[Procès Klaus Barbie : Julien Favet, témoin du ministère...

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0741 FIGRPTP0240 04
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 20 x 15 cm (épr.)
historique Le procès de Nikolaus dit Klaus Barbie s'est déroulé du 11 mai au 4 juillet 1987 devant la Cour d'Assises du département du Rhône, au Palais de Justice de Lyon. C'était la première fois en France que l'on jugeait un homme accusé de crime contre l'humanité. Les charges retenues contre Barbie concernaient trois faits distincts : la rafle opérée à Lyon le 9 février 1943 à l'Union Générale des Israélites de France (UGIF), rue Sainte-Catherine ; la rafle d'Izieu du 6 avril 1944 ; la déportation de plus de 600 personnes dans le dernier convoi parti le 11 août 1944 de Lyon à destination des camps de la mort. Au terme de huit semaines d'audience, Klaus Barbie est condamné le 4 juillet 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité. Il décède le 25 septembre 1991 à la Prison Saint-Joseph à Lyon.
historique Quand on lui demande quelle est sa profession, il répond "domestique agricole" en retirant son large béret noir. Bien pratique, ce béret. Pudique aussi. Il cache un front enfoncé, une trépanation sur le dessus de la tète et un oeil blanc, mort. A Izieu, Julien Favet refuse souvent d'ouvrir sa porte. Ses voisins disent qu'il est ailleurs, quelque part dans les bois. Garçon de ferme depuis son enfance, il dissimule mal les stigmates du servage. Ses gestes, la difficulté de son langage, son dos cassé, les rides de son visage. Une vie de corps plié. Courbé pendant 68 ans, l'homme se redresse pour répondre au président Cerdini. Au matin du 6 avril 1944, Julien Favet est aux champs. Short, torse nu, il attend qu'un gamin de la colonie lui apporte son casse-croûte, comme chaque matin. "Au bout d'un moment, comme je ne voyais rien venir, je suis allé à la maison pour voir ce qu'il s'y passait". "La maison", c'est le home d'enfants juifs qui s'est installé l'année précédente à Lelinas, aux portes d'Izieu. "Là, j'ai vu trois hommes en civil accoudés au grand bassin qui est devant le bâtiment. Je les ai regardés. Il y en avait que je ne connaissais pas mais j'ai fait semblant de rien et j'ai continué à marcher en direction de la ferme des patrons." Favet a repéré la voiture de la police allemande et les deux camions. "J'ai pensé qu'ils arrêtaient tout le village", explique-t-il au président. Il voit les enfants entassés dans les véhicules. Un soldat l'arrête."Vous, sauté ?", lui dit l'Allemand. Favet ne comprend pas. Tout à l'heure, le jeune étudiant Léon Reifman a sauté d'une fenêtre pour échapper à la rafle et tous ceux qui passent sur le chemin sont suspects. Un civil vient de se détacher du groupe de trois et s'avance. "Il avait une gabardine et un chapeau mou, c'était Klaus Barbie." L'homme s'approche de Favet et l'inspecte. Méticuleusement. Pas un seul mot n'est échangé pendant ce long regard. "Et puis il m'a dil quelque chose comme 'allez!'". Favet repart vers la maison de ses maîtres. "J'ai regardé les camions. Tous les enfants étaient dedans. Les plus grands, qui avaient 10 ou 12 ans essayaient de s'enfuir en sautant mais deux soldats allemands les rattrapaient tout de suite et les renvoyaient dedans comme des sacs de pommes de terre". Favet ne peut plus parler. "Vous avez reconnu Barbie ?", interroge le président. "Oui, c'est exact. Je le jure. Je l'ai reconnu à son regard." Le témoin cherche le mot juste. Je l'ai reconnu comme si c'était vous, monsieur le président. Sauf votre respect." En dehors de Barbie, l'homme immédiatement reconnu par Favet, parmi les civils de la police accoudés à la fontaine, c'est Lucien Bourdon. Il le dit bien haut à la barre. Bourdon qui a été cité à comparaître, mais Bourdon que personne n'a pu joindre. Bourdon qui n'est pas là. Bourdon que personne n'entendra. Bourdon accusé publiquement d'avoir dénoncé la colonie des enfants, Bourdon protégé par la Gestapo, déménagé par l'armée allemande après la rafle et renvoyé dans sa Lorraine natale. Bourdon enfin, arrêté par les troupes américaines sous l'uniforme d'un gardien de camp de concentration en 1945, Bourdon condamné ensuite à dix années de dégradation nationale. Me Vergés se lève. Dans les couloir du Palais de justice. depuis le début du procès, il a juré qu'il mettrait ce témoin en pièces. Le 19 mai, bien entendu, le procureur général allemand Streim est venu dire à cette barre que le fameux télex d'Izieu, signé "Obersturmführer Barbie" et rendant compte de la rafle, était un document authentique. Et, lorsque le président, organigramme de la SIPO-SD de Lyon en main, a demandé à l'expert si Barbie, de part ses fonctions et sa position, était responsable de l'opération d'Izieu, celui-ci a déclaré : "Je ne peux que répondre oui". Mais voilà un témoin, le seul, le dernier, qui, dès le début, a toujours déclaré qu'il avait reconnu l'homme au chapeau mou comme étant Barbie. Et ce témoin encombre la défense. "Avez-vous été entendu comme témoin en 1947, lors du procès Bourbon ?", demande Me Vergès, sur le ton de celui qui rappelle perfidement que les propos de Favet n'ont pas retenu l'attention d'une autre Cour, trente années auparavant. "Non, répond Favet, et cela m'a beaucoup choqué. Ils ont entendu des témoins qui n'avaient pas vu Bourdon parce qu'ils étaient très loin de lui. Mais pas moi. Et je n'ai appris qu'après que le procès avait eu lieu". Favet, le valet de ferme. Qui veut l'entendre en 1947 ? Qui compte apporter un quelconque crédit à l'homme qui se promène sans chemise dans les bois ? Personne. [...] Source : "Izieu : le témoin qui accable Barbie" / Sorj Chalandon in Lyon Libération, 28 mai 1987.
note bibliographique "Que disent les témoins ? : Julien Favet [...]" / A.R. in Le Progrès de Lyon, 6 mai 1987. - "Nécrologie : Julien Favet, le témoin qui accusait Barbie" in Le Progrès de Lyon, 18 mars 1996.

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