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    Mystifications et Fin de Siècle

    Chroniques du Progrès Illustré

    Le tournant du XIXe siècle est une période de l'histoire qui foisonne en mystifications. Le Progrès Illustré, journal s'adressant à un large éventail de la population d'une grande ville, est représentatif de cette tendance, et Jacques Mauprat, son principal chroniqueur, fait preuve d'un intérêt significatif pour ces questions.

    L'esprit fin de siècle, qui résume l'air du temps, raffole des mystifications. De la fumisterie, du canular, de la blague, qui ont pour eux la beauté de « l'acte gratuit », à l'imposture et à l'escroquerie criminelle, le mot couvre une gamme infinie de nuances.

    En homme de la IIIe République, le ton des chroniques de Mauprat, ses Causeries, est souvent édifiant, et il entend livrer à travers ces récits un propos moral.

    Escrocs fin de siècle

    Snobs et escrocs

    Jacques Mauprat évoque à de nombreuses reprises des escroqueries qui font sensation dans l'actualité. Il s'intéresse uniquement à des cas pittoresques et originaux, faits pour frapper l'imagination du lecteur. Ainsi, le pseudo-Marquis d'Alba se fait passer pour noble pour escroquer les bourgeois fascinés par l'aristocratie, s'introduit dans leurs salons, et n'est démasqué que parce qu'il est surpris en train de vider un coffre-fort ( N°47, 8 Novembre 1891 ).

    Mauprat condamne un tel acte, mais en profite pour se moquer du snobisme, qui rend les hommes naïfs et aveugles ( N° 44, 18 Octobre 1891 ).

    Cette condamnation du snobisme l'amène à évoquer un type de mystification qui relève de la vanité pure : la fausse noblesse. Cette chronique est écrite au moment de la publication d'un livre qui pourfend la noblesse de contrebande ( N°408, 9 octobre 1898 ). Mauprat rappelle qu'à l'époque où être noble permettait de ne pas payer l'impôt, il y avait un intérêt financier à frauder ou à acheter la noblesse argent comptant. Cette habitude n'a pas disparu dans certains pays, et des généalogistes de métier falsifient des documents pour fabriquer de glorieuses filiations pour leurs clients. Ce snobisme favorise les activités d'escrocs comme le pseudo-Marquis d'Alba ( N°412, 6 novembre 1898 ).

    Entre contrebandiers et gendarmes

    Amour et escroquerie

    Les escrocs dont parle Jacques Mauprat utilisent souvent l'amour pour fermer les yeux de leurs victimes. Mauprat rapporte ainsi l'histoire d'une septuagénaire qui, désirant se marier, demande conseil à une voyante. Celle-ci lui promet de retrouver l'âme s'ur qui lui est destinée, et, prétendant avoir besoin d'argent pour les recherches, lui extorque une forte somme, avant d'être condamnée.

    Le journaliste se moque de sa crédulité, mais est touché par le cas d'une riche et belle comtesse d'origine française, qui, séduite par un musicien tsigane, quitte le pays avec lui. Après une brève idylle, celui-ci disparaît avec une forte somme volée à sa maîtresse. Mais la richesse de la jeune femme lui permet de lancer la police à ses trousses, et de retrouver l'escroc ( N°490, 6 mai 1900 ).

    Impostures

    Certaines mystifications mineures attirent l'indignation de Mauprat. Il s'attache au cas des tricheries au baccalauréat : des étudiants qui font passer les épreuves par quelqu'un d'autre en leur nom. Il y a à Paris des professionnels du faux bachot, providence des fils de famille demeurés de parfaits cancres ( N°308, 8 novembre 1896 ).

    Curieusement, l'affaire qui semble le plus soulever l'exaspération de Mauprat est celle des faux mendiants et mendiants de profession, sur laquelle il revient à plusieurs reprises. Il va jusqu'à parler de mendiants millionnaires pour qui la mendicité serait une fabuleuse source de revenus ( N°22, 17 Mai 1891 ). Comment faire pour s'en défendre, pour discerner les vrais pauvres des faux, ceux qui sont indigents par défaut de travail, ou ceux qui exploitent la charité publique pour ne rien faire ' ( N° 265, 12 janvier 1896 ). Le journaliste affirme qu'un philanthrope parisien, voulant prouver que la mendicité rapportait plus qu'un travail modeste, s'est déguisé en mendiant et aurait récolté ainsi une somme considérable en une journée ( N°30, 12 juillet 1891 ). Notons qu'à la même époque, Conan Doyle choisit ce sujet pour une nouvelle mettant en scène Sherlock Holmes [note].

    L'indignation du chroniqueur atteint son comble lorsqu'il raconte qu'en hiver des agences clandestines loueraient de jeunes enfants pour quelques heures à des mendiants professionnels, pour susciter l'émotion des passants ( N°469, 10 décembre 1899 ).

    Des escrocs de grande envergure

    Scandale de Panama : une séance de la commission d'enquête

    Certaines escroqueries, aux conséquences plus graves sont abordées avec plus de sévérité. Mauprat raconte les aventures sinistres, mais fabuleusement romanesques, du prussien Mathias Hadelt Mathias Hadelt, voleur et assassin, qui se faisait passer pour un moine trappiste pour mettre en confiance ses victimes et s'introduire dans les couvents ( N°73, 8 mai 1892 ).

    Jacques Mauprat évoque également l'affaire Portalis, qui fit sensation. Il s'agit d'un spéculateur parisien, escroc financier, maître-chanteur, qu'il compare à Vautrin, le personnage de la Comédie Humaine de Balzac ( N°208, 9 décembre 1894 ).

    On sent chez le chroniqueur une certaine fascination pour ces escrocs romanesques, de grande envergure ( N°103, 4 décembre 1892 ), qu'il dépeint à propos du scandale de Panama [note], ces personnages balzaciens, guerroyant contre la société, sur un enjeu à faire pâlir les fabuleuses richesses d'un Monte-Cristo ( N°114, 19 février 1893 ).

    Extravagantes fumisteries

    L'argent occupe toujours la place centrale dans une escroquerie, ce qui n'est pas le cas dans une fumisterie. Cependant, la limite entre fumisterie et escroquerie est souvent floue. Prenons le cas de l'explorateur helvète. En 1898, un explorateur débarque à Londres. Il rentre d'un périple en Australie qui aurait duré trente ans, pendant lesquels il aurait vécu dans une tribu d'anthropophages. D'abord prisonnier, il serait devenu leur chef, partageant leurs m'urs et leurs coutumes. Ayant réussi à revenir en Europe, il publie des livres d'ethnologie, fait des conférences, et ramasse ainsi des sommes considérables. La supercherie s'effondre lorsque l'on découvre qu'il s'est contenté en réalité de passer quelques années à Sydney, le temps de faire des recherches en bibliothèque ( N°412, 6 novembre 1898 ).

    Classiques de la fumisterie

    Les fumisteries sont plus que jamais à la mode. Ce sont des mystifications spirituelles, normalement inoffensives. Cela va des poissons d'avril de plus ou moins bon goût ( N°16, 5 avril 1891 ) que rapporte Mauprat, aux blagues de potaches des séances de bizutage de Saint-Cyr ( N°307, 1er novembre 1896 ).

    Jacques Mauprat raconte à plusieurs reprises une fumisterie bien connue à l'époque où la chasse est un loisir très courant : ces chasseurs qui achètent du gibier chez un boucher pour ne pas rentrer bredouille ( N°403, 4 septembre 1898 ).

    Fumistes célèbres

    Mais le XIXe siècle se passionne surtout pour les grandes fumisteries, qui sont de véritables actes gratuits, parfois remplis d'un certain panache. Le fumiste révèle leur véritable nature au grand jour, preuve de son génie mystificateur.

    Certains noms reviennent régulièrement sous la plume de Mauprat, qui a pour eux une évidente sympathie.

    Arthur Sapeck [note], pseudonyme d'Eugène François Bonaventure Bataille (1854-1891) est l'un de ses favoris. Figure importante de mouvements intellectuels de la Troisième République comme les Hydropathes, les Fumistes, les Hirsutes et les Incohérents, il est illustrateur, mais surtout célèbre pour ses canulars et mystifications. Mauprat le cite comme le type même du mystificateur, au sens noble du terme, et y compare les nouveaux fumistes du moment.

    Le chroniqueur évoque aussi Paul Masson, dit Lemice-Terrieux(1849-1896). L'un de ses plus fameux canulars est la publication d'un prétendu Carnet de jeunesse du prince de Bismarck, qui selon Colette faillit être cause de guerre entre la France et l'Allemagne. Colette rapporte dans Mes apprentissages que Masson, qui était bibliothécaire à la Bibliothèque Nationale de France au service du catalogage, lui a raconté qu'il créait des fiches bibliographiques de livres que la bibliothèque ne possédait pas, dans les domaines où ses fonds étaient pauvres : Qu'au moins les titres sauvent le prestige du catalogue.

    Pour présenter sous un jour nouveau à ses lecteurs Eugène Sue [note], qu'il affectionne beaucoup, il affirme qu'il fut dans sa jeunesse un grand mystificateur et qu'il réutilisa dans ses 'uvres certaines mystifications qu'il avait réalisées dans la vie réelle ( N° 252, 13 octobre 1895 ).

    Fumistes anonymes et oubliés

    Le journaliste s'attache aussi à présenter des fumistes anonymes. Certains fumistes souhaitent en effet rester inconnus, tels ces auteurs de pétitions parfaitement farfelues déposées au Parlement de Paris ( N°168, 4 mars 1894 ).

    Citons encore ces amateurs de canulars sous la Restauration, tel celui de la jeune fille à la tête de mort. Il s'agit d'une rumeur affirmant qu'une femme surprise en flagrant délit d'adultère par son mari reçut sur ses genoux la tête de son amant décapité. L'épouse infidèle était enceinte et la tête de l'enfant lorsqu'il naquit, était celle d'un cadavre. Selon Mauprat, à l'époque, la police secrète, qui s'appelait alors la Direction de l'Esprit Public, s'emparait volontiers [de ces rumeurs] pour les propager afin de détourner les esprits de la politique. ( N°27, 21 juin 1891 ).

    En 1897 à Lyon, un fumiste joue des tours à un magistrat conservateur de la cour. Il passe simultanément en son nom des commandes à dix fournisseurs de charbon différent, l'abonne sans qu'il le sache à trente journaux anarchistes et pornographiques. Il agit bien pour le plaisir de tourner en ridicule un représentant de la loi ( N°366, 19 décembre 1897 ).

    Mauprat évoque aussi ces textes littéraires qui sont des supercheries. Il donne l'exemple des mémoires d'un ancien condamné à mort, qui raconte sa vie en prison, puis son exécution manquée, la lame de la guillotine étant restée coincée au-dessus de son cou. Malgré les protestations d'authenticité de l'imprimeur, le journaliste est suspicieux ( N°405, 18 décembre 1898 ).

    Le journaliste rapporte cette nouvelle provenant d'un journal autrichien et qu'il considère comme un probable canular : une jeune femme postule pour reprendre le poste de bourreau, le précédent venant de prendre sa retraite. Elle affirme pour justifier sa candidature que sa beauté soulagerait le désespoir des condamnés à mort au moment de leur exécution ( N°482, 11 mars 1900 ).

    Jacques Mauprat rapporte de nombreuses fumisteries savoureuses mais aujourd'hui oubliées, sur lesquelles il donne très peu de détails ou dont il ne mentionne pas l'auteur.

    Voici l'exemple d'une mystification lyonnaise. On apprend la nouvelle qu'un ancien président de la Cour d'Appel de Lyon vient de mourir en laissant toute sa fortune à un neveu. Les langues se délient et plusieurs personnes bien renseignées renchérissent et révèlent les détails de l'affaire, allant du montant de la fortune à l'énoncé du testament, en passant par les défauts et les secrets du défunt. Enfin, l'auteur de la mystification annonce que le président en question n'a jamais existé que dans son imagination ( N°403, 4 septembre 1898 ).

    Mauprat apprécie particulièrement les mystifications qui n'ont pour but que de prouver la bêtise humaine. Il en donne un exemple original. Un peintre nommé Gravelle affirmant que le bonheur est dans une vie très simple, au contact de la nature, incite de nombreuses personnes à le suivre dans une retraite idyllique dans le Cantal. Enthousiasmés, les crédules font leurs bagages, mais le fumiste prend la fuite après avoir révélé que tout n'était qu'une supercherie ( N°246, 1er septembre 1895 ).

    Si Mauprat déteste les anarchistes, il reconnaît un certain sens de l'humour à

    M. Achille Le Roy, anarchiste et fumiste, qui vient de faire ses visites électorales aux trente-sept immortels, ['] leur exposant ses titres, qui sont deux publications intitulées Les Amours libres et La Bombe, et son but, qui consiste à s'introduire à l'Académie pour la « rajeunir » d'abord et la « faire sauter » ensuite
    ( N° 128, 28 mai 1893 ).

    Revendiquer son 'uvre

    Pour certains mystificateurs, la mystification implique un dévoilement final de sa nature et de son auteur, et la démystification fait partie du plaisir.

    Alphonse Allais [note], auteur d'une grande popularité, fait partie de ces grands fumistes qui agissent pour la beauté du geste. Mauprat signale que pendant toute une période, Allais s'est amusé à mystifier le critique Francisque Sarcey en écrivant des articles égrillards ou incohérents qu'il signait Sarcey, dans la revue Le Chat-Noir. Il n'en faisait pas mystère, et Sarcey, comme tout le monde, connaissait l'identité du farceur et semblait assez bien prendre la plaisanterie ( N°366, 19 décembre 1897 ).

    Mais selon Mauprat, le plus brillant des mystificateurs est Léo Taxil [note], auteur de la plus savoureuse mystification de la fin du XIXe siècle.

    Léo Taxil est un écrivain d'un anticléricalisme virulent qui s'exprime dans des ouvrages satiriques et polémiques. Un jour, il annonce qu'il s'est converti au catholicisme, et suite à ce revirement commence à publier des textes contre la Franc-maçonnerie et les sectes sataniques. Il obtient peu de temps après la conversion d'une ex-prêtresse sataniste, Diana Vaughan, et édite ses Mémoires d'une Ex-Palladiste. Il donne enfin une série de conférence sur le sujet. Ce spectaculaire retour du fils prodigue est salué par les milieux catholiques dans toute la France. Il reçoit l'approbation du corps épiscopal et le Pape lui adresse une lettre de bénédiction et d'encouragement.

    Cependant, personne n'ayant rencontré Diana Vaughan, on demande à Taxil de la présenter. Il finit par organiser une réunion, au cours de laquelle il annonce, à la fureur générale : De Diana Vaughan, il n'y en a pas. C'est moi ! Je suis Marseillais, donc fumiste. ['] C'est ainsi que j'ai créé Diana Vaughan, avec le concours de l'Eglise, que je remercie de m'avoir aidé dans cette belle mystification ( N°332, 25 avril 1897 ).

    L'envers de la mystification

    Mauprat raconte une surprenante anecdote : le cas d'un homme honnête se faisant passer pour un escroc. Poursuivi pour exercice illégal de la médecine et arrêté dans un cabinet clandestin établi dans un bouge, il parvient à prouver qu'il est effectivement médecin. Mais ces apparences louches lui attirent une clientèle plus nombreuse. Ce qui est sérieux, régulier, convenable n'attire pas la masse. Il lui faut l'attrait mystérieux de l'étrange et de l'occulte. Une ordonnance rédigée par la science ne compte pas. Mais un secret de marchand de sorts, de nécromancien bateleur, vendu très cher dans le silence d'un endroit borgne, suffit à faire la fortune d'un homme ( N°379, 20 mars 1898 ).

    Mystifications officielles

    Certaines mystifications, enfin, sont l''uvre d'institutions. On sait que de nombreux chefs d'Etat, comme William McKinley, le président des Etats-Unis, ou Napoléon III avaient recours à des sosies, engagés par les dirigeants eux-mêmes, pour éviter les attentats, ou simplement les bains de foule ( N°426, 12 février 1899 ).

    Mystifications tragiques

    Le ton de Mauprat reste donc bienveillant pour ces mystifications qui n'ont pas de but pécuniaire et sont inoffensives. Il est simplement dédaigneux lorsqu'elles ne sont pas du meilleur goût. Cependant, lorsque les conséquences en sont tragiques et cruelles, il exprime sa réprobation.

    Le journaliste évoque les farceurs qui se font passer pour des anarchistes et posent dans des lieux publics des pétards dont l'apparence et les sifflements menaçants ressemblent à ceux des bombes, suscitant une panique incontrôlable, les gens se bousculant pour quitter les lieux ( N°168, 4 mars 1894 ).

    Il fait preuve d'une indignation horrifiée en racontant le canular du Bruix. Un télégramme annonce que ce navire français a disparu en mer. On imagine la panique des familles des passagers. Mais quelques heures plus tard, une source officielle infirme le télégramme : le bateau n'a pas quitté le port, il s'agissait d'un canular d'un auteur anonyme ( N°403, 4 septembre 1898 ).

    Occultisme et manipulation

    Voyants ridicules

    Jacques Mauprat nous livre fréquemment ses commentaires sur la mode des voyantes et des prophétesses : le siècle feint d'être positif et incrédule, mais ne peut s'empêcher d'y croire ( N°447, 9 juillet 1899 ).

    Mauprat fait régulièrement allusion à de célèbres spirites, pour les tourner en ridicule avec un plaisir manifeste. Il considère ces personnes comme des escrocs qui vivent de la crédulité de leurs clients, tout en admettant la possibilité que certains soient de simples déséquilibrés, parfaitement sincères.

    Selon le journaliste, les séances d'occultisme se prêtent à la comédie : les clients sont des naïfs, le plus souvent bernés par des escrocs, et le dénouement est souvent ridicule. Ainsi on raconte que sous le règne de Napoléon III, l'impératrice s'adonnait au spiritisme. Un jour le spirite convainc l'assistance qu'il a convoqué l'esprit d'une illustre défunte et affirme à l'impératrice qu'elle tient la main de celle-ci. La supercherie est découverte lorsqu'on s'aperçoit qu'elle serre dans sa poigne émue le pied nu du spirite ( N° 315, 27 décembre 1896 ).

    Mauprat évoque un personnage qui fut très célèbre en son temps : Madame de Thèbes [note].

    De son vrai nom Anne Victorine Savigny, il s'agit d'une prophétesse qui officiait dans son salon de l'avenue de Wagram à Paris et publiait chaque année à Noël des prophéties qui connaissaient une vaste audience. Elle était aussi censée lire dans les lignes de la main, souvent à travers un rideau pour ne pas savoir qui était le sujet de son analyse.

    Mauprat raconte la prédiction qu'elle fit à Arthur Meyer, directeur du journal Le Gaulois. Elle lui affirma qu'elle avait prédit la mort Félix Faure. Cependant, cette annonce n'ayant été faite que le lendemain du décès, elle n'impressionne pas Mauprat qui se fait féroce. Elle ajouta qu'elle pourrait prédire que d'autres morts sensationnelles auraient lieu dans l'année, mais qu'elle ne pouvait pas divulguer de nom, pour des raisons évidentes ( N°428, 26 février 1899 ).

    Autre figure emblématique du spiritisme fin de siècle : Mademoiselle Couesdon [note]. Cette jeune femme affirmait recevoir la visite de l'archange Gabriel qui lui révélait l'avenir ( N° 302, 27 septembre 1896 ).

    Mauprat évoque une voyante aujourd'hui oubliée mais qui eut son heure de gloire :

    Une somnambule extra-lucide, - elles le sont toutes! - madame Ekatérinodar de Viatka, inondait la quatrième page des journaux. Célébrité russe, devineresse, dormeuse clairvoyante, somnambule, cartomancienne ; tout par dates, 33 méthodes!
    ( N° 167, 25 février 1894 ). Elle prédit l'avenir, fait de la magie blanche et de la magie noire, vend des livres de potions de sorcières à réaliser soi-même etc. Contrairement aux précédentes, Madame Ekatérinodar de Viatka est bel et bien arrêtée pour escroquerie.

    Ces affaires où se jouent parfois des sommes importantes peuvent mener au crime. Mauprat rappelle le scandale que fit la querelle entre deux sectes dont l'une accusait l'autre d'avoir assassiné son dirigeant, l'abbé Boulan, un prêtre devenu sorcier, par un envoûtement maléfique ( N°111, 29 janvier 1893 ).

    La folie du spiritisme

    Jacques Mauprat raconte qu'à l'époque les témoignages de manifestations occultes lui parviennent de partout. C'est plus qu'un engouement, c'est une folie collective. Et c'est ce qui explique la crédulité des gens face aux voyants et spirites divers.

    A Londres, les badauds accourent à la Chambre des communes pour tenter d'apercevoir le spectre aperçu par les domestiques, qui serait le double immatériel de l'épouse d'un parlementaire ( N°447, 9 juillet 1899 ).

    L'occultisme se mêle même à la politique. Mauprat ironise sur le député de la Guadeloupe à la Chambre, guadeloupéen et sorcier de profession. Pour gagner les élections au Conseil général, il aurait eu recours à des pratiques de sorcellerie ( N°390, 5 juillet 1898 ).

    Les journaux signalent chaque semaine de nouveaux cas de « maisons hantées ». Mauprat rapporte l'exemple parmi d'autres d'une maison hantée située à Paris : la propriétaire et les voisins affirment entendre un enfant pleurer, sans jamais l'apercevoir. ( N°498, 1er juillet 1900 ).

    Preuves significative de cette mode : Victorien Sardou, auteur très en vogue, écrit une pièce de théâtre intitulée Spiritisme ( N° 315, 27 décembre 1896 ).

    Hier, on était à l'incrédulité voltairienne, au positivisme rassis. Aujourd'hui, au contraire, fleurit un renouveau de mysticisme et la soif d'infini dont beaucoup sont dévorés conduit parfois ceux qui en souffrent à s'abreuver à des sources douteuses. L'humanité est ainsi balancée périodiquement entre le scepticisme et la crédulité. ( N°315, 27 décembre 1896 ).

    L'opinion publique donne deux interprétations possibles de cette attirance pour l'occultisme : une régression, une tendance à la superstition obscurantiste, ou au contraire un retour à des préoccupations essentielles qui n'auraient jamais quitté l'homme ( N°315, 27 décembre 1896 ).

    Les sciences aux limites de l'occultisme

    En homme de son temps, Jacques Mauprat est positiviste. Cependant, il a conscience de la part d'inexpliqué qui subsiste dans l'univers malgré les avancées de la science. Et c'est en homme de son temps qu'il admet la possibilité de ce qui aujourd'hui serait considéré comme du spiritisme. Selon le journaliste, les sciences permettent d'expliquer ce qui auparavant passait pour surnaturel et au-dessus des capacités humaines ( N° 268, 2 février 1896 ).

    Qui plus est, Mauprat est convaincu qu'une fumisterie peut se transformer en fait réel. Il raconte une expérience (douteuse) qui aurait été tentée en orient. On annonce à un condamné à mort qu'on va le saigner à blanc. Après lui avoir bandé les yeux, on lui fait une coupure minime et on laisse couler de l'eau sur son bras : il meurt des symptômes de la perte de sang. Mauprat est convaincu de l'authenticité de cette anecdote ( N°463, 29 octobre 1899 ).

    Rappelons qu'à la même époque, Albert de Rochas [note], le directeur de l'Ecole Polytechnique, donne une assise scientifique à l'occultisme. Il affirme que l'hypnose et le magnétisme des fluides permettent de créer des phénomènes qui ressemblent à ceux que l'on observe pendant les séances d'occultisme ( N°124, 30 avril 1893 ).

    Mauprat accepte l'idée des savants qui affirment l'existence d'un monde immatériel et qui démontrent que notre corps de chair a un double fluidique qui rayonne, grâce par exemple à la radiographie. Mauprat évoque ainsi les rayons X de Roentgen et leur rôle en médecine ( N°322, 14 février 1897 ). A côté du spiritisme grossier et gobeur, il y a donc une véritable science spiritualiste, encore embryonnaire, mais qui jette déjà dans l'océan de la métaphysique de fulgurants coups de sonde, qui chaque jour l'éclaircira davantage ( N° 315, 27 décembre 1896 ).

    L'époque entretient donc une frontière trouble, qui laisse une large marge de man'uvre à tous les mystificateurs.

    La fin du XIXe siècle est marquée par un accès de folie millénariste. Les annonces de fin du monde imminente foisonnent. Ainsi, à Kharkof en Russie, le bruit se répand à la suite d'une mystification que la fin du monde est proche, et les habitants quittent la ville pour se réfugier dans les campagnes. Mauprat ironise : ce comportement irrationnel pourrait s'expliquer simplement : ils veulent éviter de payer leur loyer ( N°455, 3 septembre 1899 ). La prophétesse Mademoiselle Couesdon publie dans la presse ses prédictions d'apocalypse. Aux Etats-Unis, un révérend mormon prêche la fin des temps et les communautés mormones sont en prière.

    Mauprat rappelle que des tels phénomènes ont eu lieu au Moyen-âge, au tournant de l'an mille. Il a suffi d'un commentaire extravagant d'une parole de l'Ecriture, pour que le monde entier crût à sa propre fin. Ce fut une époque indicible de terreur, d'affolement et de désespérance ( N° 302, 27 septembre 1896 ).

    C'est l'époque où la science commence à envisager la possibilité de la destruction de la planète sous le coup de catastrophes naturelles, qui n'auraient rien à voir avec une quelconque colère divine ( N° 302, 27 septembre 1896 ). Cependant, Jaques Mauprat confond parfois dans une même ironie de véritables scientifiques avec les spirites et les prophètes. Rudolf Falb, un vulgarisateur scientifique autrichien, annonce que la terre pourrait être percutée par une comète. Un mouvement de panique se produit en Russie et en Tunisie, mais aussi en France, où les prêtres et les confessionnaux sont pris d'assaut. Mauprat présente Falb comme un astrologue ( N°466, 19 novembre 1899 ). Il se moque aussi d'un astronome qui prédit que la lune tomberait sur la terre, à force de s'en rapprocher, dans six cents ans ( N°472, 31 décembre 1899 ). Enfin, il ironise sur les affirmations de savants qui ne savent pas se décider, annoncent la fin du monde puis corrigent leurs dires en affirmant que la comète ne fera que frôler la terre, accompagnée d'une pluie d'étoile filantes ( N°462, 22 octobre 1899 , N°466, 19 novembre 1899 ).

    Le journaliste et les mystifications

    Témoin de mystifications

    Le chroniqueur, malgré tout son scepticisme n'est pas à labri d'une mystification. Il raconte comment il a en été lui-même victime. Chaque année, deux quêteurs se présentent chez lui pour lui demander de faire un don à un orphelinat. Il finit par découvrir que l'orphelinat n'a jamais existé et les escrocs démasqués affirment pour leur défense qu'ils avaient déjà envisagé de le créer ( N°368, 2 janvier 1898 ).

    Jacques Mauprat prend un véritable plaisir à raconter comment il a assisté au dévoilement d'une mystification et au ridicule des fumistes. Il s'agit des frères Ira Erastus et William Henry Davenport, célèbres spirites américains qui montrèrent leurs prodiges lors de tournées mondiales. Le célèbre prestidigitateur Velle avait alors déjà démontré au public que les frères Davenport lors de leurs séances réalisaient en réalité de simples tours de prestidigitation.

    Mauprat fait le récit d'une représentation des frères Davenport à laquelle il a assisté lors de leur passage à Lyon. A l'apogée de la séance, un spectateur dubitatif révèle que les esprits qui circulaient dans la salle étaient en réalité les deux frères qui profitaient de l'obscurité pour monter leur mise en scène. Les Davenport doivent fuir sous les huées ( N°447, 9 juillet 1899 , N°499, 8 juillet 1900 ).

    Démasquer la mystification

    Ce siècle de lumières a parfois de bien étranges obscurités ( Jacques Mauprat, N°447, 9 juillet 1899 ).

    En esprit positiviste et peu crédule et en homme instruit de la IIIe République, Mauprat pense qu'il a le devoir d'éclairer les peuples, c'est-à-dire de dénoncer les escroqueries de toutes sortes et de lutter contre la superstition. L'agacement qu'il ressent à l'encontre de la crédulité humaine se mêle à l'indignation contre ceux qui en profitent.

    Il rappelle que, au siècle du progrès, les superstitions sont toujours aussi fortes : crédulité religieuse, dont témoigne par exemple le succès d'un jeune messie de cinq ans qui fait une tournée à travers les Etats-Unis ; occultisme, telle la croyance dans les maisons hantées, sur lesquelles de nouveaux récits paraissent chaque semaine ; foi aveugle dans les médecins douteux, les charlatans et les rebouteux ( N°424, 29 janvier 1899 ).

    Lorsqu'il évoque l'occultisme, Mauprat tente de trouver le truc et de démontrer ainsi la mystification, tel qu'il le fait pour expliquer les prodiges réalisés par une voyante Lyonnaise ( N°447, 9 juillet 1899 ).

    Le journaliste choisit parfois de montrer les réactions du lectorat du Progrès Illustré face à son incrédulité. Il publie ainsi la lettre d'une lectrice qui, comme preuve de l'existence des esprits, rapporte un récit provenant d'un journal américain. Une jeune femme aurait eu une vision de son défunt père qui lui aurait prédit avec justesse la mort de sa mère. Mauprat rappelle à ses lecteurs qu'il ne faut pas croire tout ce que publient les journaux, du moins les canards américains. Puis il propose une explication rationnelle : un cauchemar et une simple coïncidence. Le récit n'est donc en rien une preuve de quoi que ce soit ( N°499, 8 juillet 1900 ).

    Mystifié !

    Pour comprendre ces supercheries diverses, il faut les replacer dans leur contexte historique. A l'époque, les nouvelles voyagent lentement. Le télégraphe a représenté une révolution, mais les télégrammes sont des messages brefs, qui laissent place à la réinterprétation et donc à une marge d'erreur. Et si erreur il y a, elle ne peut pas être corrigée immédiatement.

    De plus, le Progrès Illustré est une revue de loisir et de divertissement. La rédaction est moins rigoureuse et sérieuse que celle d'un journal d'investigation. Jacques Mauprat débute d'ailleurs souvent une chronique en affirmant qu'il a entendu dire que' mais qu'il ne serait pas surpris si cela s'avérait être une mystification.

    Il fait encore moins confiance aux sources étrangères Les bons petits canards traditionnels, les histoires stupéfiantes et invraisemblables dont l'Amérique est la patrie de prédilection ( N°278, 12 avril 1896 ). Pourtant, il les utilise fréquemment. Cela revient à dire que ses sources sont peu fiables, ou plutôt que la fiabilité d'une nouvelle n'est pas ce qu'il recherche.

    Journaliste et mystificateur '

    Un lecteur habitué du Progrès Illustré en vient donc à se poser des questions sur le rapport ambigu que son chroniqueur entretient avec l'idée de mystification. En effet, Jacques Mauprat rapporte régulièrement des nouvelles invraisemblables. On est en droit de se demander s'il choisit volontairement de colporter des rumeurs ahurissantes, ou s'il va jusqu'à les inventer. La déontologie du journalisme est à cette époque très floue et laisse place à bien des fantaisies. Enfin, le ton de Mauprat est le plus souvent ironique. En ce cas, comment savoir '

    Voici, offerts à votre jugement, quelques exemples délicieusement absurdes (certes, le premier a été publié un 1er avril, mais ce n'est le cas d'aucun des autres).

    En Angleterre, une femme s'est fait retirer entièrement la peau du visage au scalpel, ce qui a révélé dessous une peau lisse et jeune. Aux Etats-Unis, une école donne des cours de perfectionnement de la beauté, qui consistent en des séances d'écoute de musique classique ( N°485, 1er avril 1900 ). Un chirurgien français propose au public une technique moderne d'implantation de cils : il s'agit de coudre des cheveux du patient sur ses paupières ' le tout évidemment sans anesthésie ( N° 468, 3 décembre 1899 ).

    Un scientifique français affirme qu'il peut pratiquer la transmission de pensée à distance par l'entremise d'escargots, plus sensibles que les humains aux fluides magnétiques ( N° 99, 6 décembre 1892 ).

    Des chirurgiens ont trouvé le moyen d'inoculer à des malades ou à des blessés du sang en grande quantité. Il s'agirait d'utiliser du sang de mouton ou de cabri, ce qui aurait comme risque de transmettre au patient le tempérament de ces animaux ( N°10, 22 février 1891 ).

    Un homme qui rentré d'Afrique, a donné naissance à des serpents. Il les aurait avalé par mégarde, puis ils auraient grandi dans ses entrailles et il les aurait recrachés vivants. Ils seraient depuis devenus ses animaux de compagnie ( N° 352, 12 septembre 1897 ).

    Les monstres de foire sont un divertissement populaire au XIXe siècle. Un homme doté d'une tête semblable à celle d'un veau suscite la passion amoureuse de l'épouse du forain qui le présente au public ; les deux amants fuient ensemble ( N°48, 15 novembre 1891 ).

    Mauprat affirme qu'en Islande, le crime n'existe sous aucune forme et que la police de tout le pays est constituée d'un seul agent. Les maisons n'ont pas de porte et les Islandais ont donc souvent froid ( N°459, 1er octobre 1899 ).

    Un savant américain affirme que l'espèce humaine est appelée à rétrécir de génération en génération jusqu'à atteindre la taille des insectes ( N°462, 22 octobre 1899 ).

    Un millionnaire américain qui a fait fortune dans les conserves demande dans son testament à ce que son corps soit mis en conserve dans sa propre usine ( N°462, 22 octobre 1899 ).

    Etc'

    Mystificateurs, de la Belle Epoque à aujourd'hui

    Jacques Mauprat rappelle régulièrement qu'un récit parfaitement exact et objectif est impossible. L'histoire reconstruit la vérité, et les historiens n'aiment pas qu'on la rétablisse après qu'ils l'aient écrite à leur façon. Les mots historiques ne sont jamais véridiques, mais inventés par leurs auteurs qui embellissent ou travestissent la réalité ( N°407, 2 octobre 1898 ).

    Les liens entre journalisme, histoire et mystification sont donc ambigus. La Belle Epoque n'est pas si loin de notre époque actuelle qui offre de beaux exemples de scandales journalistiques et de reportages « bidonnés ».

    Depuis l'invention du téléphone, et surtout avec l'explosion d'internet, l'opinion publique est devenue plus méfiante et moins crédule. L'information se transmet à la vitesse de la lumière, et ses vérifications peuvent être immédiates.

    Mais internet est aussi une immense caisse de résonnance des rumeurs, qui peuvent prendre dans l'instant une ampleur mondiale. Aujourd'hui chacun peut s'improviser « journaliste » : chacun a donc les moyens matériels de devenir mystificateur.

    Pour citer cet article

    Référence électronique

    Laure de Scey-Montbéliard, Mystifications et Fin de siècle..., numelyo [en ligne], mis en ligne le 2009-08-26T08:30:18.808Z, consulté le 2024-04-19 06:56:04. URL : https://numelyo.bm-lyon.fr/BML:01DOC0014a94ed13ccfc2

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