[Rencontre avec le peintre Jean Couty]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0740 FIGRPT2498 01
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 17,5 x 12,5 cm (épr.)
historique Il en rêvait depuis longtemps. Depuis longtemps on l'y poussait. C'est fait. L'oeuvre (une petite partie) de Jean Couty est à présent couchée sur le papier glacé d'un livre. En veine de générosité et de reconnaissance sociale, le peintre a aussi décidé d'offrir au musée de la Résistance une de ses toiles, "Le chant du partisan". Un tableau de 1944 qui prend pour modèle un des amis du Vercors, un de ceux qui venaient le voir, à Saint-Rambert. Un vrai partisan. Car Jean Couty, même s'il refuse d'en parler, ou alors ne livre ses souvenirs que par bribes, vécut les premières heures de la Résistance. En 1940, il fait partie de la Chronique sociale de la rue du Plat. Ils sont une dizaine. Ce sont les premiers pas du mouvement en France. Louis Terrenoire, Georges Bidault, Stanislas Fumet, des Parisiens repliés à Lyon, comme ils seront nombreux dans les mois qui suivent. Pour le journal fondé par Fumet, "Temps nouveau", Jean Couty fait en 1941 le premier dessin de la Résistance en s'inspirant d'un vers de Verlaine, "L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable". Le sujet en est un homme et une femme recevant une lettre de leur fils prisonnier en Allemagne. Un mois après, Vichy supprime le journal et l'équipe se disperse. Deux fois, Jean Couty est arrêté par la milice. Mais il préfère ne pas en parler. A l'époque, beaucoup de représentants de cette intelligentsia réfugiée, des politiques, des artistes, ont défilé dans sa maison de Saint-Rambert. Tous "des gens importants de Paris", comme il dit. A la Libération, ces contacts noués lui ouvrent quelques portes de la capitale. Celle de la galerie Katia Granoff, notamment, une jeune femme juive rencontrée aussi sous l'Occupation qui aide sa carrière de peintre à prendre quelque notoriété. Jean Couty aurait dû être architecte. Il a les diplômes. Tony Garnier tout comme Henri Focillon l'en ont dissuadé. "Jean, vos projets d'architecte sont des idées de peintre. Faites donc de la peinture". Ce qu'il a fait. L'architecture n'y a rien perdu. La peinture y a-t-elle gagné quelque chose ? Elle y a gagné un artiste avec un vrai tempérament de peintre, un bâtisseur qui maçonne ses tableaux avec foi, un imagier moderne qui puise sa force et son énergie dans la connaissance de la tradition, généreuse en assises et fondations. Une tradition que notre époque ignore. A sa grande tristesse. A sa grande colère. [...] Couty se souvient de ses années d'apprentissage. "L'école des Beaux-Arts, c'était très bien, mais la gare d'eau de Vaise, c'était bien mieux". Les mariniers cosmopolites, les femmes sur les péniches qui étendaient le linge, l'eau glauque, le hangars, la beauté du lieu. Couty se souvient y avoir dessiné deux ans durant. Après, il s'est attaché aux quais de la Saône, à ceux du Rhône, avant d'attaquer des scènes familières et paysannes. Le travail sur l'industrie est venu ensuite. A Rive-de-Gier, à Saint-Chamond, il est allé étudier la splendeur des coulées du fer et de l'acier. L'atavisme peut-être, le mysticisme sûrement l'ont ensuite jeté sur les routes de pèlerinage, celles des églises romanes de France. Il a alors la révélation que l'art roman, "notre terre, notre famille", est la vocation de l'Occident. "Un art à l'échelle de la pierraille, du pré, du murmure de l'enfant. Une échelle humaine, tellement humaine qu'elle en devient surnaturelle, qu'elle fait passer du créé à l'incréé". Plus tard, les grands chantiers le sollicitent. Ceux du métro de Lyon dans les années soixante-dix. Il y retrouve parmi les travailleurs cette foule cosmopolite qui le séduit, le sens de l'effort collectif et l'élan bâtisseur. Expressionniste, la peinture de Couty est marquée par la fièvre, la vitalité, le dynamisme. Son oeuvre travaillée en pleine pâte existe avant tout à travers la couleur. Vigoureuse, éclatante. Jean Couty, Lyonnais parmi les Lyonnais, a fait sa première exposition à Paris en 1945 chez Katia Granoff, quai Conti, à une époque où être artiste en province équivaut à un enterrement de première classe. A une époque où être artiste à Lyon est encore pire. Depuis 1932, date de ses premiers tableaux, Jean Couty s'active devant ses toiles dans sa maison de famille de Saint-Rambert. Une maison construite par son aïeul, un de ces maçons que la Creuse du XIXe siècle jetait sur les routes en quête d'ouvrage. En 1950, il recevait le Prix de la Critique, en 1975, le Grand-Prix des peintres témoins de leur temps. A trente ans, en 1937, il s'était déjà vu décerner le Grand-Prix que le groupe Paris-Lyon inaugurait cette année-là. C'est dire que des médailles d'or ou de chocolat, il en a eu au cours de sa vie. Même celle de chevalier de la Légion d'honneur, en 1955. Pourtant, d'être reçu bientôt par monsieur le maire de Lyon le 17 mai 1990 en ses Salons de l'Hôtel de ville le ravit. Chacun ses faiblesses. A quatre-vingt-trois ans, ce peintre du matin continue à tutoyer son chevalet avec la même véhémence. Et Jean Couty rêve, paraît-il, d'une fondation qui recueillerait son abondante oeuvre. Avis au maire de Lyon. Source : "La glèbe et la pierre" / Nelly Gabriel in Lyon Figaro, 17 mai 1990, p.44.
note à l'exemplaire Négatif(s) sous la cote : FIGRP02105.

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