil du chaland alors qu'il n'y aucun article sur le crime en question, si ce n'est la légende de la gravure en toute dernière page : mais peut-on appeler cela un article ? Ainsi, dans Le Progrès Illustrédu 16 août 1896 l'on peut voir s'étalant en une la reproduction d'un mari tuant sa femme. Et on pouvait lire en commentaire : Le nommé François Mariotti ayant rencontré sa femme qui l'avait abandonné et qu'il cherchait depuis trois jours, a tiré sur elle deux coups de pistolet, puis il a frappé la malheureuse de trois coups de couteau. Mais à côté de ces entrefilets, il y a d'autres affaires qui font couler beaucoup d'encre.

    L'affaire Troppmann, ou « affaire de Pantin » (1869)

     (Le Progrès Illustré, 13/12/1896)« Le Troppmann dijonnais » : quand une affaire passe dans le langage courant (Le Progrès Illustré, 13/12/1896)Cette affaire accompagne l'essor de la presse populaire en France, et consacre le sang à la Une . A l'aube du 20 septembre 1869, dans un champ de la plaine de Pantin, banlieue de Paris, un cultivateur remarque des flaques de sang dans son champ, creuse et fait apparaître une main puis un corps d'enfant. Affolé, il prévient la police qui déterre six cadavres atrocement mutilés : une femme, un adolescent et quatre enfants dont une petite fille de trois ans environ. L'autopsie révèle que les enfants ont été assommés ou étranglés et la femme lardée de vingt-trois coups de couteau. Elle était enceinte de six mois. L'enquête menée conduit à Jean-Baptiste Troppmann, mécanicien alsacien et ami des Kinck. Arrêté, il avoue finalement être l'auteur de ces meurtres. On découvre plus tard, suivant ses indications deux nouveaux corps : celui du père de famille et du frère aîné, Gustave.

    Cette affaire fait grand bruit, tout le monde se passionne pour ces crimes qui tiennent en haleine les lecteurs pendant des semaines. On va même jusqu'à s'arracher la photographie du meurtrier, devenu une véritable vedette, suscitant tout autant la fascination que la révulsion. Ce phénomène se retrouve d'ailleurs encore de nos jours où, pour un certain nombre d'affaires criminelles, à l'image de celle-ci, l'histoire a retenu moins le nom des victimes que du meurtrier ! Le procès qui s'ouvre le 27 septembre attire tout autant les journalistes que les écrivains ou les dames du monde venues en quête de délicieux frissons. On peut noter par ailleurs, comme en témoigne l'illustration ci-contre, que cette affaire a tellement d'impact qu'elle entre dans le langage courant : on parle ainsi d'un Troppmann pour désigner l'assassin d'une famille.

    La malle sanglante de Millery (1889-1891)

     (Le Progrès Illustré, 28/12/1890)L'affaire de la malle sanglante (Le Progrès Illustré, 28/12/1890)

     (Le Progrès Illustré, 15/02/1891)L'exécution d'Eyraud (Le Progrès Illustré, 15/02/1891)
    Voilà une autre affaire qui passionna les foules, ayant sa dose de sang, de suspens, de rebondissements, de meurtriers sans scrupules, et, pour couronner le tout, une exécution. Un dimanche d'août 1889 est faite une sinistre découverte : un colis volumineux exhalant une odeur atroce et renfermant un corps humain décomposé. Quelques jours plus tard, un chercheur d'escargots découvre vers Saint-Genis-Laval les débris d'une malle tout aussi nauséabonde. Le corps n'est identifié que quelques temps plus tard, grâce à une brillante expertise du docteur Lacassagne qui a fait exhumer le corps. La victime n'est autre que Gouffé, huissier parisien coureur de jupons, qui avait été porté disparu. Un couple d'escrocs, Michel Eyraud et sa maîtresse Gabrielle Bompart, avaient décidé de le dévaliser. Le plan était simple : la belle devait attirer l'huissier dans un rez-de-chaussée discret où son complice attendait pour étrangler la victime, pour mieux le dévaliser. Mais le couple ne réussit pas à ouvrir le coffre de Gouffé et doit se débarrasser du cadavre qu'ils mettent dans une malle, convoyée en train jusqu'à Lyon, puis jeté au lieu-dit la Tour-de-Millery. Puis, le couple part pour l'Amérique, croyant l'affaire terminée. Néanmoins, l'enquête, une fois le corps identifié, conduit droit vers eux. Gabrielle Bompart, rentrée en France pour nier effrontément toute participation au meurtre, est arrêtée. Elle accable alors son complice, qui ne tarde pas à être appréhendé à Cuba.

    Il n'en faut guère plus pour passionner les foules : tous les ingrédients sont réunis. Un procès à sensation aux détails croustillants ne fait qu'ajouter à ce fait divers rocambolesque, où la perverse Gabrielle affirme que son compère l'avait hypnotisée avant le crime, provoquant une vigoureuse bataille d'experts. Eyraud est finalement condamné à mort, alors que sa maîtresse s'en sort avec vingt ans de travaux forcés, mais elle est libérée seulement huit ans plus tard.

    Les assassins de la Villette (1898-1899)

     (Le Progrès Illustré, 03/12/1899)La bande de Nouguier (Le Progrès Illustré, 03/12/1899) (L'Express de Lyon illustré, 25/02/1900)L'exécution de Nouguier (L'Express de Lyon illustré, 25/02/1900)En ce matin de septembre 1898, la veuve Foucherand, qui tient un bistrot rue de la Villette, derrière les casernes de la Part-Dieu, est retrouvée morte, le crâne défoncé. L'enquête conduit la police sur les traces d'une bande de jeunes apaches qui reconnaissent bien vite les faits, perpétrés lors d'une beuverie au cours de laquelle on décida de voler l'argent de la petite vieille. Ils accusent plus particulièrement les deux meneurs de la bande : Emile Nouguier, vingt ans, déjà condamné huit fois, et Annet Gaumet, qui est déjà sous le coup de quatorze condamnations du haut de ses vingt quatre ans. Ils sont condamnés à mort et leurs complices aux travaux forcés à perpétuité.

    Mais ce qui rend l'affaire singulière, c'est qu'en prison Nouguier s'est employé à rédiger un journal où il note les sentiments qui l'agitent. La chose vient aux oreilles du professeur Lacassagne, lequel fait des recherches visant à déterminer les motivations profondes qui guide les délinquants. A sa demande, Nouguier entreprend la rédaction de son autobiographie, choisissant une fiction littéraire originale : un oiseau, son compagnon de cellule, sert de narrateur. Il en résulte un texte étonnant, à la fois lucide et naïf, qui narre les événements généralement dramatiques, qui ont marqué la courte existence du jeune homme. A sa mort, il laisse son manuscrit au professeur Lacassagne qui en fait don à la Bibliothèque de Lyon en 1921.

    Une remise en question de la surexploitation de ces nouvelles de sang

    Cette soif de sensations, de frissons, de sang, fait le bonheur de cette presse populaire qui voit ses tirages s'envoler, atteignant des chiffres qui rendraient jalouse la presse écrite actuelle en perte de vitesse. Précisons toutefois que ces affaires restent du domaine du fait divers au sens où elles ne sont relayées que par une presse générale à sensation , et non des journaux spécialisés comme Le Passe-temps (journal culturel portant essentiellement sur l'actualité littéraire et théâtrale) par exemple.

    Une partie de la presse montrée du doigt ...

     (Le Progrès Illustré, 14/02/1892)Meurtre du Gourguillon (Le Progrès Illustré, 14/02/1892) (Le Progrès Illustré, 10/12/1893)Le procès de Busseuil (Le Progrès Illustré, 10/12/1893) (Le Progrès Illustré, 21/02/1892)Visite de la montée du Gourguillon en passant par un meurtre (Le Progrès Illustré, 21/02/1892)Si La Mascarade (journal politique et satirique) y fait tout de même référence dans son numéro du 26 septembre 1869, ce n'est que pour mieux dénoncer le phénomène superficiel qui s'est développé autour, à l'image de l'affaire Troppmann. L'évocation y est cynique et grinçante : Et comme les plus tristes choses ont un côté pratique , celle-ci aura le privilège de faire travailler les marchands de vins de Pantin , - où l'on, ira visiter le théâtre du crime ; les journaux ont de la copie assurée pour quelque temps, les lecteurs une pâture, et les français ayant un nouvel aliment pour leur curiosité et leur imagination , s'inquiéteront moins si l'empereur a pris son thé le matin , reçu le général Fleury dans la journée, et fait sa petite promenade avec M. Rouher . Cet article n'apparaît d'ailleurs qu'à la seconde page, perdu parmi d'autres informations.

    D'ailleurs, en regard de cet article, on peut citer l'utilisation assez étonnante d'un journal comme Le Progrès Illustré d'une affaire criminelle. Ainsi, pour l'affaire Busseuil (une femme étranglée dans sa chambre par un jeune souteneur), le journal, s'empare du sujet dans sa rubrique régulière choses lyonnaises, sorte de mise en valeur touristique des quartiers de Lyon, en présentant le lieu du meurtre, la montée du Gourguillon (lieu du meurtre), comme un endroit assez plaisant à visiter : L'aspect typique du lieu du crime, l'enchevêtrement inextricable des maisons qui s'étagent sur la colline, ces ruelles inexplicables, ces allées qui traboulent, ces couloirs sombres, ces escaliers tortueux ; tout cet assemblage bizarre fait de cette partie du quartier Saint-Georges un endroit prédestiné aux affaires mystérieuses et romanesques. Le journaliste nous fait apparaître en un coup de plume un quartier, alternant des touches sanglantes (en référence au meurtre) et des touches historiques (sur l'histoire du quartier) : Nos lecteurs trouveront donc dans ce numéro de très curieuses vues de la maison où la fille Berthéas a été tuée (singulière coïncidence, cette maison est peinte en rouge) ; le clos Ronzière où elle se trouve, très pittoresque avec ses petits jardinets ; la fameuse montée du Gourguillon, au bas de laquelle se trouve une maison historique, celle des Bellièvre, le place de la Trinité, où débouchent les rues Saint-Georges et Tramassac. (Le Progrès Illustré, 21 février 1892)

    ... mais aussi les lecteurs !

    Les journaux plus spécialisés ne semblent pas voir d'intérêt dans ces faits divers, si ce n'est, comme le Clarion-Journal pour dénigrer cette presse qui se délecte de ces crimes sanglants, mais plus encore peut-être pour dénoncer ces lecteurs qui en raffolent. C'est une condamnation sans appel qui est publiée le 29 janvier 1881, dans le cadre d'une autre affaire criminelle concernant la découverte du corps d'une femme coupée en morceaux : Les journaux, grands et petits, faute d'informations, utiles à leur tirage, continuent à insérer une foule de points d'interrogation, qui semblent dire beaucoup et qui, au fond, ne disent rien du tout. Quand donc nos moeurs publiques seront-elles assez policées pour que, obligés de satisfaire les déplorables appétits de la foule, les journaux n'en soient plus réduits à la triste besogne que nous leur voyons faire à propos de tous les crimes commis ?Triste besogne, en effet, que celle qui consiste, sur de simples présomptions [...] à charger un accusé, peut-être un innocent, d'une multitude d'hypothèses, et quelques fois d'affirmations toujours déshonorantes.

    Et l'auteur de l'article va encore plus loin en remettant en question les conditions de la liberté de la presse qui, précisément en 1881, est à l'ordre du jour : Il m'est d'avis que la loi sur la presse, que l'on élabore, devrait couper court à tous ces scandales, de nature d'abord à entraver l'action en justice, à entretenir aussi le côté bestial et féroce de l'humanité, et à transformer enfin, en coupables, avant les conclusions de l'enquête judiciaire ou d'un arrêt de Cour d'assises, les accusés, respectables comme accusés. C'est donc toute une réflexion sur la société et ses moeurs qui transparaît derrière cette nouvelle mouvance.

    Une presse réellement partagée devant le phénomène ?

     (Le Progrès Illustré, 04/02/1894)L'exécution de Busseuil (Le Progrès Illustré, 04/02/1894)Ces journaux qui s'offusquent n'y voient-ils pas là une manière d'en faire également leur choux gras sans trop se compromettre ? Comment rivaliser dans les kiosques face à une presse illustrée qui exploite dans tous ses aspects (même touristique !) ces faits sanglants ? En parler tout de même, vu que c'est à l'évidence une information incontournable, mais sous la forme de diatribe contre ces mêmes journaux, est une solution. Ainsi en est-il du Passe-temps du 7 février 1892 qui stipule à propos de l'affaire du Gourguillon : Il n'y a là en réalité qu'un fait divers banal et sans grand intérêt qu'on aurait pu raconter en quelques lignes. Cependant, mes confrères lui ont consacré de nombreuses colonnes, et vous pouvez en être certains, ce n'est pas fini. Une femme assassinée [...] est un évènement constituant un vrai régal pour les amateurs, qui s'en pourlèchent les babouines. Il précise par ailleurs qu'il ne reproche pas à ses confrères d'en relater les faits puisqu'il y a une demande. Mais plus curieux est le pointage qu'il fait sur un élément anodin qui va animer sa causerie : Du crime lui-même je n'ai rien à dire et ne dirai rien, mais il y a un incident qui a passé à peu près inaperçu et qui, je crois, mérite d'être relevé . Il a en effet déduit d'après une carte de visite retrouvée chez la femme assassinée qu'elle était une usurpatrice d'identité. C'est ainsi que le chroniqueur lance sa causerie sur le thème des usurpations d'identité dont il a lui-même été victime. Le crime mène à tout !

    Des événements qui ont fait l'unanimité

    Certains événements ont tellement marqué les esprits qu'ils en deviennent incontournables, et sont relayés par toute la presse, quelques soient leurs sujets de prédilections (théâtre, littérature, exposition universelle, ...), et sans ton vindicatif comme on a pu le voir précédemment. Parmi ces événements, trois ressortent beaucoup, de natures différentes : si le premier a fait grand bruit car il fait écho à une fameuse affaire survenue dix ans plus tôt, celle de Jack l'Eventreur, l'autre est un accident tragique, dans le cadre d'un événement de bienfaisance, qui a fait beaucoup de morts ; enfin le dernier prend de l'ampleur car il concerne un personnage éminent de l'époque, le Président de la République Sadi Carnot.

    Joseph Vacher, héritier de Jack l'éventreur? (1897-1898)

     (Le Progrès Illustré, 21/11/1897)Les meurtres de Vacher (Le Progrès Illustré, 21/11/1897) (Le Progrès Illustré, 21/11/1897)Arrestation de Vacher (Le Progrès Illustré, 21/11/1897)Au printemps 1897, la France assiste à un mauvais remake de l'Affaire Jack l'éventreur qui avait plongé Londres dans la terreur dix ans plus tôt. Depuis quatre ans le serial-killer laisse une traînée sanglante sur son passage, à travers plusieurs départements. Chaque fois ou presque, les victimes sont des adolescents des deux sexes, bergers le plus souvent, retrouvés égorgés, éventrés, violés. On parle d'un vagabond barbu, au regard de braise, vêtu d'un curieux bonnet de fourrure, mais il échappe à toutes les battues. Sa route s'arrête enfin un jour de 1897, dans l'Ardèche : sa future victime pousse des cris si perçants que son mari accourt et terrasse l'agresseur, Joseph Vacher. Arrêté et emprisonné, il finit par avouer onze crimes, donnant d'épouvantables détails. Pour répondre à la demande pressante d'un public longtemps tenu en haleine, la presse illustrée dans sa totalité consacre au tueur psychopathe plusieurs numéros. La France entière se passionne pour le procès qui se tient à Bourg-en-Bresse, à l'automne 1898, devant une salle archicomble. Le 31 décembre, Vacher monte sur la guillotine installée sur le champ-de-mars de Bourg-en-Bresse.

    C'est sans surprise que l'on constate que Le Progrès Illustré y consacre plusieurs numéros, et offre à ses lecteurs nombre d'illustrations de l'affaire dans un même exemplaire. Ce qui l'est plus, et montre par ce biais l'ampleur qu'a pris l'affaire Vacher, c'est que le journal Le Passe-temps, journal culturel bien loin d'ordinaire de ces faits divers sanglants, y consacre un article titré libre chronique dans son numéro du 31 octobre 1897. On peut noter que l'affaire criminelle est habilement amenée via une information culturelle : Le Chemineau magnifié par Jean Richepin, n'a quitté l'affiche de l'Odéon que pour reparaître tragiquement sur celle de l'actualité [...]. Au lieu de l'être surhumain rêvé par le maître vadrouilleur ès-rimes, [...] nous avons le cauchemar d'un Vacher atroce et bestial, traduisant en français la monstruosité vécue par Jack-l'Eventreur . Bien que, là encore, la diatribe dérive vers une dénonciation de cette presse à scandale : Quelle aubaine pour la grrrande presse quotidienne et les reporters-chacals qui se sont jetés sur cette sanglante pâture avec une avidité aussi féroce, au figuré, que l'abominable héros, dont ils ressassent et délayent l'hideuse biographie criminelle ! Pour preuve de l'ampleur de ces crimes et leur pérennité dans l'histoire, l'Affaire inspira au cinéaste Bertrand Tavernier son film Le juge et l'assassin, interprété par Philippe Noiret et Michel Galabru.

    L'incendie du Bazar de la Charité (1897)

     (Le Progrès Illustré, 16/05/1897)La catastrophe du Bazar de la Charité (Le Progrès Illustré, 16/05/1897) (Le Progrès Illustré, 16/05/1897)La foule en panique (Le Progrès Illustré, 16/05/1897) (Le Progrès Illustré, 16/05/1897)Amas de décombres et de corps carbonisés (Le Progrès Illustré, 16/05/1897)Dans l'après-midi du 4 mai 1897, tout le beau monde se presse à la traditionnelle vente de bienfaisance organisée par le Bazar de la Charité, association philanthropique qui regroupe les grands noms de l'aristocratie parisienne, mêlant charité et mondanités. Cette année, une nouvelle attraction est proposée à la curiosité des spectateurs : une séance de cinématographe. Mais, alors qu'il devait procéder au changement de pellicule, le projectionniste, gêné par l'obscurité, gratte une allumette et en quelques minutes un gigantesque brasier s'élève. La foule, rendue folle par la peur et la douleur, tente d'échapper aux flammes, mais ce sera en vain pour certains. De l'extérieur, pompiers et sauveteurs assistent impuissants au spectacle des corps qui s'embrasent, se recroquevillent et s'affaissent. Le lendemain, on retire du brasier plus de 150 corps carbonisés.

    Fête tournant au drame et entraînant des privilégiés de la bonne société dans une mort horrible, l'affaire frappe tout particulièrement l'opinion publique. Si la presse souligne l'héroïsme des sauveteurs, d'origine modeste, elle stigmatise fortement la veulerie de bien des hommes du monde qui, pour échapper au brasier, n'ont pas hésité à piétiner les femmes qui leur faisaient obstacle. Elle dénonce les chevaliers de la pétoche et les marquis d'escampette. Le Progrès Illustré consacre ainsi sa Une et les illustrations de ses pages intérieures à la catastrophe dans son numéro du 16 août 1897. A la même date, Le Passe-temps relate la chose, à sa manière, par un poème :

    Du Bazar de la Charité

    Tandis qu'infatigable en ses élans sublimes

    L'amour se prodiguait pour le déshérité

    Le sort moisonne et jette en ses brûlants abîmes

    Ceux qu'eut dû protéger ton aile, ô Charité !

    D'un ouragan de feu les coups illégitimes

    Frappent sans choix, noblesse, esprit, vertu, beauté ;

    La mort confond les deuils et met sur les victimes

    Le sceau de son horrible et sombre égalité.

    Deux anges apparus dans ce désastre immense,

    Qui trop vite oublié tôt ou tard recommence.

    S'élèvent radieux de ce brasier fumant.

    L'âme en eux recouvrant sa force anéantie

    L'espoir aux coeurs navrés renaît obscurément

    L'un a nom Dévouement et l'autre Sympathie.

    Assassinat du Président Sadi Carnot (1894)

     (Le Journal de Guignol, 01/07/1894)Sadi Carnot (Le Journal de Guignol, 01/07/1894) (Le Progrès Illustré, 01/07/1894)L'assassinat de Sadi Carnot (Le Progrès Illustré, 01/07/1894) (Le Progrès Illustré, 12/08/1894)Caserio en Cours d'assises (Le Progrès Illustré, 12/08/1894) (Le Progrès Illustré, 26/08/1894)L'Exécution de Caserio (Le Progrès Illustré, 26/08/1894)A la fin du XIXe siècle, les groupuscules anarchistes pullulent. Le développement de la presse traduit d'ailleurs bien ce foisonnement à travers la création de plusieurs titres anarchistes qui, en général, ne paraissent pas bien longtemps, étant vite interdits de publication. Si la presse anarchiste se déchaîne et peut avoir des mots très violents, ces mots se traduisent par des actes : certains se font le bras armé de ces mouvements à travers des attentats. C'est dans ce contexte que l'attentat contre le Président de la République Sadi Carnot est perpétré.

    Le 24 juin 1894, le président de la République vient visiter l'Exposition Internationale qui se tient au parc de la Tête d'Or, à Lyon. Le soir venu, alors qu'il se dirige en calèche vers le Grand-Théâtre, il est frappé d'un coup de poignard par un jeune anarchiste italien, Santo Caserio, qui ne tarde pas à être arrêté. Sadi Carnot meurt dans la nuit, et son corps ramené à Paris pour des obsèques solennelles à Notre-Dame. Après une instruction rondement menée de vingt-deux jours et un procès qui dépasse à peine une douzaine d'heures, quelques minutes de délibéré suffisent pour condamner l'assassin : sa culpabilité ne fait aucun doute pour personne. Refusant tout pourvoi en Cassation et tout recours en grâce, Caserio est exécuté près de la prison Saint-Paul, le 16 août à cinq heures du matin. La foule, qui assistait de loin à l'exécution, applaudit longuement.

    L'attentat produit une immense émotion dans le pays et fait la une de tous les périodiques : c'est surtout la consternation qui prime. Si Le Progrès Illustré reste une source importante concernant les illustrations (deux numéros sont consacrés à Carnot, et trois autres à son assassin), allant jusqu'à représenter le Président défunt sur son lit de mort, les autres périodiques ne sont pas en reste pour ce qui est de l'information elle-même. Le Bulletin Officiel de l'Exposition de Lyon consacre sa une à l'événement, d'autant plus que l'attentat s'est produit à l'occasion de la visite du Président à cette exposition. Il y consacre plusieurs pages, décrivant le circuit de Sadi Carnot heure par heure. Il en est de même pour le numéro de Lyon-exposition du 1er juillet 1894. Le Passe-temps y consacre sa causerie, rubrique régulière faisant la une du journal. L'accroche est d'ailleurs intéressante à souligner, le journaliste précisant que si certes cette information ne rentre pas son domaine de prédilection, la culture, elle est bien trop importante pour être passée sous silence : Quoique le sujet n'entre pas dans le cadre habituel de ce journal il m'est impossible cependant de ne pas parler de l'horrible drame qui, cette semaine, a eu notre ville pour théâtre. Le Journal de Guignol retranscrit également la nouvelle : dans le patois lyonnais il rend à sa façon hommage au Président assassiné : Y a pas à dire, mes bozons, jamais y a t'aeu une manifessation aussi imposante, pour n'importe quel roi ou emprereur que pour notre regretté président Carnot. Toutes les puissances, tous les empereurs, barons, ducs, pairs, minisses, etc., ont tiendu à envoyassasser à Mme Carnot l'expression exprimée de leurs sympathies sympathisantes. Les funérailles ont z'été exceptionnellement imposantes, les couronnes innombrables, des délégations à n'en pas finir, tcetera, tcetera. L'article fait d'ailleurs allusion au projet d'élever un monument en l'honneur du président défunt : D'un autre côté, Lyon a tiendu à honorassasser dignement le grand homme en ouvrant par le canal des jornaux une soscription, à seule fin de lui élevassasser une statue bien chouette sur la place de la République. (Le Journal de Guignol, 8 juillet 1894).

    Au final, il est à noter que ces canards sanglants ne sont pas le seul point d'entrée de ces grandes affaires criminelles. Si l'on a un peu rapidement évoqué le docteur Lacassagne, dont le savoir et les méthodes aidèrent à la résolution de certaines enquêtes criminelles, il ne faut pas oublier le rôle de plus en plus important de la science dans ces affaires : Lacassagne est l'un des précurseurs de la police scientifique qui va éclore au début du XXe siècle sous la houlette notamment d'un autre Lyonnais : Edmond Locard. Ce serait là une autre façon d'aborder ces crimes de sang.

    Voir aussi

    Du Sang à la Une

    Exposition virtuelle datant de 1998.

    Le fonds Lacassagne

    En février 1921, au terme d'une longue carrière, Alexandre Lacassagne, médecin légiste, professeur à la faculté de médecine de Lyon et médecin-expert auprès des tribunaux, donne à la Ville de Lyon l'ensemble de ses collections manuscrites et imprimées. Au total près de 12000 documents ...

    Pour citer cet article

    Référence électronique

    Sarah Waechter, Canards sanglants, numelyo [en ligne], mis en ligne le 2010-04-09T13:37:33.451Z, consulté le 2024-04-25 10:21:04. URL : https://numelyo.bm-lyon.fr/BML:01DOC0014bbf2d9d5072f

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